« Ørsted (...) tenait en mains un fil de cuivre réuni par ses extrémités aux deux pôles d'une pile de Volta. Sur sa table se trouvait une aiguille aimantée placée sur son pivot, et tout à coup il vit (par hasard diriez-vous peut-être, mais souvenez-vous que, dans les sciences d'observation, le hasard ne favorise que des esprits préparés), il vit tout à coup l'aiguille se mouvoir et prendre une position très différente de celle que lui assigne le magnétisme terrestre. (...) Voilà, messieurs, la naissance du télégraphe actuel. »
Ce n’est pas l’inattendu qui manque aujourd’hui. L’affaire Enron, les OPA, le raz-de-marée des téléchargements pirates, les surgissements d’entreprises de géants comme Google, de puissances économiques comme la Chine ou l’Inde, bouleversent la vie des affaires. Si de hardis pionniers tirent parti d’opportunités pour bâtir de nouveaux empires, les managers paraissent plutôt embarrassés face à l’inattendu. C’est parce que les grandes organisations ne sont guère manœuvrantes, mais aussi parce que les dirigeants doivent montrer en permanence que tout se passe comme prévu. Il est frappant de voir combien ils doivent se justifier auprès des marchés financiers quand les résultats sont différents de ceux annoncés. C’est comme si nous avancions dans une mer démontée avec des instruments de navigation pour temps calme. Certains font mieux que survivre en tirant parti de l’inattendu, comme l’illustrent les articles de ce numéro.
Philippe Houzé décide de créer des magasins en centre ville quand on dit que l’avenir est aux magasins en banlieue, et c’est un succès. Henri Lagarde décide que Royal Canin prendra le créneau de la nutrition santé, abandonnant la vente en grandes surfaces, et le cours de l’action s’envole. Ils ont deviné des attentes naissantes, inventé des territoires, disent Jean-Claude Thoenig et Charles Waldman, mais ils ont aussi pu résister aux analystes financiers obsédés par le court terme.
Radio Nova se veut différente là où les mesures d’audience laissent peu de place au risque. L’objectif est atteint si l’on en juge par le nombre de talents qu’elle révèle. C’est parce que ses responsables comme Marc H’Limi ont du flair, mais aussi parce qu’ils sont dans un contexte propice : éviter d’augmenter l’audience pour ne pas perdre en originalité, avoir depuis 25 ans un propriétaire qui ne demande pas de bénéfices, voilà qui n’est pas banal !
Michel Mazet, confronté à la difficulté de trouver des solutions pour ses parents atteints par le grand âge, décide de créer une entreprise qui traitera de bonne manière ces questions. Il se lance avec ses fonds et l’aide de proches, mais il découvre vite combien son schéma, même plébiscité par les clients, paraît incongru aux acteurs du domaine. Comme souvent le font les innovateurs : il va devoir résister et convaincre.
Aujourd’hui, les conseils d’administration sont invités à travailler sérieusement, tel que le montrent Daniel Lebègue et Jean-Paul Picard. J’aimerais être une petite souris qui assiste à ces conseils lorsqu’ils débattent face à l’imprévu. J’imagine qu’ils trouvent plus facilement un consensus lorsqu’il faut se défendre que devant un pari audacieux. Et que les choix audacieux sont facilités lorsqu’ils sont instruits par des responsables à l’esprit suffisamment préparé pour saisir avec succès les opportunités, et soutenus par des acteurs qui ont les moyens de voir loin.