Ils étaient contents à la fin de la soirée théâtre. Les uns disaient : « Enfin, de l'esprit à propos de management, continuez ! ». Quelques-uns allaient plus loin : « J'espère que vous allez desserrer les freins ! ». D'autres, à la réputation de gens sérieux, avançaient: « Si vous faites une représentation dans le trou des halles, je serai au premier rang ». Cela faisait froncer les sourcils de certains et, si on n'avait pas été dans l'euphorie de la fête, ils auraient sans doute dit : « Mais le management est une affaire sérieuse ! ».
Je pensais alors à ce que disait Galiani : « Ce qu'il faut faire, surtout à Paris, c'est s'appesantir sur les petites choses pour leur donner un relief et une importance qu'elles n'auraient pas. Les matières graves, il faut les alléger, sans quoi elles deviendraient d'une pesanteur insoutenable ».
On rit souvent dans nos réunions mais les comptes rendus ne gardent guère trace des propos légers. Non pas que les rapporteurs manquent de talent mais parce que les orateurs ne parlent pas, comme on dit, pour de rire : leurs interventions correspondent à de forts enjeux personnels ou institutionnels, et les écrits qu'on en tire restent, alors que les paroles passent.
Pour rire d'affaires graves, il faut être fort ou protégé, rappelle Claude Riveline ci-après au sujet du bouffon. Ou avoir un projet subversif, comme les philosophes des Lumières qui voulaient établir le règne de la raison face aux "préjugés" de leur époque : le burlesque leur permettait de jouer avec la censure et de recruter des alliés jusque chez les puissants car le persiflage était très prisé par l'aristocratie, comme exutoire à sa perte de pouvoir .
C'est pourquoi le Journal de l'École de Paris a choisi de créer de nouvelles rubriques pour prendre de la distance avec les enjeux qui pèsent sur chaque réunion. Les "échos légers sur le management" permettront d'évoquer les incessants affrontements, aux fondements du burlesque, entre les projets de l'esprit et les pesanteurs de la matière. Faites-nous part de situations de ce genre et ne soyez pas rebutés par l'écrit ; nous pourrons éventuellement mettre en forme les propos pour vous. La rubrique "l'esprit de l'escalier" prolongera les débats sur un mode plus léger.
Nous avons appris que le burlesque philosophique est un procédé qui fait jaillir des idées nouvelles par des rapprochements inattendus. Nous l'avons d'ailleurs utilisé, presque comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. Mais il ne fait pas toujours rire : les rapprochements inattendus peuvent paraître des transgressions incongrues. Voyez la séance L'ouvrier enthousiaste. Inviter deux jeunes ingénieurs des mines à trousser le portrait de l'"ouvrier enthousiaste" qu'ils ont découvert dans les usines, quand l'opinion en reste à l'ouvrier de Marx ou Taylor, c'était du burlesque. Et cela a ouvert des perspectives fécondes. Pourtant l'ambiance a été électrique, on a même été jusqu'à soupçonner l'École de Paris de … légèreté.
Mais voilà la conclusion que j'en tire : que l'on rie, ou que l'on s'émeuve, il importe que nos propos ne restent pas enfermés dans les catégories mécaniques, les axiomatiques glacées et les généralités exaltées qui constituent le gros de la pensée convenue sur le management.
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