mai/juin 2015
La France est morose, à suivre les médias. On n’entend parler que de croissance trop molle, de déficit trop élevé, de rigueur pas assez sévère ; on a l’œil braqué sur des indicateurs macro-économiques qui donnent l’impression de faire du surplace, voire de reculer. Qui cela peut-il faire rêver ? Comment se fait-il que les réunions de l’École de Paris soient si souvent toniques ? Parce qu’on y accueille des entreprenants, c’est-à-dire des acteurs qui se saisissent d’opportunités pour créer des activités nouvelles. Le créateur d’entreprise fait partie de cette catégorie, comme Laurent Combalbert qui a créé une agence de négociation devenue une référence mondiale. On en trouve aussi à l’intérieur même des entreprises, comme Franck Naro qui fait renaître son usine de Douai ou Jean-Philippe Bousquet qui met en concurrence des investisseurs financiers pour faire de sa PMI un leader mondial ; dans des territoires, comme Sylvain Géron avec le projet Autolib’ ; dans des associations, comme Sylvain Waserman avec Unis-Cité, pionnière du service civique ; et dans bien d’autres domaines comme l’ont montré nos séances. Ces entreprenants engendrent de puissantes dynamiques en faisant partager un rêve : changer le monde, corriger des injustices, lancer des défis esthétiques, conquérir de grands espaces, etc. Les hommes peuvent agir par nécessité‚ par habitude‚ par crainte, mais il n’y a aucune commune mesure entre ce qu’ils font ainsi et ce qu’ils réalisent au nom d’un rêve partagé. Les périodes de crise sont sources de déséquilibres, donc d’opportunités dont se saisissent des entreprenants. Pourquoi leur action est-elle si peu connue ? Parce que les médias sont mieux équipés pour annoncer les mauvaises nouvelles que les bonnes. L’émotion fait vendre et, en période de crise, les catastrophes paraissent naturelles alors que les réussites semblent anecdotiques si on n’a pas les clés pour les comprendre. Or, si les sinistres s’expliquent facilement par des causes économiques, les succès ont des ressorts qui échappent aux explications quantifiées prisées aujourd’hui. Le monde qui meurt est donc sous les projecteurs, alors que celui qui naît est en dessous des radars. Donnons à voir les actions des entreprenants pour les faire connaître, les comprendre et susciter l’envie d’en faire autant. Mais comment tirer parti d’histoires singulières sans céder aux facilités du conte de fées ? La science économique regarde avec dédain les anecdotes, et les sciences de gestion restent mal à l’aise devant le contingent. Prenons le contre-pied en développant une analogie avec l’art, qui est tourné vers la production du singulier. Les artistes se cultivent avec passion en étudiant les œuvres d’autres créateurs, y compris très différents d’eux. La critique les pousse à se dépasser et contribue à une mise en intrigue de l’art qui captive le public. Voilà qui manque à la gestion : une vraie curiosité sur ce qui se fait ailleurs, la discussion critique, démarches que nous cultivons depuis plus de vingt ans. Traitons alors les histoires d’entreprenants comme des œuvres de maîtres, nos séances étant comme des expositions permettant d’aller voir ce qu’ils ont fait et comment ils y sont arrivés. On peut discuter avec eux de leurs choix, de leurs fiertés, de leurs problèmes, de leurs regrets. Cela stimule l’imagination et peut aider chacun à préciser son projet, sa manière propre de le conduire, à affronter des difficultés communes : faire face, en France, aux charges sociales, à la fiscalité et aux inerties du marché du travail ; contrôler les activités sans lester les acteurs de semelles de plomb ; interagir avec ses collaborateurs ; ouvrir une organisation sur le monde sans perdre son âme, etc. Cela nous amènera bien sûr à préciser la façon de tirer des leçons générales de ces aventures singulières sans copier servilement les réponses apportées par chacun. Atone et triste la France ? Les occasions de rêver ne manquent pas à qui sait les chercher.