janvier/février 2015
L’agilité a eu ses heures de gloire dans les discours sur l’entreprise. La notion a renvoyé d’abord aux logiques d’amélioration continue, avant de porter sur les méthodes de développement, rapides et en prise directe avec les clients. L’agilité signifie à la fois réactivité et pragmatisme, et évoque les structures légères. L’agilité, pour le dictionnaire, a deux significations : la légèreté et la souplesse dans les mouvements du corps ; et la vivacité intellectuelle. Ce sont à ces deux significations que les articles de ce numéro font écho. Il y est question d’adaptation, de réactivité. Il y est aussi question de conscience et d’intelligence des mutations du monde. Et il y est aussi question de corps : l’agilité est affaire de légèreté de mouvements, pas nécessairement de légèreté de structures. L’analyse de Jean-Pierre Aubert, dont toute la carrière a consisté à accompagner les transformations économiques et sociales, est que le monde évolue radicalement, mais nous avons une incapacité à appréhender ses mutations. La nécessaire prise de conscience du temps long implique de construire une intelligence dialogique entre l’action, les transformations qu’elle induit, leur projection dans le futur et le retour dans le présent. Cela passe avant tout par les acteurs locaux et les territoires, et implique de déployer une logique d’accompagnement qui prenne réellement en compte la richesse première, les ressources humaines. L’agilité d’une entreprise doit composer avec la réalité de son corps : son patrimoine, ses actifs, sa richesse, aussi difficiles à manier soient-ils. Pour une PME comme Multiplast, spécialisée dans la construction de voiliers de compétition et confrontée à une absence de relais de croissance sur son marché, il s’agit de technologies de pointe. Elles l’ont conduite à se diversifier non pas vers la plaisance, mais vers l’aéronautique. Pour un acteur comme RTE, il s’agit d’un réseau physique de 100 000 km de lignes à haute et très haute tension. L’entreprise, service indépendant d’EDF créé pour héberger son réseau de transport d’électricité, doit s’adapter à un secteur bouleversé par l’ouverture à la concurrence et par l’arrivée de nouvelles énergies renouvelables, qui se traduit par une nouvelle répartition géographique des moyens de production, parfois éloignés des infrastructures de transport. Pour le monde du spectacle vivant, l’agilité consiste à prendre la mesure de son bouleversement fondamental pour réinventer les leviers de la politique culturelle. Dominique Bluzet, à la tête de quatre théâtres à Aix-en-Provence et Marseille, répond à ces enjeux par la compréhension la plus fine des mutations sociales, de manière non plus à attirer les spectateurs dans ses théâtres, mais à faire profiter le plus grand nombre des spectacles et de la réflexion qu’ils induisent. La métaphore du cyclisme est intéressante pour parler d’agilité. Olivier Aubel va au delà de cette dimension métaphorique. Comme d’autres secteurs, le cyclisme a été confronté à des mutations majeures de son contexte, qui se sont traduites par une évolution des pratiques de dopage. Les prendre en compte implique de comprendre que les cyclistes évoluent dans un monde de précarité et de mauvaises conditions de travail. Richesse principale de ce secteur, l’humain y est sacrifié. Cela conduit Olivier Aubel à prôner la mise en place de modèles d’équipes fondées sur l’accompagnement. L’accompagnement... Si ce numéro s’ouvre et se referme sur cette notion, c’est sans doute qu’elle porte les dimensions parfois oubliées de l’agilité. Dans le management, l’agilité n’est pas uniquement une capacité à changer de direction rapidement ; elle implique d’avoir une conscience pointue tant de son patrimoine que du futur.
January 22, 2014 | Seminar Economy and meaning