Couverture Les Annales de l'École de Paris du management - Volume 12

Volume XII

Textes de l'année 2005

576 pages

Métissages féconds

Pierre Perret, ce Gaulois paillard et chaleureux, a intitulé son dernier album : « Mélangez-vous ! » Il y prône les mariages interraciaux pour apporter l’harmonie dans la société. C’est une recommandation du même ordre qui nous vient à l’esprit en parcourant les comptes rendus des travaux de l’École de Paris en 2005. Sur ceux de 2004, nous avions déjà évoqué des frontières heureusement franchies. Cette année, nous faisons un pas de plus en relevant de nombreux mariages qui ont produit de beaux enfants. Mariages entre mondialisation et cultures locales Les unions les plus spectaculaires s’observent entre, d’une part, la mondialisation, cette déferlante managériale qui laisse entendre que toute la planète est un marché commun transparent et sans résistance, où tout le monde parle “globish” et se dirige vers un même mode de vie, et d’autre part, les cultures locales qui, loin de se réduire à des folklores pour touristes, apparaissent comme des éléments déterminants des réussites en affaires. C’est ainsi que le patron d’Arcelor, géant multinational de la sidérurgie affirme qu’il est vain d’imposer une même culture à toutes ses usines de par le monde, et que la sagesse est de bien comprendre chaque culture locale pour lui parler son langage (p. 51). Le management moderne n’est-il qu’américain ? Que nenni, affirme Philippe d’Iribarne, qui voit dans le management à la française une grande source de richesse (p. 97). Il permet, par exemple, de fonder sur un texte de deux pages une joint venture durable entre deux mastodontes comme EDF et Gaz de France, malgré leurs divergences d’intérêts (p. 77). De même, on découvre qu’une PME high-tech a conquis la planète sans cesser d’être norvégienne (p. 187), tout comme Mondragón – coopérative basque née dans des conditions très particulières – le fait tout en défendant son identité très singulière (p. 493). Mathieu Le Roux et Sylvain Darnil ont effectué le tour du monde pendant dix-huit mois au cours desquels ils ont débusqué quatre-vingts entrepreneurs enracinés dans leurs terroirs, qui ont bouleversé des pratiques jugées, à tort, intangibles (p. 265). De même, des parfumeurs et des ébénistes d’Eure et Loir ont diffusé la marque de “Cosmetic Valley” en restant implantés près de Chartres (p. 313), et la fabrication du plus gros avion de ligne de l’histoire, l’A380, s’intègre dans les contingences géographiques et humaines de l’Aquitaine (p. 339). Il n’est pas jusqu’au monde arabo-musulman qui peut légitimement ambitionner de retrouver son éclat du VIIe au XIIIe siècle en épousant la modernité sans y perdre son âme (p. 465). Cette même ambition est affirmée par des porte-parole du cocktail black-blanc-beur de la société française d’aujourd’hui (p. 483). Mariages entre fonction publique et contacts humains Pour un fonctionnaire, a-t-on assuré, vivre, c’est être en règle. Il attend la même vertu de la part des usagers, ce qui confère à leurs rapports une froideur qui évoque davantage le droit que le commerce. Mais le séminaire Vie des affaires a été informé de la révolution douce introduite dans les contrôles de l’Urssaf, dans le sens de la prévention des impayés et d’un dialogue soutenu avec les cotisants (p. 35). Une députée de Paris est venue raconter son inlassable activité au contact des citoyens en difficulté et des administrations locales (p. 207). Toujours à Paris, l’adjoint au maire chargé de l’environnement a expliqué comment il a mis en œuvre les principes les plus modernes du management pour mettre au travail onze mille agents de la propreté de Paris (p. 227). À Paris encore, l’association Accomplir mène une forte activité d’animation dans le quartier des Halles, au point d’exercer un poids décisif dans le choix des projets mis en concours pour sa rénovation (p. 237). Le lauréat de ce concours, l’architecte Mangin, est venu développer ses idées en faveur d’une ville “passante et métisse”, bien loin des projets technocratiques qui sévissent tout autour de Paris (p. 247). Une séance très émouvante a été consacrée au destin des SDF, ces vaincus de la vie urbaine, et à des projets pour leur resocialisation (p. 255). Un élu d’une ville de banlieue, Romainville, est venu expliquer avec fougue comment il a tenté de donner vie à une vraie démocratie locale hors des cloisons des partis (p. 293). Deux exemples géographiques ont montré qu’il est possible de rendre compatibles une administration anonyme et le respect des traditions culturelles locales, l’un au Pays basque (p. 347), l’autre à Londres (p. 357). Enfin, trois réunions ont examiné les relations de la puissance publique et du monde aventureux de la recherche, l’une en matière de brevetage des gènes (p. 125), une autre sur la recherche en Grande-Bretagne (p. 117) et une autre enfin, au niveau européen (p. 135). Mariages entre long terme et court terme Comment définir des projets à long terme et sauvegarder la suite dans les idées que réclame leur mise en œuvre avec des acteurs éphémères, des coups financiers ou des consultants payés à la vacation ? Cette énigme a été explorée dans plusieurs réunions. C’est ainsi qu’a été défendue l’efficacité des managers de transition, leaders charismatiques qui induisent une profonde réforme mais ne font que passer (p. 17). Un préfet explique que, pour manager des territoires, il faut concilier les horizons des court, moyen et long termes, ce qui n’est guère comptatible avec la mobilité des représentants de l’État et la fréquence des élections (p. 305). Lorsque Pierre Laffitte écrivit en 1970, dans Le Monde, qu’il voulait créer “un Quartier Latin aux champs”, peu l’ont cru ; pourtant, il a réussi à donner réalité à ce rêve malgré les péripéties de la vie politique et administrative (p. 381). Laurant Weill, qualifié d’entrepreneur perpétuel, est venu évoquer les nombreuses entreprises high-tech qu’il a créées puis quittées tout en suivant obstinément une ligne personnelle (p. 87). Une séance a examiné l’intérêt de la création pour les grands groupes de “corporate ventures”, PME autonomes et innovantes (p. 145). La Silicon Valley et son impressionnant dynamisme ont été évoqués (p. 197), ainsi que les perspectives d’une transposition à la France (p. 153). C’est sur le même thème qu’ont été résumées les conclusions d’une enquête, menée dans le cadre de l’opération FutuRis, sur la création d’entreprises en France (p. 161). Une soirée des Invités a fait le point sur l’évolution actuelle du métier de conseil en management (p. 475). Enfin, une séance a examiné le cas d’une paradoxale survie à la suite de l’explosion d’une bulle spéculative (p. 109). Le développement durable a fait l’objet de deux réunions : l’une sur l’action de Michelin en la matière (p. 25), l’autre sur le développement portuaire du Havre (p. 365). Un exemple de mariage réussi entre sages tortues et lièvres fébriles a été examiné à propos de la rencontre entre les intellectuels et la vie des affaires, avec Michel Crozier (p. 61). Le mariage entre recherche fondamentale et marchés de grande consommation a donné lieu à trois séances, l’une concernant Minatec à Grenoble (p. 171) et les deux autres concernant France Télécom (p. 179, p. 421). La fête et le management On dit qu’un gestionnaire fait un travail de fourmi. Si l’on en croit La Fontaine, ce n’est pas compatible avec la vie des cigales qui dissipent leur énergie dans la fête. Pourtant, plusieurs séances ont montré que le mariage entre la fête et le management peut donner de beaux fruits. Danone a expliqué comment de féconds échanges d’idées se déroulent dans une ambiance de club de vacances (p. 43). Le séminaire Vie des affaires a été informé de la puissance et de la rigueur de l’infrastructure informatique qui accompagne le tournoi de Roland Garros (p. 67). L’organisateur de la fameuse moisson sur les Champs-Élysées explique pourquoi il organise des fêtes grandioses dans les villes et en quoi c’est une très sérieuse affaire de management (p. 321). Une séance montre comment le développement d’Aurillac a été stimulé par un festival de cinéma rural et un festival des arts de la rue (p. 331). Une autre montre que le Festival de la bande dessinée d’Angoulême est le lieu central d’un secteur économique en plein essor (p. 453). Le charismatique fondateur de Kalisto explique que la création d’un jeu vidéo suppose de faire coopérer sous de fortes pressions de coûts et de délais une centaine de personnes aux spécialités variées, à l’ego parfois hypertrophié, voire même immatures, sources redoutables de problèmes de management (p. 401). L’artiste et le manager L’artiste, dit Pascal Nègre, président d’Universal Music France, fait un métier de fou : un moment encensé, il peut être rapidement oublié, et les plus grands artistes connaissent une traversée du désert. Ayant l’impression de jouer sa vie avec chaque œuvre, il a un grand besoin d’être rassuré. C’est souvent la tâche du producteur, curieux personnage qui tient à la fois du sorcier et du gestionnaire (p. 393). Ce phénomène se retrouve dans l’univers de la création automobile, qui pourrait pourtant paraître plus rationnel que le monde de l’art (p. 445). Quand des univers aussi différents que la cuisine, la couture et l’architecture coopèrent pour créer un restaurant d’exception au Japon, il faut un gestionnaire peu ordinaire pour faire s’ajuster les points de vue des stars de chacun des domaines (p. 437). Quand on leur donne trop de sécurité, les artistes risquent de s’installer dans une routine confortable qui met en péril leur verve créatrice ; c’est le défi du système d’aide français à la création audiovisuelle (p. 429). S’installer loin de l’agitation parisienne pour trouver une sérénité et une convivialité suffisantes, tout en prenant des risques éditoriaux et financiers, c’est la savante alchimie réussie par l’éditeur Actes Sud (p. 413). Mélanges des identités Enfin, trois exemples illustrent la façon dont le mélange des identités peut contribuer à l’harmonie de la société. Sous prétexte d’initiation à l’informatique, des centres sociaux parisiens font se rencontrer dans un climat convivial des jeunes parfois difficiles, des parents d’élèves, de respectables retraités et des étrangers venant apprendre notre langue et nos règles de vie (p. 283). Le passage à la retraite peut être être ressenti comme une exclusion sociale, alors que les retraités ont devant eux une durée moyenne de vie aussi longue que leur vie professionnelle d’où l’importance pour eux de formuler des projets et, pour la société, de leur donner un rôle social important, comme le font les sociétés traditionnelles (p. 217). Enfin, dans la société moderne, le relâchement du lien familial laisse souvent démunies les personnes confrontées aux accidents de la vie. On appréciera alors le goût du partage et le sens de l’écoute des membres de Dom Plus envers ceux qui s’adressent à eux pour avoir de l’aide. C’est une étonnante convivialité qui s’instaure ainsi au téléphone, moyen moderne, et permet aux générations de s’entraider (p. 275).
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