novembre/décembre 2019
C’est peut-être ce qui caractérise le mieux notre époque. Les certitudes s’effondrent. La période d’instabilité dans laquelle nous sommes plongés tient beaucoup au rythme effréné des innovations qui n’en finissent pas de transformer nos modes de vie, conséquences inépuisables du déploiement du numérique. Elle est aussi politique, sociétale, environnementale. Peu de piliers de nos sociétés sont épargnés par l’effritement général des certitudes sur lesquelles ils se déployaient. La défiance vis-à-vis des médias, la construction de monnaies “plus fiables” autour de la blockchain ou la mise à mal du modèle de la boutique physique au profit de la vente en ligne en sont trois exemples parlants : qui eût imaginé, il y a quelques années, que ces institutions centrales de nos sociétés pussent être ébranlées ?
L’effondrement de certitudes est un choc, il peut provoquer un réveil, celles-ci s’avérant a posteriori comme une source d’aveuglement. Jean-Paul Augereau en a fait la violente expérience. Dirigeant de trois entreprises, il sillonnait le monde et vivait à 100 à l’heure. Son réveil violent, consécutif à une grave septicémie contractée pour s’être lavé les dents à l’eau du robinet, l’a conduit à réinventer sa vie et à lui trouver un sens. Ce sera à travers un programme de don de fontaines pour apporter l’eau potable aux populations rurales en Afrique et en Asie. Effondrement des certitudes, recentrage sur l’essentiel, affirmation de convictions.
Le même recentrage semble opérer dans l’exemple de la presse, mis en lumière par le succès de The Conversation. La défiance croissante vis-à-vis des médias remet en lumière le puits de connaissances constitué par le monde académique. Un puits souvent négligé qui, en ces périodes de méfiance, se révèle être un précieux réservoir.
Les certitudes agissent comme un brouillard déployé sur une contrée, leur dissipation pouvant la faire apparaître sous un jour nouveau. Le sens de sa vie se révèle, de même que la richesse du monde académique ou encore l’absurdité de l’inexorabilité du chômage. Absurdité, car quand l’on veut bien regarder les choses, cohabitent, souvent sur un même territoire, des besoins et des ressources. Sur ce constat évident et pourtant négligé, une expérimentation conduite en Bretagne ouvre des voies intéressantes, en partant de ce que les personnes sans emploi savent et ont envie de faire.
Quelles certitudes avoir face à l’évolution du commerce et à l’engouement autour de la blockchain ? Laurent Frayssinet, directeur général de MEDIA6, et Thierry Rayna, professeur à l’École polytechnique, suggèrent respectivement deux réponses sages, le premier par l’expérimentation, la remise en cause de principes anciens et l’acceptation du brouillage des frontières entre commerce et communication d’un côté, entre physique et digital de l’autre ; le second par une prise de recul sur la réalité de la blockchain, ses atouts et ses faiblesses.
La seule certitude, disait Pline l’Ancien, c’est que rien n’est certain. Il est tout aussi certain qu’une société sans certitudes est difficilement imaginable tant elles constituent des repères collectifs. Réinventer nos certitudes et notre rapport aux certitudes est un des enjeux de notre époque.
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