Le Journal de l'École de Paris - janvier/février 2013

Sources de performance

janvier/février 2013

L'édito de Thomas PARIS

Sans doute n'est-il pas inutile de parfois s'interroger sur le sens de ce que l'on produit. Cela vaut pour les individus, cela vaut aussi pour les organisations. Derrière la question morale, philosophique ou téléologique se déploie ainsi, plus prosaïquement, une question d'efficacité. Une organisation peut avoir, petit à petit, évolué vers la réalisation d'une finalité qui n'est pas celle pour laquelle elle s'était construite. La réflexion initiée par Patrick Négaret au sein de la CPAM a consisté à revenir à la source de la raison d'être d'une organisation devenue au fil du temps, sans s'en rendre compte, une assurance maladie. Assurance maladie... Étonnant quand le bon sens voudrait qu'on se préoccupe d'abord d'assurer la santé. Pour impulser la mutation de l'organisation vers le retour à ses fondamentaux, la stratégie a été aussi celle de la source : un travail initié localement, petitement, amené à prendre de plus en plus d'ampleur. Le ressourcement d'Alain Passard procède aussi d'une interrogation sur le sens, qui s'inscrit pour lui dans une quête d'inspiration. Quand le Chef, consacré par les trois étoiles pour sa maîtrise du tissu animal, s'est retrouvé dans une aporie créative, le légume s'est imposé comme une nouvelle source d'inspiration. Une source fertile, intarissable, inexploitée. La cuisine du légume lui a offert une cure de jouvence et un terrain d'expression infini. Sa créativité s'exprime depuis dans une recherche d'effacement : effacement du geste, effacement du cuisinier devant le génie de la nature. Une créativité à la source... Le travail, en tant qu'il est à la source de la performance des organisations, doit aussi être à la source de leur sens, explique Yves Clot. Ainsi, le "travail bien fait" ne procède-t-il pas uniquement d'une logique d'évaluation, mais doit aussi relever d'une fierté individuelle. Face aux critères simplificateurs imposés par leur hiérarchie, les travailleurs jonglent avec la complexité du réel pour atteindre les buts qu'on leur a fixés. Ce travail d'acrobatie, pour être bien mené, nécessite que les résultats soient défendables à leurs yeux. Pour l'organisation, cela implique d'accepter la complexité du réel et de faire l'éloge du dissensus. La source porte l'idée d'un lien avec l'origine. Peut-on exporter un modèle d'entreprise qui a fonctionné dans un contexte particulier ? C'est la question qui pouvait se poser dans l'implantation de Toyota à Valenciennes, avec, en toile de fond, celle de l'essence du modèle Toyota : techniciste ou culturaliste ? Tommaso Pardi, en analysant la crise sociale dans l'usine française, insiste sur la difficulté d'une transplantation lorsque les conditions de viabilité ne sont pas réunies. Chez Michelin, la démarche entreprise pour s'adapter à la révolution de l'automobile a reposé sur un changement de culture. Pour accélérer les processus d'innovation, l'entreprise a ouvert sa R&D vers l'extérieur, et ainsi, remis en cause la sacro-sainte règle du secret. Renoncement aux valeurs de l'entreprise, comme cela a pu être perçu en interne ? Non, répond Didier Miraton, ancien cogérant du groupe : les valeurs ont guidé la démarche, mais ont nécessité un changement de culture. C'était la condition pour Michelin pour orchestrer son rejaillissement. À l'heure où ce numéro paraît, l'École de Paris du management a quitté ses locaux historiques de Montparnasse pour emménager à Saint-Germain-des-Prés. Renoncement ? Repliement ? Au contraire, avec des fondamentaux bien enracinés, les variations que propose ce numéro laissent plutôt entrevoir ressourcement et rejaillissement.
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