Le Journal de l'École de Paris - novembre/décembre 2018

Basculements merveilleux

novembre/décembre 2018

L'édito de Thomas PARIS

« Je suis en retard, je suis en retard ! » Alors qu’elle s’ennuyait, l’attention d’Alice est attirée par un lapin qui parle. Elle est intriguée quand elle constate qu’il tient une montre et porte un gousset. Elle le suit jusqu’à son terrier, où elle est entraînée dans une longue chute. Et là, c’est le basculement ! Dans un monde aux lois différentes, faisant la part belle à l’absurde, qui remet en cause l’ordre établi, un monde où règne l’excès et où le temps est déréglé…

Laure Leroy s’ennuyait-elle ? Quoi qu’il en soit, l’éditrice a vu passer mille et un lapins ressassant qu’ils étaient en retard dans des langues diverses, et dont les terriers ouvraient sur des mondes inconnus et fascinants. En refondant sa maison d’édition, elle a décidé de la faire basculer dans les littératures des langues dites rares, un monde plus complexe au premier abord, mais d’une richesse incommensurable une fois apprivoisé. En faisant le choix de ce monde peu connu, Zulma s’est construit une place à part dans l’édition française.

La fabrication additive, encore à ses balbutiements, le véhicule électrique, qui n’était alors qu’un pari lointain, ou les champions cachés ont été comme l’étonnant lapin d’Alice respectivement pour Michelin, Renault et les services économiques de l’État en région. Ils ont intrigué, on les a suivis, et un basculement s’est produit. La fabrication additive réduit les délais de réalisation des moules et améliore notablement la performance des pneus. Comme le véhicule électrique, elle entraîne une reconfiguration complète du marché, ses standards, ses chaînes de valeur, ses écosystèmes. Michelin et Renault ont gagné une avance décisive en se familiarisant avec ces mondes.

En s’intéressant aux champions cachés, des entreprises qui n’étaient pas dans son champ de vision, l’État a découvert un trésor insoupçonné dans le cadre d’une expérimentation en Normandie. L’action publique se rebâtit dans une inversion de perspective, autour des entreprises qui décollent plutôt que des filières qui s’essoufflent, et les relations État-entreprise prennent des formes nouvelles.

Aux Mureaux, le basculement est cognitif. Imaginer la ville, à la réputation désastreuse, comme une destination touristique paraît impossible. Sauf à se dire… que cela n’a rien d’impossible. C’est alors une réalité tout autre qui se dessine et petit à petit, à force de conviction, des possibilités se font jour. Sous l’impulsion de Jean-Marc Sémoulin, ce sont de plus en plus d’acteurs et habitants de la ville qui se prennent à rêver et participent à la réalisation du rêve.

Se retrouver du jour au lendemain dans un univers dont les lois nous sont inconnues… L’impact de l’œuvre de Lewis Carroll sur notre imaginaire tient sans doute à l’universalisme du thème du basculement et à l’angoisse qu’il peut générer. Sortir de sa zone de confort, injonction à la mode, traduit en creux cette difficulté à passer dans un contexte inconnu. Il tient aussi à ce que cette angoisse se double d’une promesse ténue de l’accès à un monde dans lequel suivre un lapin en retard peut vous donner une longueur d’avance. Un pays des merveilles ?

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