Le dernier kilomètre

Publié le mardi 17 novembre 2020

Il y a ce sentiment étrange que nous en avons mis sous le tapis, pendant des années, des siècles, et que
tout cela remonte aujourd’hui, à force d’accumulation, en déclenchant toutes sortes d’intolérances.
Sous le tapis, angles morts, laissés-pour-compte… Elles sont nombreuses, les expressions, à décrire
ces phénomènes de non-prise en compte, consciente ou non, de parties prenantes potentielles, ou d’effets
induits ou collatéraux.

L’économie a inventé la notion d’externalités pour reconnaître que ses cadres d’analyse laissaient de côté
un certain nombre de phénomènes. Depuis, la responsabilité sociale de l’entreprise, l’entreprise inclusive,
la décarbonation, la diversité, les stratégies dites Bas de la pyramide, l’égalité professionnelle entre les
femmes et les hommes, la lutte contre l’exclusion et les inégalités… se sont imposés comme des enjeux
d’autant plus importants qu’ils avaient été longtemps négligés. Car longtemps, le progrès a été comme
un train lancé à pleine vitesse, qui faisait peu de cas de ce qui l’entourait et laissait dans son sillage
beaucoup de laissés-pour-compte.

Tous ces trains manqués n’ont pas les mêmes explications. L’efficacité et le pragmatisme ont compté.
Le développement économique s’est longtemps opéré dans une approche industrielle, dans laquelle
le traitement singulier avait un coût marginal important. La notion de “dernier kilomètre”, bien connue
en logistique, traduit le fait que le coût de traitement s’accroît au fur et à mesure qu’on se rapproche
du point de livraison final, au fur et à mesure qu’on touche au singulier. Embarquer toutes les parties
prenantes nécessite un travail de fourmi.

Une autre explication à ces oublis s’impose malheureusement, celle des sacrifices que l’on fait au nom
de l’idée de progrès. Les grandes découvertes ont été conduites les cales remplies d’esclaves. Les promesses
de l’intelligence artificielle se font aujourd’hui en partie sur le dos de damnés du numérique, travailleurs
essentiels au perfectionnement de cette technologie, mais relégués aux oubliettes pour en préserver
le mythe.

Comment la finance peut-elle aider à sortir les gens de la pauvreté ? Quelle place et quel rôle pour
les soutiers du numérique ? Comment se traite la question des déchets, effet induit longtemps négligé du
progrès ? Comment les champions cachés, ces PME très performantes mais peu visibles, parviennent-ils
à recruter ? Comment, pour une entreprise, prendre le temps de s’intéresser aux start-up et d’intégrer
les technologies qu’elles développent ? Les articles de ce numéro traitent, selon des dimensions différentes,
de la capacité des entreprises à prendre en compte les angles morts.

Le dernier kilomètre, qu’il s’agit de parvenir à accomplir enfin, consiste à ne laisser plus rien ni personne
au bord de la voie. Un dernier kilomètre qui ne marque pas la fin d’un voyage pour le train du progrès,
mais l’entrée dans un cheminement apaisé et sans limite. Chi va sano va lontano.

Thomas Paris

Édito du Journal de l'École de Paris du management n° 146

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