Le Journal de l'École de Paris - juillet/août 2008

Résister

juillet/août 2008

L'édito de Michel BERRY

Si l'on donne des cours de stratégie dans les formations au management, on n'y propose guère, à ma connaissance, des cours de résistance. Peut-être est-ce un acte trop souterrain pour le mettre en pleine lumière, trop risqué pour y encourager les étudiants, ou trop subversif : quand on prépare les futurs chefs, on les imagine en tête et conduisant la manœuvre, pas derrière organisant la résistance. Ce numéro illustre différentes manières de résister. L'article sur le sauvetage d'Alstom illustre la résistance glorieuse. Face à une situation quasi désespérée, Patrick Kron se bat en tête de ses troupes et les galvanise bien qu'il soit obligé de sacrifier une partie d'entre elles. Il a une grande force d'âme et ne connaît guère la peur, cela frappera ceux qui regarderont notre film diffusé à l'automne. On verra aussi que surmonter l'adversité suppose de rassurer les clients, rallier des soutiens, voire retourner des ennemis, ce qui demande aussi des talents rhétoriques et diplomatiques. L'article sur Aïna illustre la résistance courageuse et inventive. Créer une presse libre en Afghanistan avec une majorité de journalistes femmes aurait paru un projet insensé aux connaisseurs de la région, même après le départ des Talibans. Pas à Reza, qui avait appris dès sa jeunesse en Iran combien il pouvait être dangereux de dire le vrai sous des régimes totalitaires, et comment utiliser l'image pour faire avancer des causes justes. L'article sur le monde de l'édition illustre la difficulté d'organiser une résistance face à une domination sans partage, ici celle des diffuseurs qui gagnent à faire circuler toujours plus d'ouvrages indépendamment de leur qualité. On observe certes des résistances locales, à l'initiative d'éditeurs ou de libraires, mais un mouvement coordonné pourrait offrir de meilleures perspectives de succès. Cela suppose, comme toujours face à l'adversité, des moyens d'information efficaces ; l'internet n'offrirait-il pas ici un moyen approprié ? Le cas de la Logan pourrait illustrer la résistance opportuniste. Le succès de cette voiture minimale est confondant : on en veut partout, au point qu'il faut user de subterfuges pour éviter qu'elle ne vienne cannibaliser les marchés européens, où l'on pensait que l'avenir était à la sophistication. Le groupe Renault-Nissan envisage maintenant d'exploiter ce succès imprévu pour en faire un axe de conquête sur le champ de concurrence mondiale. Le cas des Grandes écoles françaises évoque le village d'Astérix confronté aux légions d'universités, jadis anglo-saxonnes, aujourd'hui en plus asiatiques, qui les pulvérisent au classement de Shanghaï. De bons esprits, y compris en France même, les invitent à se couler dans le moule universel. Mais à en juger par les performances de leurs anciens élèves à la tête des entreprises et par les productions de leurs laboratoires de recherche, on se dit qu'il ne faut peut-être pas se hâter de mettre en péril les rêves qui leur ont donné naissance et qui les animent encore. L'école est portée à valoriser les bons élèves, ceux qui sont obsédés d'avoir de bonnes notes en réalisant au mieux ce qu'on leur demande de faire. Ce ne sont pas précisément les qualités qui font les bons résistants. Méfions-nous donc des enseignements trop scolaires, notamment pour ceux qui préparent à l'art du management.
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