Le Journal de l'École de Paris - Novembre/décembre 2000

Le management en chefs-d’œuvre

Novembre/décembre 2000

L'édito de Michel BERRY

Chef-d’œuvre : 1. ANCIENNT : Œuvre capitale et difficile qu’un artisan devait faire pour recevoir la maîtrise dans sa corporation. – MOD : La meilleure œuvre d’un auteur. C’est son chef-d’œuvre. 2. PAR EXT. Œuvre accomplie en son genre. ===> perfection. Un vrai petit chef-d’œuvre. « Le chef-d’œuvre littéraire de la France est peut-être sa prose abstraite ». (Valéry) 3. FIG. Ce qui est parfait en son genre. ===> prodige. Accomplir, déployer des chefs-d’œuvre d’habileté, d’intelligence. (Petit Robert) Ces trois définitions se bousculeront à l’esprit en lisant ce numéro. On considère aujourd’hui que la pyramide du Louvre est une œuvre accomplie en son genre. Pour Ieoh Ming Peï, c’est le plus grand défi de sa vie. On comprendra, avec les témoignages de Frédéric Compain, Jean Lebrat et Michel Macary, que les promoteurs du projet ont dû mobiliser tous les talents (les habiletés diraient les Québécois) que l’on prête aux grands managers : l’énergie, la résistance au stress, l’audace, l’écoute, la patience, la ruse. Négocier est un acte élémentaire du management. Les principes pour mener une bonne négociation sont simples à énoncer, mais, pour reprendre la réflexion de Claude Riveline dans la page “Idées”, le corps résiste : des expressions trahissent des intentions ; des déclarations de l’Autre déclenchent des réactions affectives non maîtrisées ; on a peur de ses arrières, etc. Bien négocier demande donc une longue maîtrise. On devinera que c’était le cas de François Brousse pour réussir son chef-d’œuvre de négociation avec des contrefacteurs américains. Jean-François Dortier partageait avec Jean-Claude Ruano une passion pour les sciences humaines. Regrettant que les institutions académiques cloisonnent les savoirs et les rendent ésotériques, les deux amis en viennent à rêver d’une revue traitant de toutes les sciences humaines et accessible à un large public. Comme elle n’existait pas, ils se mettent en quête de la créer. Ils sont aujourd’hui comme des artisans ayant réalisé une œuvre sans équivalent dans le monde : la revue Sciences humaines. On sera émerveillé, comme Christophe Midler, par l’organisation de Renault F1 décrite par Bruno Mauduit. Par ajustements progressifs, des acteurs poussés par la nécessité de gagner ont mis au point une petite merveille d’organisation qui discipline les talents sans les étouffer et valorise chacun malgré tous les ego réunis. Elle ne paraît toutefois pas facile à recopier, à voir les déboires d’autres équipes de F1. C’est que cette réussite relève surtout de savoir-faire distillés au cours du temps. Aujourd’hui, les chercheurs valorisent les concepts et les consultants les méthodes, les uns et les autres considérant les savoir-faire comme secondaires. La tradition du compagnonnage mettait au contraire l’accent sur les savoir-faire, tout en créant des œuvres dont l’audace émerveille encore. La réalisation de chefs-d’œuvre permettait aux compagnons de faire reconnaître leur maîtrise, mais elle créait aussi une émulation : le monopole des travaux d’une ville pouvait être attribué à la compagnie qui avait produit le plus beau chef-d’œuvre. Chacun étudiait alors de près comment les autres s’y prenaient, et cela magnifiait les savoir-faire. L’Ecole de Paris transpose à sa manière la célébration du chef-d’œuvre : inviter des praticiens à présenter à leurs pairs et à des connaisseurs des expériences qui ont particulièrement sollicité leur savoir-faire et diffuser des comptes rendus de ces séances. Ainsi peut s’établir un rapport plus équilibré entre théorie et pratique.
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