L’accueil familial, où une personne âgée est hébergée par un accueillant dont elle est l’employeur, est un dispo­sitif méconnu. Pour le faire connaître, Paul-Alexis Racine-Jourdren crée une plateforme de mise en relation. Le succès est tel qu’il lance une autre formule : des maisons de colocation pour seniors, où sont employés des aidants mieux payés et plus autonomes que dans les EHPAD. La prise en charge des pensionnaires y est meilleure pour un coût moitié moindre. Le besoin étant considérable, 100 maisons de ce type sont créées par an…


Exposé de Paul-Alexis Racine-Jourdren

J’ai initialement suivi un parcours classique dans le monde des banques d’affaires, avant de le quitter, en 2016, pour me lancer dans une activité radicalement différente qui est née, quelques années plus tôt, d’une expérience profondément personnelle.

En 2013, dans ma ville normande d’Argentan, un ami me demande de l’aide afin de trouver un lieu d’accueil pour son père qui est en perte progressive d’autonomie. La seule option s’offrant alors à lui étant celle d’un placement en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), nous en visitons trois aux alentours d’Argentan. Le premier est très cher, le second n’accueille que des personnes en perte d’autonomie sévère et le troisième n’a plus de disponibilités. Résigné à devoir maintenir son père à la maison, mon ami envisage alors la solution de l’aide à domicile. Quelques mois plus tard, à ma grande stupéfaction, il me dit : « J’ai mis mon père sur Leboncoin ! » Son médecin de famille lui a en effet parlé de l’accueil familial, solution où des particuliers prennent soin de personnes âgées ou en situation de handicap en les hébergeant chez eux à titre onéreux. Ces personnes proposent leurs services par le bais d’annonces sur Leboncoin.

Un modèle vertueux

Ne connaissant pas cette possibilité, je souhaite me rendre compte par moi-même de ce qu’elle recouvre. C’est dans une belle maison avec trois chambres adaptées, de plain-pied et ouvrant sur un grand jardin, que je retrouve le père de mon ami, occupé à dessiner au soleil. Il est évident que cette solution convient parfaitement à son degré d’autonomie. L’accueillante m’explique qu’après avoir exercé pendant vingt ans en maison de retraite, son travail, noyé dans la profusion de normes contraignantes, a fini par perdre tout son sens à ses yeux. Il ne correspondait plus à ce pour quoi elle s’y était engagée. Elle a donc demandé un agrément à son conseil départemental afin de créer sa propre petite structure. Ce modèle s’avère tout à fait vertueux puisqu’il crée des emplois non délocalisables dans les territoires, optimise l’occupation d’une maison familiale après le départ des enfants tout en mutualisant les charges, et apporte une réponse de proximité à la problématique du vieillissement de la population, sans induire de frais de structure excessifs.

Le principal souci de cette dame étant son manque de notoriété, je lui propose de réaliser un site internet afin de mettre en valeur sa solution d’accueil. Enthousiasmée, elle en parle à des amies, accueillantes familiales comme elle, qui se joignent aussitôt au projet. Je me retrouve ainsi à gérer un site d’une quinzaine de pages. Peu après, le journaliste de télévision Frédéric Lopez me contacte et me propose de réaliser un reportage sur cette solution alternative qu’il vient de découvrir. Ce reportage sera diffusé dans son émission Mille et une vies sur France 2. N’ayant à cette époque qu’une quinzaine de visiteurs par mois sur le site, je lui fais part de mes doutes quant à l’intérêt du grand public pour ce sujet, mais il me convainc de jouer le jeu. La veille de la diffusion, un ami me propose de mettre à ma disposition une ligne vers le centre d’appels qu’il gère et me conseille d’afficher, à l’issue du reportage – et à tout hasard –, ce numéro de téléphone. L’émission est diffusée un vendredi après-midi. Le soir même, mon ami me téléphone, stupéfait, pour me dire qu’il a déjà reçu 2 500 appels de personnes cherchant des solutions pour leurs proches et il m’en communique la liste. Abasourdi, je me dis que j’ai peut-être enfin trouvé ma vocation.

Je décide alors de quitter le monde de la finance afin de m’investir entièrement dans un projet de mise en relation de cette énorme demande avec la solution innovante qu’est l’accueil familial, l’augmentation des problématiques d’autonomie liées au grand âge étant une megatrend peu susceptible d’être affectée par des événements contingents. Je commence donc à prospecter, sans modèle économique préconçu, soucieux d’apprendre le fonctionnement du marché. Peu à peu, le bouche à oreille faisant son effet, je me retrouve, en 2019, avec des milliers de propositions d’accueil sur ma plateforme, qui est consultée chaque mois par des dizaines de milliers de visiteurs. Dorénavant, la question qui se pose est de savoir comment passer à l’étape suivante.

© Véronique Deiss

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