« Trop complexe, trop politique, trop fragmenté, intransformable… n’y va pas  ! » dit-on à Laura Létourneau quand lui est proposée la responsabilité de la transformation numérique de la santé, en binôme avec le directeur d’une clinique privée. Pourtant, depuis, la feuille de route numérique coconstruite avec les parties prenantes, à partir des irritants recensés, s’est imposée à tous. Cette réussite est le fruit de la mise en tension de l’écosystème et d’engagements tenus les uns après les autres. N’est-ce pas la méthode des GAFAM ?

Exposé de Laura Létourneau


J’ai publié en 2017, avec Clément Bertholet, un livre tiré de notre mémoire de fin d’études à l’École des mines, intitulé Ubérisons l’État ! Avant que d’autres ne s’en chargent. Constatant l’ubérisation croissante des services publics par les GAFAM, nous proposions le modèle d’un “État plateforme” pour y remédier1.

J’ai d’abord été recrutée par l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) pour mettre ce modèle en œuvre. Puis j’ai été sollicitée par le ministère des Solidarités et de la Santé. La plupart de mes amis me disaient : « Ne va pas dans la santé publique, ça va être l’enfer. C’est trop complexe, trop politique, trop fragmenté, intransformable… Tu vas passer ton temps à te prendre des coups de couteau dans le dos et tu n’arriveras à rien ! »

C’est alors que, tout à fait par hasard, j’ai fait la rencontre de Dominique Pon. Il connaissait l’ancien directeur de cabinet d’Agnès Buzyn, Raymond Le Moign, qui était à la tête du CHU (centre hospitalier universitaire) de Toulouse, tandis que lui-même dirigeait la clinique Pasteur, également à Toulouse. Tous deux s’appréciaient et Raymond Le Moign avait demandé à Dominique Pon de procéder à un état des lieux sur le numérique dans la santé en France, dans le cadre du plan Ma santé 2022, lancé par Agnès Buzyn.

Le rapport « Accélérer le virage numérique »

En septembre 2018, Dominique Pon a rendu son rapport « Accélérer le virage numérique », rédigé avec Annelore Coury. Le constat était plutôt déprimant. De fait, il suffit d’être hospitalisé pour se rendre compte que nous n’avons pas accès à nos données et que le dossier médical partagé (DMP), créé en 2004 (avant le premier iPhone…), est toujours désespérément vide. Certains hôpitaux mettent à la disposition de leurs patients des services de préadmission en ligne ou d’autres services numériques, mais, en raison de la faible sécurisation des systèmes d’information, ceux-ci sont parfois victimes de cyberattaques, engendrant des fuites importantes de données. Par ailleurs, les services numériques actuels des acteurs du soin ne sont pas suffisamment interopérables pour permettre d’instaurer ce que l’on appelle le parcours santé, c’est-à-dire la circulation d’un compte rendu d’analyses biologiques entre le laboratoire, le médecin traitant, l’EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), ou encore le centre de rééducation.

Au-delà des données de santé, les services e-santé sur le marché sont encore balbutiants, même s’ils se multiplient progressivement. Doctolib est le plus connu, mais il en existe beaucoup d’autres, dans le domaine de la télésurveillance, des dispositifs médicaux connectés, des téléconsultations, des algorithmes à base d’intelligence artificielle permettant de mieux détecter les cancers, etc. Il convient de favoriser leur émergence et de s’assurer qu’ils respectent les règles d’interopérabilité, de sécurité, d’éthique…

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