« Un jour ou un autre, je crois que je trouverai le moyen de faire une exposition à moi dans un café. » Ce rêve de Van Gogh, un entrepreneur l’a fait sien. Dominique-Charles Janssens a fait de l’auberge où le peintre vécut ses derniers jours un lieu de mémoire. Cette longue aventure a dû composer avec les difficultés de l’exploitation d’un lieu culturel privé et a pu compter sur l’extraordinaire popularité du peintre dans le monde entier. Il reste désormais à aller au bout du rêve : exposer un tableau du maître dans sa dernière chambre…
– Exposé de Dominique-Charles Janssens –
Choc à Auvers-sur-Oise
Tout a commencé par un accident. Un jour de 1985, alors que je traversais Auvers-sur-Oise, un chauffard m’a percuté et m’a laissé gravement blessé. Au cours des deux mois de rééducation qui ont suivi, j’ai appris que cet événement s’était produit devant la maison où Vincent Van Gogh avait passé les soixante-dix derniers jours de sa vie, l’auberge Ravoux. De ce peintre, je n’avais qu’une image hollywoodienne mêlant prostituées, alcool, folie et suicide. En réalité, je ne savais rien de lui. Je me suis plongé dans la correspondance qu’il a entretenue avec son frère Theo et ses amis, ai suivi sa trace de Paris à Arles, Saint-Rémy-de-Provence et Auvers-sur-Oise. Parmi les 38 maisons qu’il avait habitées, seule l’auberge Ravoux restait intacte. Là, dans une chambre dénudée qu’il occupait pour 1 franc par jour, il a réalisé plus de 70 œuvres avant de se donner la mort. Ce fut sa période la plus productive.
Dans la première lettre que j’ai lue de Van Gogh, il confie à son frère qu’Auvers-sur-Oise, où il vient de s’installer, est « gravement beau ». Plus loin, il affirme : « Un jour ou un autre, je crois que je trouverai le moyen de faire une exposition à moi dans un café. » Cette phrase m’a touché, tant elle tranche avec notre société qui veut voir toujours plus grand, obtenir toujours davantage. Le monde de l’art manque souvent de simplicité ; or, c’est précisément la simplicité que j’aime chez Van Gogh. Ma ville natale, Bruges, est celle de grands maîtres comme Van Eyck, Van Dyck et Memling, qui étaient inscrits à l’ordre des artisans. Aujourd’hui, tout le monde se veut artiste, mais qui se reconnaît artisan ? En hommage à la modestie de Van Gogh, j’ai décidé de réaliser son rêve : je l’exposerai dans l’auberge même où il avait produit des chefs-d’œuvre. Aussi ai-je décidé d’acquérir l’auberge Ravoux, petite maison faisant face à la mairie, où sept générations de restaurateurs s’étaient succédé sans y effectuer les moindres travaux. Je n’entendais pas en faire un musée, mais un lieu de mémoire qui resterait un lieu de vie.
Marier économie et culture, passion et raison
Quand j’ai conçu ce projet, j’étais directeur marketing export chez Danone. Je sillonnais la planète à longueur d’année, m’informant des hôtels à éviter, des restaurants incontournables... Avec l’auberge Ravoux, j’ai découvert le plus petit hôtel au monde. Elle était classée monument historique. À l’époque, personne n’en voulait. Des élus communistes entendaient certes la transformer en maison du peuple, mais le ministère de la Culture avait une position plus nuancée : « Laissons au privé ce que le public ne peut pas faire, et laissons au public ce que le privé ne peut pas faire », avait en substance affirmé Jack Lang.
Le choix de l’indépendance
Après deux ans de négociation, la maison m’a été cédée pour 3 millions de francs, l’équivalent de 450 000 euros. Ce fut la première étape d’un parcours d’obstacles administratifs et politiques. Si l’on s’est d’abord réjoui de cette initiative d’un compatriote de Van Gogh, la tâche ne m’a pas été facilitée pour autant ! En tant que propriétaire d’un monument historique, je pouvais obtenir une subvention couvrant 40 % des travaux de restauration, à condition d’obtenir l’aval des Bâtiments de France et de m’adresser à des entrepreneurs agréés. En toute logique, les devis qui m’ont été proposés étaient bien supérieurs au prix du marché... Pour avoir œuvré à l’implantation d’une usine Danone à Boissy-Saint-Léger, avec le soutien de l’État, je connaissais les méandres administratifs français, avec leur complexité et leur inertie. J’ai donc décidé de me passer de tout financement public et de rester indépendant ; ainsi, je gagnerais du temps, et n’aurais pas à me soumettre aux desiderata d’un architecte imposé. J’ai sillonné le quartier historique du Marais, à Paris, pour repérer les bâtiments atypiques qui avaient été restaurés avec goût. J’ai ensuite contacté leurs architectes et leur ai soumis mon idée : s’ils étaient intéressés par l’argent, nul besoin de me répondre, mais s’ils aimaient Van Gogh, qu’ils me contactent ! Bernard Schoebel, grand prix de Rome, s’est porté candidat, m’expliquant que Vincent Van Gogh était sa vie. C’est lui qui a mené le projet, avec l’accord du ministère de la Culture. Nous avons sollicité des entreprises adoubées par les Bâtiments de France – à un prix raisonnable, cette fois –, et le chantier a été lancé. Tout était à refaire dans cette auberge datant de 1855, mais tout devait rester à l’identique pour préserver l’esprit des lieux.
Le succès et ses aléas
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