Le Journal de l'École de Paris - mars/avril 2014

Le défi français

mars/avril 2014

L'édito de Thomas PARIS

Si le navigateur Franck Cammas gagne tout, il le doit à son talent, sa passion, sa soif de victoires. Après avoir emmené son équipe gagner la Volvo Ocean Race, chasse gardée anglo-saxonne, il s’est fixé comme objectif de constituer un défi français compétitif pour la Coupe de l’America en 2017. Le Graal... Mais si Franck Cammas gagne tout, c’est aussi qu’il a pris la pleine mesure des leviers de la performance : une équipe compétente et motivée, et la capacité à développer et maîtriser un bateau à la pointe de la technologie. Le défi français n’est pas une chimère, mais la conviction que la France dispose de savoir-faire et de talents, et que la fierté d’appartenir à une équipe française peut faire le reste : conserver nos meilleurs talents avant qu’ils ne partent sur les projets étrangers, mobiliser et fédérer les soutiens nécessaires, initier une dynamique qui générera une image forte, mettra en valeur un savoir-faire, une technologie et une capacité d’innovation, et pourra s’affirmer comme un vecteur de développement économique. Le défi français, c’est celui de la confiance retrouvée dans les atouts de notre pays. Le défi français, on le sait, porte aussi sur l’industrie. Ou plus précisément, sur l’équilibre des composantes de notre économie, car il s’agit de dépasser les antiennes pour bien comprendre les enjeux de la désindustrialisation. Le débat présenté en deuxième position de ce numéro s’y emploie, mettant en évidence notamment que la désindustrialisation masque des gains de productivité et la requalification de certaines activités industrielles en services, et que l’enjeu porte plus sur le rééquilibrage des emplois nomades et sédentaires, selon les catégories proposées par Pierre-Noël Giraud. La tentation est forte de prendre modèle sur des politiques qui ont réussi chez nos voisins. Le modèle allemand, selon Guillaume Duval, doit être pris avec prudence : il s’agit d’en comprendre les atouts sans reproduire ses erreurs. Selon lui, ce n’est pas la politique de Gerhard Schröder qui explique la situation de l’Allemagne, mais d’autres facteurs liés à sa démographie, sa spécialisation ou la réunification. Stephan Guinchard fait tenir, quant à lui, le succès de l’Allemagne au nombre de ses “champions cachés”, ces entreprises moyennes, peu connues du grand public, mais leaders dans leur domaine. Sous cet angle, le défi français impliquerait alors de favoriser l’affirmation de champions cachés, pour amorcer le cercle vertueux à l’origine du succès de l’Allemagne : la production de produits haut de gamme permet de vendre plus cher que les concurrents, et de dégager plus de marges à réinvestir en R&D. Moret Industries est-elle l’un de ces champions cachés français ? Son succès est présenté comme la combinaison d’une compétence technologique, d’une puissance commerciale et d’un esprit de conquête. Ainsi armée, l’entreprise n’a pas pris la concurrence des pays émergents comme une fatalité, et a joué la carte de la grande exportation : Singapour et la Chine plutôt que l’Europe, pour tirer profit d’un environnement concurrentiel plus favorable. Le tourisme est constitué des emplois sédentaires sur lesquels il faut aussi s’appuyer. Car la France dispose là, pour Julien Barnu et Amine Hamouche, d’un gisement économique considérable. Sa première place en la matière est trompeuse, et masque une prise en considération du secteur malaisée. Les recettes pour exploiter ce gisement sont connues, mais le blocage serait surtout psychologique, relevant de raisons culturelles profondes : « nous avons le tourisme honteux. » D’autres pays ont pourtant montré que ces blocages pouvaient être dépassés. La France peut-elle s’en inspirer ? Les ressources sont là. La France a des atouts : des talents, des compétences technologiques, un savoir-faire, un patrimoine, un goût de l’innovation… Et peut-être une fierté, enfouie, mais qui ne demande qu’à rejaillir dans une dynamique collective. Si le défi français est d’abord celui de la confiance, c’est aussi, nous enseigne Franck Cammas, celui de la connaissance précise de son embarcation. Nul doute que ce numéro contribue à une meilleure connaissance du bateau France.
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