Au hit parade des valeurs d'aujourd'hui sont en tête l'universel et l'individu. La première est exaltée par la mondialisation de l'économie et la communication sans frontières de l'internet. La seconde renvoie à l'attente de chacun d'être reconnu dans sa singularité. Les start-ups symbolisent la rencontre de ces deux valeurs, mais comment font les grandes entreprises pour concilier ces deux attentes contradictoires ? Les articles de ce numéro permettent d'y réfléchir.
Travailler, c'est trouvailler dit Christophe Dejours car il faut inventer sans cesse un chemin face aux résistances du réel. Cela suppose de s'engager dans sa subjectivité. Sinon rien ne marche bien, comme là où les gens n'ont plus le cœur à l'ouvrage. L'assurance de voir leur travail reconnu est le moteur de cette implication. Le plaisir que cela leur procure bascule dans la souffrance lorsque le travail n'est plus reconnu. C'est le cas, selon Christophe Dejours, dans une ambiance de guerre économique, où les gens sont réquisitionnés sous la menace et non plus considérés pour leurs talents propres. À cela, Michel Villette répond que les individus savent se battre pour défendre leur quant à soi.
Quand une multinationale veut s'ouvrir à de nouveaux métiers en acquérant des PME, il lui faut des précautions. "Moi, je ne vais pas me laisser enfermer par des technocrates", dit tout patron dynamique de PME. Pierre de Laroche témoigne de son expérience à L'Air Liquide : pour approcher des patrons de PME comme des égaux, un statut de patron local est un atout ; si on leur laisse une part suffisante du capital, ils gardent des motivations d'entrepreneurs ; les protéger des menées des services fonctionnels leur permet de trouver leurs marques. On devinera que c'est difficile pour des multinationales, surtout si elles veulent croître vite.
Il se crée, selon Bernard Giraud, une divergence croissante entre les aspirations des salariés et de l'opinion en général et la façon dont fonctionnent les entreprises. Des ONG prennent pour cibles les entreprises pour défendre la dignité de l'Homme ou la protection de l'environnement. On réalise des audits sociaux, dont l'importance va croissant dans les jugements portés par les investisseurs. La façon dont le personnel s'implique dans des projets citoyens montre que cela répond à une forte attente de sa part. L'entreprise est donc progressivement envahie par l'humain et l'on verra comment Danone compte faire de la préoccupation du social un axe stratégique de différenciation.
L'idéal du commerce est de faire du client un roi et le mot d'ordre des entreprises est : "mettez-vous à la place du client !". Mais attention, un individu peut en cacher un autre, dit Jean-Philippe Neuville : au nom du client reviennent à la charge les chefs traditionnels, parés d'une nouvelle légitimité. La sauce client peut alors renforcer les conservatismes. Mais les choses vont changer, dit Franck Cochoy, car la traçabilité des produits et des procédés va avoir un effet considérable : le client aura vraiment les moyens d'investiguer dans l'entreprise et de faire valoir ses droits.
Décidément, l'entreprise va devoir compter avec les individus.