Les casques de réalité virtuelle sont apparus dans les années 1970. Après avoir suscité un engouement important au début des années 2010, puis avoir été cantonnés à quelques applications pointues, ils sont peut-être en train de trouver une application grand public. Depuis 2021, Emissive a produit trois “expéditions immersives” qui ont rencontré leur public. La technologie est au point, le modèle d’exploitation se déploie en France et à l’international, et le langage s’affine. Un nouveau média est en train de naître.


Exposé d’Emmanuel Guerriero et Catherine Seys

Emmanuel Guerriero : Fabien Barati et moi avons créé Emissive il y a dix-huit ans. Notre ambition a toujours été de proposer des projets qui utilisent des technologies dites “immersives” pour mettre le spectateur au cœur de l’image et en interaction avec elle. Ce dernier point, essentiel, était un challenge. Fallait-il privilégier la borne, qui offre une expérience forte, mais la restreint à un seul utilisateur, ou aller vers des interactions de groupe, comme on pouvait le faire à la Géode, à Paris, où l’audience suivait une présentation pilotée en live par un opérateur, capable de faire varier les scénarios ? Pendant plusieurs années, nous avons envisagé différentes façons de procéder, jusqu’à l’arrivée de la réalité virtuelle.

Les premiers casques proposaient une détection des mouvements sur des axes de rotation : lorsqu’on bougeait la tête, ils restaient en position fixe, nous permettant de voir un objet, mais pas de nous en approcher. C’était un premier schéma d’immersion, qui permettait de réaliser le fantasme d’entrer dans l’écran, mais sans la finesse de l’interaction naturelle. L’innovation majeure a été l’invention du room-scale, qui permet de se déplacer à l’échelle d’une pièce. Nous étions face à un changement de paradigme : le casque n’était plus seulement un objet “geek”, il permettait au grand public, sans temps d’apprentissage, de circuler naturellement dans un environnement et d’interagir avec lui. Dès lors, nous nous sommes focalisés sur ces technologies et avons commencé à déployer la réalité virtuelle dans l’événementiel, pour des marques de luxe.

Au départ, nous proposions à une partie limitée d’une audience, par exemple celle du Saut Hermès, de vivre une expérience immersive de réalité virtuelle. Rapidement, la technologie étant à maturité et les retours enthousiastes, nous avons voulu passer de 10 % à 100 % d’une jauge, pour que notre proposition ne soit plus seulement un bonus, mais un support événementiel à part entière. Nos projets ayant toujours été liés à des thématiques culturelles, nous avons choisi de reprendre le schéma d’une exposition, c’est-à-dire du parcours, qui permet aux visiteurs d’entrer dans le lieu, de le visiter et d’en sortir. Nous avons donc cherché à décliner ce modèle de gestion de flux pour la réalité virtuelle.

Parallèlement, nous voulions être identifiés sur le marché. Jusqu’alors, nos projets reposaient sur des financements adossés à des événements : il fallait inventer une unité pérenne et indépendante, et exister non seulement grâce à notre technologie, mais également grâce à un concept et un modèle économique. Pour atteindre l’autonomie financière, nous devions gérer des flux plus importants, bien positionner nos tarifs et proposer un modèle robuste, opérable par d’autres. Toutes nos réflexions étaient tendues vers l’invention et l’expérimentation d’une première version de ce projet.

Premiers projets : Éternelle Notre-Dame et L’Horizon de Khéops

Nous avons mené une levée de fonds pour aller au bout d’un prototype et tester notre MVP (Minimum Viable Product), de façon à définir notre essence et notre stratégie. L’un des premiers défis était d’inventer le dispositif à même d’accueillir le concept que nous étions en train de créer. En parallèle s’est posée la question du nom. Étant donné qu’il fallait – surtout pour les premières versions – s’équiper du casque et d’un sac à dos, qui contenait l’ordinateur, nous avons voulu préparer le spectateur au fait qu’il allait s’engager dans une aventure qui l’impliquait physiquement. La notion d’“expédition immersive” nous a semblé donner le juste aperçu de l’expérience.

Les étoiles se sont ensuite alignées : alors que nous réalisions cette levée de fonds, Orange a lancé un appel à projets pour une exposition de réalité virtuelle sur la cathédrale Notre-Dame de Paris. Leur cahier des charges correspondait à ce que nous proposions : nous avons remporté l’appel. La version minimale que nous cherchions à développer a donc été ce projet à destination du grand public ! Nous avons créé le format, la technologie et le contenu, que nous avons vendu à Orange. Ce dernier l’a produit, et c’est Amaclio Productions qui, en tant qu’opérateur pionnier et courageux – puisqu’il endossait les risques attachés au déploiement du concept –, l’a mis en œuvre à La Défense. L’intégralité des revenus liés à la propriété intellectuelle de ce premier projet servent à la reconstruction de Notre-Dame.

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