Souvent parmi les premières à embrasser les opportunités créatives des innovations technologiques, l’industrie du jeu vidéo joue un rôle crucial d’expérimentation. En ouvrant les univers et les nouveaux types d’interactions qu’elle développe à d’autres industries, elle introduit une rupture dans l’organisation de leur production. Le projet documentaire multi­format Lady Sapiens est une illustration concrète de cette bascule, qui pourrait tout aussi bien concerner le marketing, la santé, l’hospitalité, ou encore la formation.


Exposé de Déborah Papiernik et Sophie Parrault

Une base scientifique reconnue

Déborah Papiernik : Les auteurs de documentaires, historiques ou scientifiques, ont souvent besoin d’illustrer leur propos avec des images, qu’ils vont alors chercher dans des films existants ou qu’ils produisent eux-mêmes sous forme de reconstitutions ou d’animations, avec tous les coûts et délais inhérents. Ubisoft, grâce au jeu vidéo, leur offre une autre option qu’illustre le projet Lady Sapiens, projet “transmédia” composé de plusieurs contenus abordant des aspects différents du même sujet, afin d’en présenter les multiples facettes ou de s’adresser à des publics divers.

Sophie Parrault : Ce projet, développé par Little Big Story, société française de production audiovisuelle, repose sur une enquête scientifique. En février 2018, avec Thomas Cirotteau, Jacques Malaterre et Éric Pincas, nous venions de terminer le documentaire Qui a tué Néandertal ?, produit en association avec France 5, et nous avions envie de poursuivre notre collaboration autour de la préhistoire. Nous étions également en pleine période d’émergence du mouvement Me Too et, à force de n’entendre parler que d’Homo sapiens, une question évidente a surgi : quel a été le rôle des femmes dans la préhistoire ? Aucun de nous n’était en mesure d’y répondre !

Il nous fallait dépasser la vision stéréotypée, centrée sur les seuls hommes, héritée des premiers préhistoriens du XIXe siècle. Ainsi, une sépulture paléolithique aux parois gravées, découverte en Italie à la fin du XIXe siècle, contenait une dépouille, de grande taille (1,85 mètre), richement ornée et entourée d’armes de chasse. Il était évident pour le découvreur qu’il ne pouvait s’agir que de la tombe d’un chef, visiblement puissant et respecté. Un siècle plus tard, les préhistoriens Marie-Antoinette et Henry de Lumley ont repris les analyses et établi que ce squelette appartenait de façon irréfutable à une femme. L’Homme de Menton est alors devenue la Dame de Cavillon, forte personnalité ayant à l’évidence joué un rôle social prestigieux.

Peu de scientifiques s’étant posé la question de la place de la femme à cette époque, la première mission des auteurs a été de faire le point sur les avancées scientifiques récentes concernant l’Homo sapiens. Nous avons alors rencontré Sophie Archambault de Beaune, qui a consacré quinze années de sa vie de chercheuse à l’étude de la répartition des tâches entre hommes et femmes au Paléolithique. Elle a accepté de nous donner accès à ses travaux et c’est sur cette base scientifique reconnue que nous avons pu contacter des chercheurs dans le monde entier, puis chercher un partenaire de diffusion, en l’occurrence, France Télévisions.

Il fallait ensuite mettre en images ce propos scientifique. Incarner une femme du Paléolithique nous posait cependant un vrai problème. Autant, pour le documentaire précédent, nous avions pu nous appuyer sur le film de fiction de Jacques Malaterre, Ao, le dernier Néandertal, autant, s’agissant de la femme Homo sapiens, nous étions démunis, le cinéma ne nous offrant que des clichés éculés. Jacques Malaterre nous a alors dit qu’il savait à qui s’adresser puisqu’il avait été conseiller historique pour Ubisoft lors de la conception du jeu vidéo Far Cry Primal.

Un terrain de jeu formidable

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