Le déploiement du véhicule électrique est un exemple emblématique de l’importance de la régulation publique sur la trajectoire de l’innovation. Une comparaison entre les cas européens et chinois permettra de confronter deux approches pour mobiliser le secteur de l’automobile sur les enjeux de la réduction des émissions de CO₂, toutes deux volontaristes, mais très différentes dans leur philosophie et leur mise en œuvre. Une forme d’intervention publique plus compatible avec la spécificité du management de l’innovation est-elle possible ?


Exposé de Marc Alochet et Christophe Midler

Mise en contexte

Christophe Midler : Cette étude résulte de la recherche que nous avons menée au Centre de recherche en gestion (CRG), depuis plusieurs années maintenant, sur le déploiement du véhicule électrique et des travaux que nous avions réalisés par ailleurs sur les stratégies des véhicules low-cost en Chine et en Inde.

Depuis de nombreuses années, le monde automobile subit une pression réglementaire pour atteindre la mobilité décarbonée1. Les pouvoirs publics “tirent” cette transition par des systèmes incitatifs ou pénalisants, qui peuvent amener les constructeurs à payer des amendes colossales2.

Cette pression réglementaire augmente encore d’un cran aujourd’hui. Des villes interdisent ou dissuadent par des péages très élevés l’accès des véhicules thermiques à leur centre. À l’horizon 2030, certains pays prévoient d’interdire la vente de véhicules thermiques et l’ensemble des pays signataires de l’Accord de Paris se sont engagés à atteindre la neutralité carbone en 2050.

La Chine et l’Europe sont plus particulièrement concernées par le challenge sociétal que constitue la mobilité décarbonée. Premier producteur automobile mondial depuis 2009, premier marché automobile mondial depuis 2013, la Chine est aussi devenue, en 2021, le premier émetteur mondial de CO lié au transport. Les constructeurs européens comptent pour 30 % dans les ventes mondiales de véhicules en 2018 et le transport est responsable de 15 % des émissions de CO en Europe.

Or, la Chine et l’Europe se trouvent dans des situations très différentes. L’Europe dispose d’une industrie automobile mature, très structurée. Elle est aux mains d’entreprises privées, appuyées par des groupes de pression comme l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA) qui discutent depuis longtemps des régulations avec les autorités publiques. L’industrie automobile chinoise, bien plus récente, peut paraître plus fragmentée. Des start-up, des entreprises privées côtoient des entreprises publiques nationales et régionales. Néanmoins, la Chine détient une domination pratiquement sans partage sur la batterie, l’élément clé de la voiture électrique.

Nous avons donc étudié le challenge de la transition vers la mobilité décarbonée sous deux angles :

Vous ne pouvez pas lire la suite de cet article