Alors que la logistique devrait être intégrée très en amont dans l’élaboration des stratégies, l’État la perçoit comme une simple fonction d’exécution. La France pèche également par une insuffisante coordination des acteurs publics et privés de la logistique, tout comme des instances de décision centrales et des échelons locaux. La logistique est pourtant un levier déterminant de la dynamisation économique des territoires, de la compétitivité des entreprises et de la réponse aux enjeux environnementaux.
Exposé de Laurent Livolsi et Aurélien Rouquet
La logistique et la Covid-19
Aurélien ROUQUET : Comment l’État français appréhende-t-il la logistique ? La question recouvre un vaste champ, et le tableau que nous en brosserons exclura délibérément le domaine très spécifique de la logistique militaire. Du point de vue de l’État, la logistique s’inscrit dans deux dimensions temporelles : la permanence d’une part, qui implique d’élaborer une stratégie et de réguler la filière ; la crise d’autre part, qui suppose d’anticiper et de savoir réagir promptement. Je me concentrerai surtout sur ce dernier aspect, en écho à l’actualité que constitue la pandémie de Covid-19, et traiterai plus particulièrement de l’insuffisante prise en compte de la logistique par l’État dans la gestion des masques et des vaccins.
Les masques : une intuition juste, mais dévoyée
Comme beaucoup, j’ai été frappé par la pénurie de masques lors du premier confinement. Pour en comprendre les ressorts, j’ai compulsé l’ensemble des rapports publics consacrés au sujet. J’ai ainsi pu identifier les différentes étapes ayant conduit à une telle situation1.
Au début des années 2000, alors que se succédaient les crises appelant des réponses sanitaires et médicales (explosion de l’usine AZF de Toulouse, épidémie de SRAS, risque terroriste...), l’État a pris conscience de l’importance de l’anticipation logistique. Il a constitué des stocks de produits nécessaires en cas d’urgence. Toutefois, le ministère de la Santé s’est avéré insuffisamment armé pour faire face à d’éventuelles crises : son équipe dédiée à la logistique ne comptait que deux personnes, les stocks étaient éclatés dans plus de 80 entrepôts et il manquait un système d’information robuste pour les gérer. Ce constat a conduit, en 2007, à la création de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), sur le modèle du Strategic National Stockpile américain. Il a été doté de deux grandes missions : créer une réserve sanitaire pouvant être activée en cas de besoin et constituer des stocks suffisants pour répondre aux crises.
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