Exposé de Jean-Christophe Sautory

Étant de la promotion 1982, option Gestion scientifique, je suis très heureux de retrouver les bancs de l’École des mines.

Après avoir travaillé quelques années dans des services financiers et dans le consulting industriel, notamment sur des questions d’optimisation industrielle, j’ai fait le choix de compléter ma formation d’ingénieur par un MBA à l’INSEAD.

En 1991, je suis entré dans le groupe L’Oréal, où j’ai exercé de nombreuses fonctions. Je suis donc un insider du Groupe ! J’ai d’abord travaillé une quinzaine d’années dans le domaine des opérations, étant précisé que L’Oréal est une véritable entreprise industrielle qui produit la grande majorité des unités vendues. J’ai été en poste en France et dans les grandes zones de développement du Groupe – notamment aux États-Unis, comme directeur des opérations de l’Amérique du Nord, et en Chine.

J’ai ensuite été directeur des systèmes d’information (DSI) du Groupe durant dix ans. Dans ce cadre, j’ai conduit la première phase de sa transformation technologique, en accompagnant sa transformation marketing digitale.

Depuis cinq ans, je suis en charge de sujets plus régaliens, à la tête du département Éthique, Risques et Conformité, lequel recouvre notamment le déploiement de toutes les approches de gestion des risques. Une fois les risques identifiés, analysés et évalués, nous nous assurons que les responsables en charge de leur gestion instaurent les processus qui permettent de les mettre sous contrôle – conformité, contrôle interne. J’anime aussi la dimension éthique du Groupe. Sur le volet environnement, social et gouvernance (ESG), je travaille sur la gouvernance et la culture d’entreprise. Il s’agit de s’assurer que, dans notre Groupe, qui comprend plus de 85 000 collaborateurs et est présent dans plus de 150 pays, nous travaillons de façon responsable dans tous les domaines d’activité du Goupe, y compris la data et la tech.

Aujourd’hui, la Beauty Tech est l’expression de notre ambition : la beauté de demain, de plus en plus personnalisée, sera soutenue par les technologies et de manière responsable.

La culture éthique, un engagement de longue date

Le département Éthique a été créé il y a une quinzaine d’années. Si la culture éthique était déjà répandue dans les pays anglo-saxons à l’époque, elle l’était alors peu en France. Certes, elle constitue un levier de compétitivité, mais c’est aussi un élément clé pour assurer notre pérennité.

Une vision à moyen terme

L’Oréal s’est toujours inscrit dans une démarche de progrès. Il n’est pas possible de construire une démarche éthique sans avoir cette vision à moyen terme.

Outre le quoi, il est essentiel de traiter le comment. De fait, les entreprises seront de plus en plus jugées pour ce qu’elles font, mais aussi pour la manière dont elles le font.

Nous savons qu’en raison de la pléthore d’offres et de marques dans le monde de la beauté, il est aisé de passer d’une marque à une autre. Dans ce contexte, l’actif intangible qu’est la réputation du Groupe et de nos marques est un élément clé de notre succès à court et à moyen termes. Notre démarche éthique concourt à conserver cette réputation vis-à-vis de l’ensemble de nos parties prenantes.

Une raison d’être

Nous ne sommes pas une entreprise à mission, mais nous avons une raison d’être, avec en particulier l’engagement suivant : « Parce que nous voulons être exemplaires et nous inscrire dans la durée, nous agissons fidèles à des valeurs fortes et à des principes éthiques exigeants. »

Cette raison d’être est à la fois un engagement vis-à-vis de nos parties prenantes et une obligation vis-à-vis de nos collaborateurs.

En tant que leader du monde de la beauté, nous avons un devoir d’exemplarité, car nous avons une influence sur la société à travers nos produits, nos marques et nos prises de parole, influence que nous souhaitons exercer de façon responsable. Un récent baromètre mondial de la confiance des citoyens et des consommateurs dans les institutions (État, collectivités locales, médias, entreprises, etc.) montre que les entreprises sont celles qui s’en sortent le mieux. Nous avons donc un rôle clé à jouer.

Qui plus est, notre responsabilité est de plus en plus large : dans la durée, car nous serons redevables des décisions que nous prenons aujourd’hui ; vis-à-vis des nombreuses parties prenantes et des multiples enjeux ; mais aussi sur tout notre périmètre, de l’amont à l’aval. On attend des entreprises qu’elles prennent en compte les risques d’atteinte sérieuse à la sécurité, à l’environnement et aux droits humains dans l’ensemble de leur chaîne de valeur. Plusieurs directives européennes vont d’ailleurs dans ce sens. Pour un groupe de notre taille, avec des dizaines de milliers de fournisseurs, c’est une exigence très élevée ! En tout état de cause, les entreprises doivent se préoccuper de leur écosystème. L’attente est réelle en la matière.

La confiance est aussi un levier d’engagement de plus en plus important des collaborateurs, qui sont exigeants et vont challenger fortement l’organisation, dans ses comportements et ses décisions. Le développement de notre démarche éthique est donc essentiel pour recruter et retenir ceux qui nous rejoignent.

Nous mesurons d’ailleurs la perception qu’ont nos collaborateurs de notre culture éthique, au travers de questionnaires d’évaluation globaux (« Votre équipe de management démontre-t-elle un comportement éthique ? »), avec une analyse des verbatims. Ces questionnaires étant diffusés aux 85 000 collaborateurs du Groupe, le taux de réponse est très élevé. Nous bénéficions donc d’une mine exceptionnelle d’informations. Nous effectuons aussi des sondages plus spécifiques, pour creuser tel ou tel point. Cette mesure est importante. Même s’il est plus compliqué d’avoir des indicateurs de la culture éthique que des indicateurs de qualité, par exemple, nous essayons de les formaliser de plus en plus.

Une double performance, financière et extrafinancière

Notre culture éthique s’inscrit dans un mouvement de double performance, financière et extrafinancière, à travers ses engagements environnementaux, sociétaux et éthiques. Cela nous oblige à être de plus en plus performants sur le volet extrafinancier. Les standards EFRAG (Groupe consultatif européen sur l’information financière) de reporting extrafinancier qui viennent d’être validés imposent à des entreprises comme la nôtre de divulguer de nombreux indicateurs à compter de 2025.

Une culture de responsabilité

Notre démarche éthique s’est toujours développée en allant au-delà des lois et des réglementations. Mon prisme n’est pas seulement celui de ces dernières, même si leur respect est le principe premier.

Une démarche éthique est une démarche de responsabilité qui conduit à anticiper sur des sujets que la loi et la réglementation traiteront parfois ultérieurement, étant entendu que leur rythme n’est pas celui de l’entreprise. Cette démarche peut nécessiter un réajustement le moment venu, mais aussi, dans certains cas, aller plus loin que ce que la réglementation requiert.

Par exemple, lorsque le RGPD (Règlement général sur la protection des données) a été adopté et avant que toutes les réglementations relatives à la confidentialité des données ne se mettent en place mondialement, L’Oréal a adopté des règles globales pour respecter le consentement des consommateurs et le partage des données. De fait, nous avons considéré que cela n’entraînerait pas une perte d’avantage concurrentiel.

Le déploiement d’une culture éthique requiert le développement d’un jugement critique chez les managers. À cet égard, une démarche éthique impose de savoir prendre le recul nécessaire pour évaluer une situation et comprendre les décisions à prendre. L’on ne peut plus dire : « Je ne savais pas. » Il faut rechercher toutes les informations nécessaires pour savoir quelle est la meilleure décision et pouvoir le prouver.

Un programme éthique appuyé sur plusieurs piliers

Respect, courage, intégrité et transparence : ces quatre principes éthiques constituent notre boussole, pour tous les collaborateurs, à commencer par les managers. Ces principes doivent guider celui qui se trouve dans une zone grise, pour lui permettre d’évaluer la pertinence de la décision qui sera prise.

Nous avons aussi une charte éthique, The Way We Act, consultable sur le site de L’Oréal. Nous la revoyons régulièrement. La précédente s’intitulait The Way We Work. Nous avons opéré cette transformation pour prendre en compte la nécessité d’embrasser une responsabilité plus globale que celle du seul travail.

Nous complétons cette charte par des guides pratiques plus précis par domaines d’activité, que nous diffusons dans les pays et dans les filiales grâce aux réseaux de nos correspondants éthiques, de nos responsables de contrôle interne et de nos responsables ressources humaines et des droits humains. Nous animons ces réseaux et nous leur transférons le savoir-faire, charge à eux ensuite de déployer la démarche éthique.

La communication a aussi toute son importance. Nous organisons, par exemple, un Ethics Day, durant lequel nous ouvrons, au travers d’une plateforme digitale, un dialogue entre les 85 000 collaborateurs, le directeur général du Groupe, les membres du comité de direction et tous les patrons de pays. Cet événement a un fort impact en matière d’ouverture et de transparence.

Les thématiques abordées sont nombreuses et évoluent dans le temps. L’an dernier, elles ont notamment concerné la communication responsable – ce qui n’est pas étonnant quand on sait que nous sommes l’un des plus grands annonceurs publicitaires. Les équipes nous ont, par exemple, demandé s’il était responsable de diffuser des publicités durant la Coupe du monde de football au Qatar. Des questions ont aussi concerné les horaires de travail flexibles, les conflits d’intérêt ou le partage de la valeur. Nous apportons systématiquement des réponses. Je précise que toutes les questions sont posées de manière anonyme.

Nous avons également ouvert une ligne d’alerte éthique que mon équipe gère. Unique, elle est mondiale et ouverte à l’interne, mais aussi à l’externe. Toute allégation provenant d’une personne ayant une relation avec L’Oréal est prise en compte. Les sujets abordés concernent principalement l’intégrité et le respect des droits humains.

Enfin, nous suivons de plus en plus une logique d’évaluation de notre performance par l’audit interne. Cette démarche est indispensable pour vérifier la réalité de la mise en œuvre de la culture éthique dans tous les pays.

Culture éthique et transformations numériques

Le marketing digital

Les spots télévisés de publicité, via de grandes agences et mettant en scène des égéries internationales, ont été complétés par le marketing d’influence sur les réseaux sociaux. Ainsi, des dizaines de milliers d’influenceurs relaient le discours des marques et font la promotion des produits. Dans le secteur de la beauté, ce marketing d’influence fonctionne de manière particulièrement efficace. Il s’agit là d’une transformation radicale.

Pour nous assurer que l’usage des influenceurs reste éthique, une politique mondiale construite en central par le Marketing et la Communication s’impose à toutes les équipes marketing opérationnelles du Groupe.

Nous avons défini des processus de sélection, de contractualisation et de transparence. Nous avons ainsi le devoir d’informer le consommateur qu’une relation commerciale existe entre les influenceurs et L’Oréal.

Nous faisons également signer une charte des valeurs, par laquelle L’Oréal et l’influenceur expriment le fait de partager une vision commune des valeurs humaines fondamentales. En amont, nous vérifions aussi parfois les communications que tel ou tel influenceur a pu diffuser par le passé. Lorsqu’un décalage trop marqué existe avec nos valeurs éthiques, nous décidons de ne pas travailler avec lui.

Ce processus est contraignant, mais les équipes y souscrivent bien. En Chine notamment, qui s’est développée dans le digital native, le marketing d’influence a rapidement explosé et nous sommes allés très loin dans les outils de suivi des posts. Dans ce pays, les influenceurs organisent des video live consacrées à un produit. Pour minimiser le risque de dérives, comme le dénigrement des concurrents, nous avons instauré un monitoring de l’activité, avec l’identification de mots-clés, pour nous assurer que l’influenceur respecte les règles.

Même si nous ne sommes pas toujours juridiquement responsables des éventuelles dérives, nous le sommes du point de vue éthique. Ces dispositifs sont à la fois humains et technologiques, pour repérer les risques les plus importants et les traiter rapidement. Ils permettent de s’inscrire dans une approche ciblant les risques les plus importants.

La protection des données personnelles

Nous travaillons de longue date sur la protection des données personnelles. Les décisions dans ce domaine sont appliquées après validation par la direction du Groupe.

Contrairement à une idée reçue, de nombreux pays – comme le Brésil, la Chine… – se sont dotés de réglementations équivalentes à celle de l’Europe. Cette convergence nous donne raison sur la façon dont nous avons abordé le sujet en embarquant toutes nos filiales dans la démarche il y a plusieurs années déjà.

La gouvernance des algorithmes

Concernant la gouvernance des algorithmes, là encore nous nous sommes saisis du sujet, sans attendre que la réglementation européenne se construise.

L’objectif est d’assurer un usage responsable, ou “digne de confiance”, des algorithmes. Nous avons travaillé avec des spécialistes du sujet ainsi qu’avec des ONG, et suivi ce que faisaient les grands de la tech. Cela nous a permis de définir notre politique interne, avec toute la prudence qu’impose ce sujet très évolutif dans le temps.

Sur cette base, nous avons commencé à appliquer de manière opérationnelle le respect de ces principes par les équipes qui créent ou achètent des algorithmes. Nous avons, par exemple, défini des scores de risque des algorithmes en fonction des communautés impactées et des données utilisées.

Nous avons également intégré cette démarche dans notre gouvernance de gestion des projets technologiques. C’est encore assez nouveau et nous procédons par itérations pour améliorer notre dispositif.

Débat

La prise en compte des questions de société

Un intervenant : Comment abordez-vous les sujets du genre et du fait religieux au travail ?

Jean-Christophe Sautory : S’agissant du fait religieux, nous avons travaillé avec notre équipe Droits humains pour élaborer un guide aidant les équipes des ressources humaines à définir les réponses aux questions auxquelles les managers sont confrontés. Nous avons reçu peu de questions spontanées à ce sujet qui, de façon générale, est très dépendant des cultures locales. Notre état d’esprit est celui d’une certaine flexibilité tant que l’organisation du travail n’est pas entravée, conformément à notre exigence d’inclusivité.

Les questions relatives au genre – et à la discrimination en général – sont plus nombreuses. Là encore, nous formons et nous accompagnons les managers concernés à notre démarche de promotion de la diversité et d’inclusivité.

Int. : Jusqu’où vont les analyses de vos évaluations ?

J.-C. S. : Elles peuvent aller jusqu’à faire évoluer nos process ou nos produits. Nous sommes dans des boucles de rétroaction systématique et d’amélioration en interne. En cas de manque de discipline locale, la réaction est locale. Lorsqu’il apparaît que la démarche du Groupe n’est pas adaptée, nous la faisons évoluer. De façon générale, nous revoyons nos politiques régulièrement.

Int. : Avez-vous pu évaluer la démarche éthique d’autres grandes entreprises ?

J.-C. S. : Ces démarches sont désormais systématiques dans les grandes entreprises. Pour autant, il s’avère difficile de comparer les performances. En France, une entreprise comme Schneider Electric est très active en la matière. À l’international, c’est aussi le cas d’Unilever. Nous travaillons d’ailleurs souvent de concert avec ces entreprises, sur les grands enjeux sociétaux ou environnementaux. Souvent, seules des coalitions internationales permettent de faire avancer les choses.

Int. : Est-ce aussi le cas en Chine ?

J.-C. S. : Voici un exemple. Notre Groupe a arrêté les tests de sécurité de nos produits cosmétiques sur les animaux, pour les effectuer sur des peaux reconstituées. Or, les autorités chinoises réalisent des tests sur les animaux pour certaines catégories de produits. Nous avons alors décidé d’user de notre influence et de notre expertise scientifique, et de faire de la pédagogie pour faire évoluer les pratiques des autorités chinoises, avec des résultats concrets.

Une réglementation de plus en plus contraignante

Int. : En tant qu’ancien DSI, comment jugez-vous l’ampleur des nouveaux indicateurs extrafinanciers ? Compte tenu du niveau de détail attendu, l’élaboration de ces critères est très chronophage. Faudra-t-il changer tous les systèmes d’information ?

J.-C. S. : Il faut à tout le moins les compléter, car il est essentiel de fiabiliser l’information extrafinancière, qui fera l’objet de rapports des commissaires aux comptes à l’instar de l’information financière. Cela représente un travail très important, notamment pour les entreprises de taille moyenne. L’Oréal y parviendra, car il a les moyens de le faire.

Int. : De quels types d’indicateurs s’agit-il ?

J.-C. S. : Il s’agit, en grande partie, d’indicateurs sociétaux et environnementaux, relatifs à la biodiversité par exemple. Les standards de l’EFRAG étant publics, je vous invite à y jeter un œil pour vous faire une idée de leur ampleur.

Int. : Qu’en est-il du travail que vous effectuez avec vos concurrents pour définir des standards ?

J.-C. S. : Je peux citer l’exemple de notre travail sur la notion de living wage, ou salaire décent. Nous avons également défini un Produc Information Labeling (PIL), pendant du Nutri-Score dans l’agroalimentaire. Cette échelle permet au consommateur de savoir si le produit est performant d’un point de vue environnemental et sociétal. Nous avons entamé cette démarche en pionniers, mais nous participons désormais à un consortium en vue de définir un standard pour l’ensemble de l’industrie. Il s’agit d’une initiative privée, et non réglementaire. L’objectif est d’éviter la multiplication des labels et des échelles, qui serait source de confusion. Nous sommes pleinement engagés dans des coalitions de place lorsque les sujets le méritent.

Int. : Le risque que les indicateurs ne soient pas vraiment différenciants n’existe-t-il pas ?

J.-C. S. : Ce n’est pas parfait, mais si nous cherchons la perfection, nous y serons encore dans longtemps ! Nous favorisons le pragmatisme et l’amélioration continue.

Int. : S’agissant de la Chine, il faut souvent distinguer la réglementation et le respect de la réglementation. Les autorités chinoises effectuent-elles un suivi et prononcent-elles des sanctions, le cas échéant ?

J.-C. S. : Je ne saurais répondre à cette question, si ce n’est pour affirmer que nous n’irons pas chercher un avantage en franchissant des lignes rouges. Avec les récentes lois sur les transferts internationaux des données, la donnée est devenue un grand enjeu géopolitique. Elles modifieront de façon conséquente les stratégies des grandes entreprises comme la nôtre.

Le rôle des influenceurs

Int. : Pourquoi un influenceur talentueux et ambitieux travaille-t-il avec vous plutôt qu’une autre marque, compte tenu des contraintes que vous imposez ?

J.-C. S. : Parce que nous sommes L’Oréal ! C’est la force de nos marques. Savoir qu’ils vont participer à nos succès est un formidable appel pour les influenceurs.

Int. : Que se passe-t-il quand une nouvelle marque monte, portée par des influenceurs à l’éthique pas très affirmée, et vous prend des parts de marché ?

J.-C. S. : Nous utilisons les possibilités de recours juridique, à bon escient. Dans le monde de la beauté, les barrières à l’entrée sont très faibles, et plus encore depuis la transformation digitale. Nous regardons ce qui se passe, mais l’apparition de petites marques ne nous inquiète pas véritablement. Nous faisons régulièrement l’acquisition de marques complémentaires qui ont un potentiel de développement et les portons à notre niveau d’exigence.

Int. : Quel type de contrat passez-vous avec les influenceurs ?

J.-C. S. : Nous passons des contrats qui précisent les prestations attendues et le mode de rémunération, défini à l’avance à partir d’une grille.

Int. : Pour autant, ce ne sont pas des contrats de travail ?

J.-C. S. : Non. Ces influenceurs ne travaillent d’ailleurs pas de façon exclusive avec L’Oréal.

Int. : Avez-vous eu des contentieux avec certains d’entre eux ?

J.-C. S. : Il a pu y avoir des conflits mineurs ou un début de crise de réputation. Néanmoins, comme je l’indiquais dans ma présentation, nous effectuons un suivi constant et, le cas échéant, nous mettons un terme à la relation.

L’Ethics Day

Int. : L’Ethics Day est-il décliné dans tous les pays ?

J.-C. S. : Oui. En général, les collaborateurs assistent à deux sessions très complémentaires : celle du directeur général, qui aborde les grands sujets du Groupe, et celle de leur patron de filiale, dédiée au contexte local. Au total, nous organisons entre 60 et 70 sessions en deux à trois semaines.

Int. : Les participants sont-ils nombreux ?

J.-C. S. : L’an dernier, nous avons enregistré 35 000 connexions. Nous incitons les équipes à regarder ces sessions en petits groupes, le nombre de participants est donc supérieur aux connexions. Par ailleurs, nous avons reçu plus de 5 000 questions. Nous demandons aux participants de voter pour les questions qui les intéressent le plus. Nous utilisons cette richesse d’information pour comprendre les préoccupations et les sujets à traiter.

Une raison d’être, mais pas une entreprise à mission

Int. : Pourquoi n’êtes-vous pas une entreprise à mission et pourquoi n’avez-vous pas inscrit votre raison d’être dans vos statuts ?

J.-C. S. : Pour l’instant, cela ne nous semble pas la question principale.

Int. : Y a-t-il un comité de suivi de cette raison d’être ?

J.-C. S. : Ce n’est pas un comité de suivi au sens strict du terme, car les sujets abordés sont transverses.

Int. : Vous abordez votre démarche éthique de façon très humble. Est-ce une manière, pour le Groupe, de ne pas devenir une “tête d’affiche de l’exemplarité” pour ne pas être ciblé par des appels au boycott qui seraient néfastes pour l’activité, à l’instar de ceux qu’ont connu des groupes comme Danone par exemple ?

J.-C. S. : Une entreprise n’est pas obligée de prendre position sur tous les sujets politiques et sociétaux du moment. Nous restons maîtres des sujets que nous voulons défendre et de nos valeurs. Par ailleurs, nous acceptons le risque qu’une prise de position soit perçue négativement par certains. S’il a pu y avoir des appels au boycott, à certaines occasions, ils sont restés limités, géographiquement et dans le temps, et n’ont eu que peu d’impact sur notre activité.

Par exemple, nous nous voulons inclusifs et communiquons sur le sujet. Cela peut entraîner parfois des réactions négatives, mais nous considérons que la promotion de ces sujets fait partie des valeurs fondamentales du Groupe.

Le rôle du département Éthique, Risques et Conformité

Int. : Comment êtes-vous organisés, au regard de l’ampleur de votre champ d’action ? Combien de personnes travaillent dans votre département ?

J.-C. S. : Mon équipe compte une douzaine de personnes. C’est une petite équipe transversale, d’animation et de coordination, en lien avec nos réseaux dans les filiales. Ma responsabilité consiste plutôt à animer les équipes opérationnelles. Globalement, c’est la façon dont travaille L’Oréal. In fine, ce sont toujours les opérationnels qui agissent. J’exerce un leadership par influence : c’est à moi d’aller chercher les bonnes personnes et d’actionner les bons leviers, en engageant les managers. Mon ancienneté chez L’Oréal a toute son importance en la matière.

Int. : Quid de l’audit interne ?

J.-C. S. : Nous fonctionnons de manière collaborative et collégiale, ce qui caractérise la culture du Groupe. Par ailleurs, nous avons beaucoup développé la culture du test and learn. Enfin, ce n’est pas moi qui forme directement les équipes, mais, là encore, les opérationnels. La responsabilité est dans les lignes de métiers. Je suis davantage un chef d’orchestre.

Int. : Sont-ce les mêmes équipes qui auditent la performance financière et la performance extrafinancière ?

J.-C. S. : Oui. L’Audit interne est mon partenaire. Je ne dirige pas cette équipe, même si nous travaillons ensemble au quotidien. C’est de la bonne gouvernance. De façon générale, la fonction de l’Audit interne vit une transformation importante liée à la tech.

Int. : Comment la démarche éthique, contraignante et vertigineuse, est-elle vécue par vos parties prenantes ?

J.-C. S. : Je crois pouvoir affirmer que les collaborateurs affichent un fort degré d’acceptation de cette démarche éthique et conformité – sans doute parce que nous avons mis l’accent sur la dimension éthique et la mise en situation pour nourrir la réflexion. Ce n’est pas moi qui l’ai instaurée, mais je la développe beaucoup parce que j’y crois.

Quant à nos fournisseurs, ils sont eux-mêmes de plus en plus engagés dans cette démarche éthique. Nous les accompagnons – c’est la responsabilité des équipes Achats – dans une logique partenariale et nous discutons en continu avec les plus grands. Le mouvement est tellement fort qu’il est plus facile de déployer cette démarche aujourd’hui qu’il y a quinze ans.

Int. : Certains sujets qui auraient pu échapper à votre filtre sont-ils remontés des équipes ?

J.-C. S. : Oui. C’est d’ailleurs l’un des indicateurs de bon fonctionnement ! Nous sommes toujours dans la coconstruction et nous n’imposons rien. Pour citer des sujets particuliers, je pense notamment au Métavers, aux NFT, ou encore au développement du gaming. Les équipes nous ont contactés pour que nous définissions ensemble des lignes de conduite.

Pour un usage responsable des algorithmes

Int. : Comment faites-vous pour rester dans la course ? Disposez-vous de toutes les compétences requises en interne ou privilégiez-vous les partenariats ?

J.-C. S. : Nous avons de plus en plus de spécialistes en interne, ce qui permet une amélioration continue des compétences. Nous mettons tout en œuvre pour être attractifs dans ce domaine. Par ailleurs, nous avons des partenariats avec les grands experts du domaine, dans une logique d’entreprise étendue.

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

Florence BERTHEZÈNE