Rares sont les personnes qui aiment la guerre, mais nombreuses sont celles qui trouvent leur raison de vivre dans les activités de défense. C’est pourquoi les périodes de baisse de la menace militaire se traduisent simultanément par un bonheur collectif et des drames locaux dont l’État doit se préoccuper.
La chute du mur de Berlin et la disparition de la menace soviétique ont frappé l’industrie de défense. Il fallait réduire des productions, fermer des usines. Il fallait même abandonner le modèle de l’arsenal, qui remonte à Colbert, dans lequel servaient fièrement, souvent de père en fils, des personnels sous statut public. La professionnalisation des armées impliquait la fermeture de garnisons, autour desquelles étaient parfois organisées les vies sociale et économique de la ville, à tel point qu’elles faisaient même rêver les familles de mariages avec de beaux officiers.
Ces restructurations se sont traduites localement par des séismes de grande magnitude, auxquels l’État a dû trouver des parades. C’est un fait, tout le monde en France appelle l’État au secours quand surviennent des crises d’une certaine ampleur. Il ne pouvait donc pas se défausser face aux difficultés rencontrées par la défense, mission régalienne, et son industrie, organisée sous une tutelle publique étroite.
Remédier aux effets des séismes suppose d’intervenir au plan économique pour donner aux personnes touchées le temps de se reconstruire un avenir, ou leur permettre de jouir de préretraites avantageuses, et aux collectivités de compenser les pertes engendrées par ces cessations d’activités. Et l’État peut payer quand il s’agit de préserver la paix sociale, surtout si les crises sont liées à des décisions qu’il a prises. Mais cela ne suffit pas pour construire un avenir : encore faut-il inventer des activités et des symboliques nouvelles. L’État est mal gréé pour cela : cette relance de l’activité et cette renaissance des rêves est plutôt le fait d’entrepreneurs qui savent trouver dans les crises des sources de renouveau.
On verra comment Jean-Yves Le Drian, confronté à la fermeture de la base sous-marine de Lorient, a contribué à l’invention pour sa ville d’un avenir rayonnant dans le nautisme. Comment le général Michel Barthélémy a réussi la transformation, qui paraissait impossible, d’une base militaire en base civile. On mesurera le courage, l’imagination et la persévérance des responsables de Giat Industries pour faire naître Nexter, entreprise audacieuse comme le montre la publicité reproduite sur la couverture de ce numéro.
C’est dans ce contexte de transformations lourdes et délicates qu’a été créée, il y a dix ans, la Délégation interministérielle aux restructurations de défense (DIRD), dont Jean-Pierre Aubert est le directeur depuis juillet 2000. Les familiers de l’École de Paris connaissent le style de ce médiateur hors normes, dont les prouesses sur le cas Chausson et sur celui de la fermeture de Superphénix ont donné lieu à des séances mémorables. Comme il l’explique lui-même, le rôle de sa délégation est, certes d’intervenir sur le terrain ou dans les arcanes de l’Administration pour débloquer des fonds, faire sortir des décisions, mais il est aussi d’identifier les entrepreneurs, les iconoclastes, qui vont transformer les crises en opportunités et les aider à s’exprimer.
Quant au rôle de l’Ecole de Paris, il est de mettre en lumière des stratégies et des tactiques efficaces pour faire face à la mort d’activités industrielles. Ces métaphores guerrières, qu’affectionne la littérature du management, apparaissent ici particulièrement appropriées.