"Continuer, c'est le seul moyen de changer. Quand l'idée vous vient de changer, c'est le signe que le métier commence à entrer et à piquer au lieu de caresser. C'est le moment rugueux ; c'est l'épreuve de l'homme. Un métier qui n'est pas rebutant n'est pas encore un métier ; l'homme n'y est qu'amateur, selon un admirable mot, et qui enferme un juste mépris. L'amateur s'amuse ; le point où cesse l'amusement, il ne le passe jamais. "
(Alain, "Doctrine de l'action", 1931).
Les articles de ce numéro mettent en scène des acteurs confrontés à d'imposants défis :
- Guy Dollé, qui a conduit une fusion entre trois champions nationaux animé par des rivalités fort anciennes, l'espagnol Aceralia, le luxembourgeois Arbed et le français Usinor ;
- le lancement de l'Airbus A 380, dont la presse a abondamment évoqué les défis techniques et économiques, mais qui supposait aussi de mener une vaste opération d'aménagement couvrant deux régions ;
- Accomplir, association de quartier d'une centaine de membres, qui s'est mêlée victorieusement au débat sur le projet de réaménagement des Halles de Paris, aux gigantesques enjeux économiques, politiques et symboliques ;
- Yves Contassot qui s'est mis en quête d'augmenter la productivité et l'efficacité de ses onze mille fonctionnaires de la mairie de Paris, ce qui a dû en surprendre plus d'un de la part d'un écologiste, ancien syndicaliste.
On sait que les défis ont une merveilleuse vertu mobilisatrice et marquent longtemps les esprits quand ils ont été victorieux. Nombre d'entreprises de notre vieux pays semblent même avoir cette culture du défi du village d'Astérix, menacé de querelles intestines quand la routine s'installe et qui retrouve son unité joyeuse dès qu'il se lance dans des conquêtes.
On en viendrait même à se laisser imprégner par une conception héroïque de la gestion, à se laisser séduire par cette vision du management par le défi. C'est risquer d'en rester à un management d'amateurs : si le geste est beau vu de loin, sa réussite suppose de maîtriser mille détails obscurs, rappelle Claude Riveline dans la page Idées.
Dans le propos cité ci-dessus, Alain dit encore : "Le grimpeur de l'Himalaya peut aussi nous instruire ; car s'il reste à regarder la montagne, il ne saura jamais par où il peut passer. "C'est pour savoir par où je passerai que je marche". Les orateurs de ce numéro ont courageusement marché.