Le patron et le syndicaliste ne s'aiment pas d'un amour tendre, surtout en France, dit-on. Un ingénieur général des mines aujourd'hui décédé, Guy Delacôte, m'avait rapporté avoir participé à une commission chargée de brider le développement économique de l'Allemagne après la dernière guerre mondiale. Les Français y ont ourdi le plan de mettre les syndicats à la tête des entreprises, à parité avec les patrons : " comme cela, ils sont fichus ! ". Et c'est ainsi que serait née la cogestion à l'Allemande…
L'animosité des rapports entre patrons et syndicalistes est expliquée de façon lumineuse par Christian Morel dans l'article "La drôle de négociation" (Gérer et Comprendre n°22, mars 1991,à partir de son ouvrage La grève froide, Éditions d'organisation 1981, Octarès1994). Il distingue la négociation-contrat, où l'on cherche des compromis, et la négociation-manifestation,où l'on refuse tout compromis et même toute communication : on vient à soixante en réunion, on s'en tient à des manifestes, on soutient des revendications irréalistes, on organise le "tintouin" (défilé bruyant du personnel), on refuse de signer tout accord, etc. Cela entretient la conviction des patrons qu'on ne peut rien faire de sérieux avec les syndicats.
Christian Morel explique que c'est en fait une tactique de faiblesse : c'est parce que les syndicats ont peu d'adhérents et sont divisés qu'ils agissent ainsi. Dans les pays où ils sont unis, capables de faire valoir leurs vues et de faire respecter les promesses, ils négocient vraiment. Il en conclut qu'il faut remédier à la faiblesse des syndicats et instituer des modalités permettant d'accepter la rationalité de l'autre. Selon lui les choses ont commencé à changer en France dans les années 80.
Les quatre articles de ce numéro permettent de juger de l'évolution de la négociation sociale dans différents secteurs.
Si Pierre Messulam se réfère à Clausewitz, ce n'est pas pour anéantir les syndicats de la SNCF, il les souhaite au contraire forts et légitimes, mais pour esquisser un Art de la grève centré sur la façon de conduire les opérations pour limiter le nombre de grèves en rendant leurs bénéfices plus incertains pour la partie adverse.
Selon, Jean-Noël d'Acremont c'était la direction des Chantiers navals de l'Atlantique qui était en situation de faiblesse face aux syndicats. Il explique comment il s'y est pris pour renverser le cours des choses et à quels problèmes il a dû remédier quand les syndicats ont été trop affaiblis.
Michel de Virville et Danielle Kaisergruber rapportent les apprentissages de Renault en Belgique à propos du cas de Vilvoorde : contrairement à la France, les politiques seraient plutôt adeptes de la manifestation car ils sont faibles et les syndicats de la négociation car ils sont forts.
Enfin Hubert Landier, Daniel Labbé et Christophe Aguiton évoquent la recomposition du syndicalisme : nouvelles frontières (la planète comme terrain d'action), nouvelles méthodes (diffuser les motions par l'internet plutôt que par tracts), nouvelles mesures d'influence (compter les communiqués de presse plutôt que les adhérents). Quant aux nouvelles revendications, cela apparaît un peu moins clair : s'agit-il d'une forme nouvelle de tintouin mondialisé, signe d'une situation de faiblesse, ou des prémices d'une profonde reconstruction ?
Selon Claude Riveline dans la page Idées, on attend les architectes qui donneront un schéma d'interprétation du monde actuel aussi cohérent que Marx l'avait fait pour la grande industrie du XIXe siècle. On attend aussi les institutions qui mettront plus d'harmonie entre les acteurs du monde économique.