En 2007, Canal+ a fait des fictions un axe de sa stratégie de positionnement premium. S’il s’agissait au départ de se démarquer vis-à-vis des chaînes nationales, c’est dans un contexte global, ultraconcurrentiel, structuré par des acteurs comme Netflix et Amazon qu’il faut désormais se distinguer. L’enjeu est double : injecter une ambition renouvelée en permanence et convaincre les meilleurs talents de développer leurs projets de séries avec Canal+. Cela passe par la démonstration qu’ils y trouveront un espace de création unique.


Exposé de Fabrice de La Patellière

Les séries sont devenues l’un des objets culturels les plus prisés : elles occupent une bonne part de notre temps libre et nourrissent nos conversations. C’est sur cette arme de choix qu’ont misé les plateformes qui, depuis dix ans, bouleversent le paysage audiovisuel. Canal+ offre un bon poste d’observation de ces transformations. En effet, après avoir contribué à renouveler le genre de la fiction en France et à le faire monter en gamme, la chaîne doit désormais affronter des nouveaux venus qui rivalisent d’inventivité et déploient des moyens sans commune mesure avec ceux des chaînes traditionnelles.

Dépoussiérer la fiction française

En 2002, alors que Canal+ traversait une crise, son président, Dominique Farrugia, m’a chargé d’y relancer la fiction, genre que le Groupe avait peu exploré. Parmi les six chaînes de télévision d’alors, Canal+ se distinguait tant par son modèle économique, reposant sur l’abonnement – les autres chaînes étant gratuites –, que par son contenu, misant essentiellement sur le cinéma et le sport. Le Groupe s’inspirait en cela de son modèle américain, la chaîne payante HBO, mais n’avait guère développé la fiction, dans laquelle son mentor s’était au contraire imposé, avec des séries comme Les Soprano. Une sitcom de Canal+ avait néanmoins fait date, H, résolument innovante et adoubée par le jeune public ; elle a d’ailleurs mis le pied à l’étrier à des humoristes comme Jamel Debbouze ou Éric et Ramzy. Pour le reste, la chaîne s’intéressait peu à la fiction, qui n’entrait pas dans la culture des dirigeants de l’époque ; ils privilégiaient le cinéma. Le Groupe remplissait ses obligations légales d’investissement dans des œuvres audiovisuelles d’expression française, mais le plus souvent par le biais de coproductions avec TF1 et France 2, sans développer une offre singulière.

Durant les quelques mois qu’il a passés à la tête de Canal+, Dominique Farrugia a entrepris de combler ce manque. Il m’a engagé en me confiant une mission : cette chaîne devrait désormais se distinguer aussi par la série. Après son départ, plusieurs dirigeants se sont succédé en moins d’un an, jusqu’à l’arrivée de Rodolphe Belmer en 2003. C’est avec lui que nous avons véritablement lancé la Création originale.

Inventer son style

Quel type de fiction nous correspondait ? Canal+ étant une chaîne payante, nous devions nous démarquer des fictions des chaînes gratuites, que regardaient par ailleurs nos abonnés. Ce défi ne pouvait que me réjouir, car je venais de passer plusieurs années chez TF1, dont les fictions phares comme Navarro et Julie Lescaut avaient considérablement vieilli – leur audience était d’ailleurs assez âgée. Ma génération, adepte des séries anglo-saxonnes, se détournait de cette fiction française datée et formatée, qui racontait toujours les mêmes histoires, toujours de la même manière, dans un monde sans lien avec la réalité. Les héros, qu’ils fussent policiers, médecins ou juges, correspondaient aux stéréotypes de scénaristes qui auraient trouvé incongru de se documenter. Cette télévision s’attachait à donner une vision optimiste et positive du monde. J’avais, au contraire, été nourri par une fiction, notamment britannique, ancrée dans le réel.

Canal+ se démarquerait donc des chaînes hertziennes en proposant une fiction réaliste, qui parlerait du monde, quitte à en explorer les aspects sombres. Nous nous affranchirions du format standard des séries françaises, à savoir des épisodes de quatre-vingt-dix minutes dont chacun racontait une histoire jusqu’à son dénouement et dont les personnages, brossés à grands traits une fois pour toutes, n’évoluaient pas. Les scénarios d’alors n’exploitaient pas l’atout du genre que constitue la durée, propice à développer des histoires complexes où les personnalités se révèlent peu à peu.

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