Les années 1960 voient naître un rêve : le management scientifique sera aux décideurs ce que la balistique est aux artilleurs, une discipline permettant, grâce à de savants calculs, de tirer au but de manière presque infaillible. Des jeunes de tous pays se pressent dans les business schools, temples de cette nouvelle religion, pour se former à cette science. Nombre de chercheurs en gestion, pour se conformer au modèle des sciences dures, se focalisent sur des critères tels que le degré de mathématisation des formulations. Ils s’éloignent ainsi de la pratique, mais sans en ressentir de gêne car la cité scientifique est active et prospère : dans la société de pénurie de l’après-guerre, les démarches cartésiennes sont à la fois des techniques d’action sur le réel (optimiser l’usage de ressources rares) et un puissant mythe mobilisateur.
Mais dans la société de consommation, l’enjeu n’est plus de mathématiser les choix mais d’innover, de séduire, pour vendre. Google ou Facebook sont devenues gigantesques en proposant des services dont nous ne savions pas avoir besoin. Si quelqu’un avait annoncé, il y a dix ans, qu’il comptait créer des sociétés telles que celles-ci, on lui aurait dit « cela ne marchera jamais ! », manière dont on accueille les idées folles. Mais quand il faut faire rêver, les idées folles sont à prendre au sérieux. Comment faire ? Voyons cela avec ce numéro.
La météo influence l’économie, et pas seulement les ventes de glaces ou de parapluies. Jean-Louis Bertrand propose de favoriser le marché des dérivés climatiques. Cela semble pour l’instant une idée un peu folle aux acteurs de la finance. Ceux-ci se sont pourtant lourdement fourvoyés, selon Christian Walter, en se fondant sur des modèles browniens des risques financiers, et les dérivés climatiques peuvent revenir au goût du jour quand ils chercheront des risques un peu plus prévisibles à couvrir.
Si Thierry Martin avait clamé qu’il deviendrait le roi des piscines, qui l’aurait cru ? D’ailleurs, il n’a rien proclamé, mais il s’est orienté de fil en aiguille vers cette activité. Il fait disparaître un à un ses concurrents en se souciant de savoir ce qui fait rêver ses clients et de quoi ils ont peur. Une idée folle, à en juger par la façon dont raisonnent ses confrères…
Jean-Marc Borello aurait pu être un homme d’affaires fortuné, mais il a exploité un filon lui donnant plus de satisfactions. Découvrant sans cesse de nouveaux besoins sociaux à satisfaire, il a bâti une constellation de 200 associations et 3 000 personnes. Pour lui, il faut cesser d’opposer entreprises à capitaux et entreprises de l’économie sociale, et il transgresse des frontières d’une manière qui aurait fait scandale il y a peu. Aujourd’hui, il attire de plus en plus de monde.
Industrialiser la fabrication d’une série télévisée est la tâche à laquelle se sont attelés Isabelle Dubernet et Éric Fuhrer. Voilà un moyen sûr de produire à la chaîne des épisodes convenus, dira-t-on ! Sauf si l’on est inventif et qu’on dispose de temps pour créer les processus appropriés, opportunité plus facile à trouver dans une chaîne jouant les outsiders. Et voilà comment Plus belle la vie est une des plus grandes réussites des fictions françaises.
Grenoble s’est affirmée comme un pôle de l’électronique qui attire des talents du monde entier. Elle n’en finit pas de récolter les fruits des graines semées il y a plus de cinquante ans par Louis Néel, prix Nobel de physique, Louis Weil, fondateur de l’Institut polytechnique, et l’industriel Louis Merlin, qui ont eu l’obsession, étrange pour l’époque, de faire coopérer enseignement, recherche et industrie.
Fin 1993, Jean-Marc Oury, Raymond-Alain Thiétart, Jean-Claude Thoenig et moi avons fiévreusement esquissé sur un coin de table le projet d’une école sans murs ni professeurs qui s’appellerait l’École de Paris du management. On nous a bien sûr souvent dit que cela ne marcherait pas… Si les idées folles sont des affaires sérieuses aujourd’hui, laissons leur donc le temps de germer. Bonne année 2011.