Innover, conquérir de nouveaux marchés, lancer des OPA, fusionner, etc. De l'audace, encore de l'audace ! Se reposer sur ses acquis menace l'entreprise de mort, dit-on. Mais sans clairvoyance, la mort peut être encore plus rapide, l'actualité le rappelle tous les jours. L'alpiniste rêve de conquêtes mais il a appris à regarder où il met les pieds. Sa formation pourrait être un bon modèle pour celle du manager. On lui apprendrait le respect de la montagne - entendez de l'organisation - et les façons d'y assurer ses prises, et on lui permettrait de s'aguerrir sur des courses de plus en plus difficiles. On pourrait aussi lui donner à méditer ce numéro.
Quand Renault a pris 37 % de Nissan on a crié "au fou !" Pourtant Carlos Ghosn est parti avec une cordée de trente personnes, annonçant qu'en cas d'échec tous démissionneraient : la perspective de la chute fatale, voilà qui aiguise la vigilance. Georges Douin montre en particulier combien les gens de Renault ont été attentifs à respecter l'identité de Nissan. Cette clairvoyance vient de l'échec de la fusion Renault-Volvo, mais aussi de ce que le premier de cordée avait déjà redressé avec succès des entreprises sous des climats variés.
Quelle mouche a piqué Joseph Puzo pour qu'il s'installe à Montmirail, petite ville coupée de tout, pour développer de hautes technologies, a-t-on dû se dire ? Mais peu de défis l'arrêtent, comme de proposer à Volvo, encore eux, de racheter ses filiales pour zéro franc, ou d'aller chez son banquier chalumeau à la main pour lui demander un prêt. Il n'a pas froid aux yeux, mais il fait preuve d'une rare vigilance envers ses clients, ses fournisseurs et son environnement institutionnel. Un vrai tempérament d'alpiniste.
S'il est un domaine où l'on a de l'audace sans clairvoyance, c'est bien l'informatique : NTIC, ERP, mots magiques d'aujourd'hui, sont à l'origine de projets pharaoniques. Si ça ne marche pas, on dit que les utilisateurs étaient nuls, ou les informaticiens. Il faudrait alors admettre qu'il y a beaucoup de nuls car cela marche rarement comme prévu. Il vaudrait cependant mieux, dit Francis Pavé, considérer l'informatique comme un outil passablement rétif, plutôt que comme le grand moteur du progrès, et appréhender le management dans son humanité pour découvrir les vrais ressorts du changement.
Le grand âge n'est plus le temps de l'audace, mais celui de la clairvoyance sur l'organisation de sa vie. Elle incombe souvent aux proches, pour chercher par exemple une maison de retraite. Dure épreuve quand il faut agir dans l'urgence et qu'on est habité d'un sentiment de culpabilité : l'idée de finir sa vie dans une maison de retraite n'est pas installée dans nos mentalités, d'où le désarroi face à une épreuve non préparée. Frank Vermeulen et des acteurs d'établissements pour personnes âgées expliquent comment instruire ses choix et montrent les efforts déployés pour adoucir les fins de vie, efforts qui requièrent courage et clairvoyance.