Les entreprises multiplient les plans de transformation toujours plus globaux et ambitieux, afin de faire évoluer leur culture et leur management. ENGIE et L’Oréal illustrent deux approches, l’une visant directement les comportements, l’autre passant par des modifications de périmètres, une harmonisation des outils, ou encore un changement d’organisation. Dans les deux cas, le grand enjeu est le même : au-delà de l’affirmation d’une vision et de principes, comment distiller la transformation jusque dans les pratiques quotidiennes ?
Exposés de Frank Demaille et de David Arnéra
Pourquoi se transformer ?
Frank Demaille : Pourquoi se transformer ? La question m’est régulièrement posée par les équipes dans les 30 pays où ENGIE est présent. Je distingue deux motifs de transformation pour le Groupe, l’un exogène, l’autre endogène.
La raison exogène tient à l’exigence de décarbonation. Autant un énergéticien “à l’ancienne”, qui exploite des centrales à charbon, vise les pays où la demande d’électricité croît encore (en Asie notamment), autant un énergéticien comme ENGIE, qui œuvre à la réduction des émissions de CO₂ en déployant des énergies renouvelables, vise des pays développés où la demande en énergie est stable, voire légèrement décroissante, et où les sources alternatives et renouvelables croissent rapidement – c’est le cas en Europe, aux États-Unis, ou encore au Brésil. Il doit donc recentrer ses priorités et déplacer son centre de gravité.
Quant à la raison endogène, elle tient à notre histoire. Ayant longtemps crû par acquisitions, le Groupe était fortement décentralisé, avec de nombreuses entités, dont certaines s’érigeaient en baronnies. Nous couvrions en outre un champ d’activités très large : à titre d’exemple, nous gérions encore récemment des piscines en Belgique. Pour réussir dans la transition énergétique, il nous a semblé nécessaire de concentrer nos ressources humaines et financières sur des objectifs plus resserrés. Nous devions déployer notre capital dans un nombre plus restreint de pays, afin de gagner en impact. Pour cela, il fallait adopter un modèle de groupe industriel intégré. À titre d’exemple, ENGIE a cédé ses activités de services (climatisation, génie électrique...), qui s’éloignaient de sa logique fondamentale d’énergéticien, consistant à investir dans des actifs destinés à fonctionner pendant des décennies. De ce fait, notre effectif est passé de 170 000 à 100 000 collaborateurs le 4 octobre 2022.
Nous avons par ailleurs concentré notre présence géographique, passant de 70 à 30 pays en deux ans. ENGIE s’est ainsi retiré d’Argentine, où le business est assez complexe, et est en passe de quitter l’Indonésie, où il occupait pourtant une position très forte dans l’exploitation d’une centrale à charbon et la géothermie. En interne, l’organisation est passée de 25 business units à 4 métiers globaux. S’y ajoute une convergence des systèmes informatiques, notamment de nos 88 ERP, dont nous espérons réduire le nombre à 8 d’ici à trois ou quatre ans. Cette harmonisation dépasse les seules considérations techniques : elle doit contribuer au rapprochement des équipes et à l’adoption de nouvelles façons de travailler à tous les niveaux.
Ces transformations “dures” doivent se doubler de changements “doux”, touchant aux comportements et à la culture. En la matière, nous en sommes aux prémices – L’Oréal nous devance largement ! Nous devons tout particulièrement progresser dans le domaine de la santé et de la sécurité, qui renvoie largement à l’humain et aux façons de se comporter. Cette dimension n’est pas la plus facile à appréhender pour les ingénieurs et les financiers que nous sommes. Nous avons néanmoins engagé un important travail sur la culture et les attitudes collaboratives et managériales. C’est une démarche complexe et de longue haleine, dont nous espérons voir les premiers fruits au début de l’année prochaine.
Briser la culture de la peur
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