L'appel à projets de pôles de compétitivité lancé en 2004 a suscité un engouement d'une ampleur inattendue : la perspective d'un adoubement par l'État fait toujours rêver en France. Mais comment lancer du haut un mouvement partant usuellement du bas ? Il a en effet fallu quelques décennies et des initiatives locales pour que la Silicon Valley devienne le lieu de rayonnement que l'on connaît.
Certes, si l'État était à la manœuvre, il en appelait à des initiatives locales par son appel d'offres. En laissant peu de temps aux acteurs pour bâtir un projet, il pouvait mesurer leur envie de se lancer dans une aventure commune. Mais il pouvait aussi susciter un simple effet d'aubaine, et l'histoire a souvent montré qu'il ne suffit pas d'afficher de belles résolutions pour réussir. Comment les pôles de compétitivité peuvent-ils devenir ces lieux d'excellence locale que l'on souhaite créer ?
Pour instruire cette question, l'École de Paris s'est proposé, avec l'appui de l'Institut CDC pour la Recherche, de la Caisse des dépôts et de la Direction générale des entreprises du Minefe, d'y consacrer plusieurs séances, certaines réalisées avec l'Observatoire des pôles de compétitivité créé par l'École des mines de Paris avec l'Association des régions de France.
Elle a d'abord débattu d'un rapport de Thierry Bruhat qui, après avoir visité une quarantaine de pôles pour établir un "cahier des doléances", a proposé de clarifier la gouvernance du haut pour laisser plus de liberté aux acteurs locaux et donner un second souffle à cette politique.
Trois séances ont été consacrées à des pôles. Medicen a de grandes ambitions : d'une part c'est la première concentration d'Europe en laboratoires de recherche de l'industrie pharmaceutique et en recherche clinique, et il a parmi ses initiateurs les fondateurs du Genopole® à Évry, qui ont déjà soulevé des montagnes en poursuivant le rêve de vaincre les myopathies.
Minalogic poursuit un rêve mené depuis plus de cinquante ans, notamment incarné par le prix Nobel Louis Néel, de faire de Grenoble une zone d'excellence mondiale en électronique. Sa labellisation comme pôle lui donne un pouvoir d'attraction supplémentaire, et l'on voit son secrétaire général tisser inlassablement des liens avec des PME innovantes pour les associer et stimuler l'ensemble.
Pour Michael Porter, économiste réputé, l'efficacité des clusters tient à la proximité physique des entreprises, qui stimule collaborations et compétition. Ce n'est pourtant pas ce qu'on observe au cluster de Waterloo, au Canada : Allison Bramwell montre que c'est l'université qui a réussi à créer un marché des talents attractif. Un projet audacieux et visionnaire, le Waterloo Plan, élaboré il y a cinquante ans, a porté ses fruits.
Enfin, une séance consacrée à un échange avec des acteurs et des observateurs de ce type de politique, en France et à l'étranger, montre les avancées de ce projet national et les contradictions qu'il reste à surmonter.
Ceux qui y arriveront le mieux seront sans doute ceux qui auront su faire partager un rêve un peu fou. Quand Pierre Laffitte a écrit en 1960 dans Le Monde son article "Le Quartier Latin aux champs", cela a fait sourire, et pourtant l'idée folle de Sophia Antipolis est aujourd'hui réalité (1). Claude Riveline le dit dans sa page Idées, nul ne sait ce que peuvent faire les hommes dès lors qu'ils se mettent à partager un rêve, bien sûr s'ils sont vigilants sur les différents ordres de réalité auxquels ils sont confrontés.
(1). Michel Quéré, Jacques Masboungui, Pierre Laffitte "Sophia Antipolis 1960 - 2005, le destin d'une idée folle", Les Annales vol. XII, 2005.