La nouvelle économie avait vécu, écrasée par une crise qui avait révélé tout ce que l’engouement autour des valeurs internet portait d’irrationnel. Malgré la purge à laquelle cette crise avait donné lieu, l’économie de l’internet avait continué à se développer, tambours et trompettes en sourdine. Un nouveau mouvement tectonique amplement annoncé, celui du Big Data, est en train de redonner tout
son sens à la notion. Son avènement s’accompagne de mutations considérables, peut-être plus déstabilisantes que celles qu’annonçait la notion de nouvelle économie.
François Bourdoncle est le copilote du plan français Big Data, l’un des axes considérés comme stratégiques pour l’économie de notre pays dans le cadre du plan Innovation 2030. Derrière cet axe, il met au jour les prémices d’une guerre économique intense, aux enjeux considérables. La lecture de son analyse montre que ces enjeux portent sur l’économie, mais aussi sur des enjeux sociétaux.
Sur le plan économique, c’est une guerre entre les anciens et les modernes qui se dessine, laquelle peut conduire à ce que des entreprises historiques basculent au rang de sous-traitants de celles qui maîtriseront la gestion et l’utilisation des données personnelles. La révolution du Big Data peut faire des géants des assurances, de la téléphonie ou de l’automobile, de simples sous-traitants de Google ou Apple. L’exemple de Tesla montre ainsi comment un constructeur automobile performant peut émerger de l’univers de l’informatique.
La guerre des données aura d’autres conséquences. Car loin de se limiter à supplanter les opérateurs traditionnels sur leur métier, les entreprises maîtrisant la relation client pourront proposer des offres adaptées aux profils individuels, et, ce faisant, se focaliser sur les meilleurs clients. Les autres resteront auprès des opérateurs traditionnels, que la fuite de leurs meilleurs clients conduira à augmenter leurs tarifs. Le risque est celui d’une dynamique d’exclusion de l’accès à certains services pour une partie de la population.
L’exclusion est le thème des deux articles suivants. Livelihoods Venture est une initiative de Danone pour répondre à la problématique de la faim de populations rurales de pays en voie de développement, en s’appuyant sur des ONG locales. L’article de Benoît Genuini rappelle que le monde de l’exclusion est très présent dans notre pays, où 12 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Il permet de mieux comprendre les problématiques de la lutte contre la pauvreté. L’enjeu majeur est, selon lui, de changer la logique d’intervention pour passer d’une approche statistique à une approche qui tienne compte des situations singulières.
Il n’est pas certain que ce que décrit François Bourdoncle peut être apparenté à une situation d’urgence, au sens que lui donnent Charles Canetti et Claudine Catinaud. L’urgence implique risque réel et délai bref. Elle appelle des modes de management spécifiques, de type commando. Sa prise en considération nécessite de délaisser les outils de management statistiques pour se focaliser sur les signaux faibles, l’observation, la vigilance.
L’ensemble des articles de ce numéro se font écho pour souligner un autre enjeu sous-jacent à la guerre des données, peut-être plus fondamental, celui des modes de représentation qui président à l’action. Derrière le Big Data, c’est sans doute un modèle nouveau qui est en voie de se substituer aux modèles bureaucratique et statistique. Il y aura une nouvelle économie.