Avec la mondialisation, les managers sont confrontés à des partenaires et des concurrents toujours plus lointains et énigmatiques, ce qui engendre incompréhensions et craintes : l'autre est une menace lorsque je ne comprends pas ses mobiles et sa manière, et cela peut tourner à des affrontements d'identités dévastateurs. Comment concilier le respect de l'autre et les vertus roboratives de la compétition, valeurs toutes deux magnifiées par le sport ? En aimant son lointain comme soi-même, avance Claude Riveline dans sa page Idées, et en instaurant des dialogues permettant à chacun de revendiquer son identité et ses différences, en acceptant la réciprocité. Vaste programme, dira-ton, mais voyons-en quelques éléments avec ce numéro.
Que n'a-t-on dit sur tyrannie des marchés financiers ou le manque de considération des patrons français envers leurs actionnaires ? Mais la part des investisseurs étrangers dans le CAC 40 étant passée de 10 % en 1985 à plus de 44 % aujourd'hui (Le Monde du 29 juillet), il a bien fallu aux partenaires apprendre à mieux se comprendre. Pour Bertrand Collomb et Emmanuel Soupre, quand des dialogues fréquents sont instaurés et que chacun y consacre le temps et les moyens qu'il faut, cela instaure une relative harmonie dans la coopération malgré les incessants à-coups de la vie des affaires.
Renault aurait pu prendre Nissan de haut et les Japonais mal supporter d'avoir des Français pour maîtres. Mais Renault était marqué par son échec avec Volvo, et Carlos Ghosn avait une conscience aiguë de la relativité des cultures. Les Français ont donc observé et écouté plusieurs mois avant d'énoncer un plan de redressement ambitieux. En cas d'échec, ils démissionneraient, ce qui établissait une symétrie de bon aloi entre les parties. Patrick Pélata, explique comment le renouveau s'est organisé. Et on sent dans ses propos une estime, une admiration même, pour ses collaborateurs japonais, qui sont clé de cette réussite sur laquelle peu misaient au départ.
La mondialisation amène à comparer écoles de commerce françaises et business schools. Les deux peuvent prétendre à l'excellence, mais de façon différente. Les écoles françaises vont-elles se faire laminer par les standards américains, et avec elles les recherches en gestion menées en France ? Vont-elles au contraire arriver à valoriser leurs spécificités ? On devine le point de vue que j'ai défendu, mais les propos de Bernard Ramanantsoa donnent la mesure de la pression qui pèse sur une école comme HEC et la façon dont les classements établis par des institutions américaines brouillent les cartes. La bataille sera rude, surtout si les Français prennent, consciemment ou non, la posture du colonisé.
Elisabeth Bourguinat rappelle, dans L'esprit de l'escalier, l'origine du mot handicap, d'après laquelle les handicapés qui s'intègrent dans l'entreprise seraient plutôt plus doués que la moyenne Gérard Masson, François Rosssignol et Bernard Tocail ne sont pas loin de le penser et ils ont vu chez EdF des handicapés vecteurs d'un dynamisme hors du commun. Mais encore faut-il porter a priori un regard positif sur les handicapés, et on en est très loin dans notre pays. Quelles actions et quels dialogues permettront de changer ce regard ?