L'expression "coeur de métier" fait partie du lexique élémentaire de tout dirigeant d'entreprise. À la regarder de près, elle intrigue à double titre. D'abord, parce que, lorsqu'elle est brandie, l'idée de recentrage n'est jamais bien loin. Ce coeur-là est plus souvent agité de systoles que de diastoles, de contractions que de dilatations. Ensuite, parce qu'il a tout de l'oxymore?: si le coeur renvoie à quelque chose d'à la fois profond et transcendant, le métier a trait à une dimension quasi routinière. Lorsque l'on a du métier, on fait les choses bien, sans trop y penser.
Les textes de ce numéro parlent de coeurs de métier, le pluriel étant là pour éloigner les images immédiates que l'expression pourrait générer, et bien souligner qu'il n'y a pas qu'un "tac", celui de la systole. Car il sera question ici de redéploiements?: des démarches d'identification, dans des contextes évolutifs, de ce qui fait le coeur d'activités. Des démarches d'introspection, dans des métiers parfois ancestraux.
Tel est le cas pour la métrologie, métier de l'ancien Corps des instruments de mesure, créé à la Révolution, et rattaché aujourd'hui au ministère de l'Industrie. Pour Jean-Marc Le Parco, qui en a hérité la responsabilité, il s'agissait d'interroger, et de valoriser, ce qu'il y avait derrière cette institution aux accents surannés. Son travail a été de redonner fierté à ses équipes en les conduisant à redéfinir leur identité.
Dans le texte d'Emmanuel Marchant, le coeur dont il est question est celui de la mission de Danone, et de sa double dimension économique et sociale, qu'il s'est agi de décliner dans des projets de social business. Avec le Crédit Agricole, Danone a créé un fonds d'investissement pour accompagner des projets de développement de par le monde, en pensant bien les conditions pour préserver l'esprit de ces projets.
Lorsque des marques font appel à l'agence du designer Patrick Jouin, c'est pour leur apporter un autre regard. Dans le travail qui s'opère avec elles, l'étape portant sur la transmission de ce qu'est la marque est fondamentale au point que le designer refuse de la déléguer. Son travail consiste alors à revenir à l'essentiel des projets d'objets qu'on lui confie, qu'il s'agisse d'un couteau ou d'un hôtel. Une démarche de retour à l'essentiel, et de redéploiement dans des nouveaux projets.
Le coeur de métier de Total, c'est l'énergie. Pour se positionner sur les énergies renouvelables, pour lesquelles elle n'avait qu'un savoir-faire limité, l'entreprise a fait le choix d'un modèle de partenariat avec un réseau de start-ups. Par là, elle cherchait à acquérir des compétences pointues, et les aider à se développer, sans prendre le risque de les voir s'évanouir au contact des logiques de grand groupe. Total GEN a été conçu comme un écrin pour pérenniser le coeur de ces entreprises.
C'est le même souci qui a guidé les responsables des soeurs de la Charité de Strasbourg, une congrégation religieuse au service de l'homme souffrant qu'elles souhaitaient pérenniser en la transmettant à des chrétiens laïcs. La démarche a consisté à mettre le coeur d'une institution vieille de deux siècles et demi dans une organisation propre à le faire battre dans un contexte renouvelé.
Ces coeurs de métier-là battent. Si les expériences dont il est question impliquent des démarches d'introspection, elles sont au service de redéploiements. Systole, diastole...