Et si les patrons atypiques étaient plus performants ? L’idée peut intriguer. Y a-t-il des patrons typiques ?! C’est pourtant à cette hypothèse que s’est intéressé Norbert Alter, à partir de l’observation que beaucoup d’innovateurs n’étaient pas complètement “normaux”. Une enquête menée auprès de patrons et entrepreneurs en dehors de la norme l’a convaincu du bien-fondé de son hypothèse. La différence, constate-t-il, qu’elle soit relative à la couleur de peau, au sexe ou à la formation, confère à ceux qui la portent une identité qui se traduit par une posture spécifique en situation de management, une posture marquée par une grande distanciation, notamment vis-à-vis des conventions ou des étiquettes. Les patrons atypiques sont réflexifs, cherchent à sortir du rôle qu’on veut leur octroyer, restent extérieurs. Leur marginalité originelle fonde aussi leur identité, qui les pousse à l’audace. Ils croient aux fées, dont certaines ont souvent marqué leur parcours. Dans les affaires, être atypique implique une distance et un engagement, qui apparaissent comme des qualités cardinales.
Le chef Olivier Roellinger ne se définit pas comme un patron, mais comme un homme qu’un accident de la vie a poussé à l’aimer plus encore. Après une agression qui l’a laissé pour mort alors qu’il était étudiant, il décide de ne jamais devenir adulte et de prendre la vie comme un jeu. Distance, et engagement. Cela le conduira à choisir de devenir cuisinier, et à obtenir trois étoiles au Guide Michelin en créant dans une dialectique permanente entre les produits de la baie de Saint-Malo où il a grandi, et l’ailleurs, le lointain. Cuisiner pour raconter sa Bretagne, en partant à l’aventure au bout du monde.
Le Mouvement Desjardins est le premier employeur québécois après le gouvernement provincial, et la quatrième institution financière la plus sûre d’Amérique, dans laquelle presque tous les Québécois ont un compte. C’est une banque, mais qui repose sur un modèle de coopérative, et qui s’est engagée très tôt dans l’investissement socialement responsable. Une banque atypique, dans son positionnement et dans son fonctionnement, elle aussi marquée à la fois par une distance – par rapport aux pratiques et modèles
dominants du secteur – et un engagement tant social que dans les entreprises dans lesquelles elle investit.
Il faut aussi de la distance pour comprendre les mouvements qui se dessinent dans le monde de l’Internet, lorsqu’il s’agit d’y investir. Michel Dahan, à la tête de Banexi Ventures Partners, a dû se forger une vision de la bataille de géants qui se joue entre les cinq grands de l’Internet, car elle structurera largement les trajectoires des start-up qui veulent y prospérer, ou survivre dans un univers violent et imprévisible.
L’univers du médicament donne aussi à voir comment la distance autorise l’engagement. Vincent Grek a fondé O4CP sur le constat que les médicaments pédiatriques étaient inadaptés... aux enfants. La distanciation l’a conduit à s’inspirer de ce qui se faisait dans d’autres domaines, comme les ordinateurs ou les chaussures, pour trouver des réponses à des problèmes que l’industrie pharmaceutique, dans ses pratiques, ne considérait pas. Après six années d’existence, avec un business model original, O4CP a onze médicaments dans les tuyaux et songe à s’introduire en Bourse pour accélérer son développement.
Distance et engagement offrent sans doute une définition du management, en tout cas tel que le Journal de l’École de Paris s’efforce de donner à le présenter depuis sa première livraison. Ce numéro inaugure une nouvelle maquette, plus moderne, pour continuer à montrer comment ces deux mots s’entrelacent dans la vie de toutes les organisations.