On pense souvent que la technique est une affaire trop ardue pour en faire un sujet de conversation. On aime pourtant discuter d’à peu près tout en France, par exemple des vertus comparées de la relance par la consommation et par l’investissement, sujet sur lequel les économistes peinent pourtant à trouver un consensus. Mais la technique relèverait du “dur”, de l’indiscutable, les autres affaires humaines relevant du “mou”, du discutable. Cette distinction héritée des Lumières ne tient cependant plus guère, comme le rappelle Claude Riveline dans sa page Idées. Ce numéro montre en tout cas combien les réussites, ou les échecs, de projets techniques tiennent à des aspects profondément humains.
L’Institut Pasteur a créé un incubateur, Pasteur BioTop, pour favoriser la création d’entreprises par des chercheurs. Créer une entreprise, voilà qui peut être romanesque, voire tourner au tragique si l’on se rappelle le destin de César Birotteau dans Balzac. Mais l’Institut a la sagesse de ne pas s’en remettre aux seuls aspects techniques et à la froideur des business plans pour aider ses hardis pionniers : il les soutient par un relationnel très attentionné assuré par Pascale Altier, dont l’implication affective semble jouer un rôle décisif dans le succès de l’incubateur.
Ross Koppel rapporte des faits inquiétants au sujet des nouvelles technologies de l’information dans les hôpitaux. Alors qu’elles devraient apporter de grands progrès, elles entraînent une multiplication d’erreurs médicales. C’est que les concepteurs et les financeurs de ces cathédrales technologiques sont restés dans leur monde technique sans prendre en compte les contraintes des personnels de soin, ni imaginer que cela pouvait jouer un rôle.
Montréal est-elle devenue un pôle mondial de la création de jeux électroniques parce qu’elle a offert aux entreprises des conditions fiscales exceptionnelles ? Ubisoft a certes été attirée par cet argument très rationnel et fort peu romantique, mais elle a découvert un facteur plus important : l’apport de la culture underground qui s’épanouit dans les bars et les salles de spectacle de la ville, et grâce aux festivals de toute sorte qui s’y déroulent.
Il y a peu, les banques se battaient pour attirer les quants, cerveaux qui maîtrisent les mathématiques les plus pointues et sont les mieux à même, pensait-on, de dominer la complexité des marchés financiers. « Stop, les mathématiques nous abusent ! » a pourtant clamé Nassim Taleb dans un livre devenu best-seller peu avant que le système ne s’effondre : on avait mélangé le “dur” et le “mou”, science et magie, en prêtant aux mathématiques un pouvoir de prédiction qu’elles ne pouvaient avoir.
À ce jour, la ligne de métro 14 ne s’est pas arrêtée pour fait de grève. On pense généralement que c’est grâce à l’automatisation, mais on verra en lisant le témoignage de Mathieu Dunant que ce serait plutôt grâce à l’amour. Le système de management mis en place entretient en effet une proximité entre les acteurs, une valorisation des personnes et une harmonie collective à un niveau rarement atteint en univers industriel.
On sait que la technique a pris une place importante dans notre société, mais elle n’existe pas seule : ses déploiements tiennent à des aspects économiques, humains, organisationnels, qu’on prend mal en compte à force de séparer sciences “dures” et sciences “molles” et de tout découper en (sous) disciplines. Il serait donc opportun de mieux élucider les interactions entre toutes ces dimensions et de diffuser une vision plus riche et réaliste de la technologie. La technique est une affaire sérieuse, il faut en débattre… Nous en reparlerons prochainement.