En dix ans, l’École de Paris a examiné une centaine d’aventures remarquables de PME et ETI industrielles. Il serait imprudent d’en tirer des recettes, car, face à une concurrence à bas coûts, le succès suppose de se démarquer. Repérer les obstacles à surmonter qu’ont en commun ces entreprises et montrer comment chacune y est parvenue peut être source d’inspiration pour les autres. Une analogie avec la création artistique est alors proposée pour penser les stratégies industrielles ambitieuses.
Le séminaire Aventures industrielles de l’École de Paris du management a été créé en 2013, avec l’appui de l’UIMM et de La Fabrique de l’industrie, pour repérer des PME ou des ETI qui ont mené une stratégie de conquête et analyser leur démarche. Alors que l’on parlait d’un inéluctable déclin français, du fait de la fiscalité, des charges sociales, de la rigidité du marché du travail, ou encore de l’image de l’industrie, nous cherchions à repérer les facteurs “micro” des succès. La centaine de cas étudiés a fait découvrir des aventures étonnantes, voire extraordinaires. Pour autant, les stratégies suivies ne tombaient pas sous le sens : la PME ou l’ETI performante n’est pas un modèle réduit de la grande entreprise. Les séances du séminaire ont même montré qu’il n’y avait pas, loin de là, une manière unique d’arriver au succès.
Dès lors, comment tirer des enseignements généraux de ce patrimoine d’observations en respectant la variété des réponses trouvées par les acteurs aux défis auxquels ils sont confrontés ? Plutôt que d’énoncer des principes et des recettes de portée générale, nous proposons une grille de lecture de ces aventures industrielles. Elle a pour but de repérer les problématiques auxquelles sont confrontés les acteurs de l’industrie, dans l’idée que le repérage de ces questions clés peut les aider à résoudre leurs propres problèmes et les éclairer sur les stratégies gagnantes. L’examen de la façon dont d’autres ont fait face à des problèmes semblables ne leur donne pas la solution – il ne s’agit pas de les copier, chaque situation étant différente –, mais peut être une source d’inspiration.
Nous postulons d’abord que le succès passe par la distinction par rapport aux concurrents. Nous proposons ensuite dix problématiques, énoncées comme des têtes de chapitres. Chacune est brièvement illustrée par des cas étudiés lors du séminaire, qui montrent l’ingéniosité des entrepreneurs. Enfin, nous verrons, dans un douzième repère, que la démarche de différenciation de ces entreprises peut être comparée à l’élaboration d’une œuvre d’art et que cette grille pourra servir à faire la critique d’une aventure industrielle au sens de la critique dans le domaine de l’art. Elle pourra aussi servir à commenter des comptes rendus de séances passées du séminaire ou à organiser la discussion de séances à venir. Une fois éprouvée, cette méthode pourrait également aider des acteurs à se lancer dans des aventures, ou servir à la formation de dirigeants ou collaborateurs d’entreprises.
Dans un premier temps, nous avons soumis cette grille à des dirigeants qui ont témoigné au séminaire Aventures industrielles, et sont donc particulièrement bien placés pour discuter la pertinence de ces repères. Dans un second temps, la création d’un Cercle des Aventures industrielles, ouvert pour l’instant aux orateurs et oratrices de l’École de Paris, ainsi qu’à quelques experts, facilitera ces discussions et fournira un cadre pour approfondir ces travaux dans l’échange. Naturellement, les réactions de tout lecteur qui aura pris intérêt à ce texte seront particulièrement bienvenues et étudiées avec soin.
1 – Se distinguer de mille et une manières pour réussir
Il est classiquement admis qu’il existe deux grands types de stratégies : la stratégie par les coûts, pour ceux qui veulent produire de grands volumes, et la stratégie par la différenciation. Dans l’industrie, où les biens circulent facilement et où des concurrents, dépendant d’autres législations, paient leur personnel des misères pendant que nos grandes entreprises sont portées à serrer toujours plus les prix de leurs fournisseurs, il ne peut y avoir de belle aventure pour une PME ou une ETI que par la différenciation. Celle-ci peut être réalisée de plusieurs manières, selon le contexte, les techniques, les marchés et, aussi, selon la personnalité de l’entrepreneur, ses anticipations, ses savoir-faire, et même ses rêves. C’est un travail de longue haleine, souvent difficile, dans lequel il faut associer financeurs, partenaires, personnel et clients. Voici une typologie provisoire des stratégies repérées.
Inventer des usages inattendus
> Clextral1 fabrique des extrudeuses bivis devenues banales dans la plasturgie ; il lui faut donc trouver d’autres marchés. Découvrant qu’elles peuvent fabriquer des croquettes pour chien comme de la pâte à papier fiduciaire, Georges Jobard lance un grand plan d’innovation en partenariat avec des clients dans le monde entier. Vingt-cinq ans plus tard, Clextral est le leader mondial des extrudeuses bivis, présent dans 88 pays, comprend 275 personnes, dont 80 ingénieurs et 3 docteurs, et commerce dans 17 langues pour être au plus près de ses clients.
> En 2006, Cécile Thévenet crée, avec son mari, Securotec, à partir d’une innovation : une tente gonflable à déploiement rapide pour protéger le matériel de cardiologie des pompiers. Ils n’en vendent aucune, mais après bien des rebonds, l’entreprise trouve un marché nouveau grâce à l’invention d’une tente novatrice dédiée aux interventions vitales près des champs de bataille. Un marché d’avenir…
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