Dans les années 1970, six architectes créent une agence autour d’une conception de l’architecture artisanale, exigeante et collective. En 2017, alors qu’il prend la direction de cette agence, exceptionnelle par sa longévité, sa position provinciale et son modèle collectif, Denis Bouvier se retrouve face à deux défis : l’adapter à un contexte de la construction et de la commande publique plus contraint, et renouer avec l’esprit, les principes et les valeurs à l’origine de l’agence, que le succès et une croissance rapide ont ébranlés.


Exposé de Denis Bouvier et Jean-Denis Dupuy

Aux origines du Groupe-6

Jean-Denis Dupuy : Le Groupe-6 est une agence d’architecture grenobloise que j’ai cofondée en 1970 et quittée en 2011. Elle s’est construite dans la durée par une succession de binômes, le premier datant de 1950 avec Robert Pupat et Michel Potié. Ils ont été rejoints, dix ans plus tard, par Bernard Félix-Faure et Jean-Marc Pigeon puis, en 1970, par Olivier Félix-Faure, frère de Bernard, et moi-même. Nos différences d’âge, de plus de 20 ans entre le plus jeune et le plus ancien, la complémentarité des duos, notre goût marqué pour l’architecture et notre organisation sur le modèle de l’atelier ont immédiatement rendu cette alliance opérante et enrichissante. Si nous n’avions pas de stratégie établie, nous avions la volonté claire de nous structurer autour d’une règle fondatrice : être des architectes généralistes qui s’engagent, quel que soit leur âge ou leur apport à l’agence, à gagner le même salaire. C’est donc en tant qu’artisans provinciaux, soucieux de travailler sérieusement, dans le plaisir et l’assurance de notre solidarité, que nous avons commencé à réaliser différents projets autour de Grenoble.

Se développer

Un facteur externe clé dans notre développement, au-delà des politiques de décentralisation et d’aménagement du territoire spécifiques à l’époque, a été l’ouverture des concours d’architecture. Alors que pratiquement toutes les commandes significatives d’État étaient réalisées par des agences parisiennes (certains ministères allant jusqu’à labelliser les architectes selon un système qui excluait totalement les agences régionales), l’instauration de concours publics nous a ouvert une nouvelle fenêtre d’opportunités. Évidemment nous avons dû avancer progressivement dans un environnement complexe : pour être qualifié, il fallait avoir des références ; pour avoir des références, il fallait avoir déjà construit… Néanmoins, nous avons progressé petit à petit, d’autant que nous avions un goût marqué pour la compétition ! Cela nous a permis de construire, en 1976, à Grenoble évidemment, de nouveaux locaux que nous avons agrandis dix ans plus tard. Cette nouvelle agence reprenait nos règles et notre philosophie incarnées en son cœur par une salle de réunion, organisée autour d’une table hexagonale, elle-même entourée de six box vitrés.

Un premier tournant eut lieu lorsque Robert Pupat eut à réaliser un projet de plus grande envergure : l’hôpital thermal d’Uriage. Dans la logique de partage d’expérience et de confiance qui nous animait, il nous a tous immédiatement associés ce projet. À cette époque, l’architecture hospitalière était considérée comme un art mineur, dans lequel la créativité importait peu : il y avait des fonctionnalités impératives fortes et l’idée communément admise était de construire des machines à soigner. Cette approche nous a tout de suite paru fausse : un hôpital est un lieu d’accueil qui a besoin d’humanité et d’apaisement, et donc d’espaces dans lesquels se déplacer sans stress. Cela impliquait un travail de recherches concernant les matériaux et les usages. Nous sommes donc allés à la rencontre des soignants, et plus largement de tous ceux qui faisaient vivre ce type d’établissement, des infirmiers aux chefs de service. Ces entretiens nous ont passionnés et nous ont véritablement permis d’améliorer notre approche. Nous avons depuis, toujours dans cette démarche, créé plus de 60 hôpitaux en France.

© Véronique Deiss

En 1990, forts d’une reconnaissance nationale, nous avons senti la nécessité d’ouvrir une agence à Paris, d’abord, parce que certains de nos clients le demandaient, ensuite, parce que nous sentions qu’il restait difficile d’être préqualifiés pour certains concours. Il ne s’agissait toutefois pas de déménager : nous restions une agence grenobloise, avec une annexe parisienne. Alors que le domaine de la santé représentait 70 % de notre activité, cela nous a offert l’opportunité de nous diversifier et de réaliser d’autres concours, dans la recherche, la restructuration de quartiers, ou encore la création de centres commerciaux. Nous avons ainsi acquis de belles références dans des secteurs variés, qui nous ont permis de nous hisser dans le top 10 des agences architecturales françaises.

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