Que faire? Pour répondre à cette question, les équipes en charge de la cathédrale Notre-Dame de Paris, après l’incendie, disposaient de données éparses, d’études sporadiques, d’un diagnostic qui concluait que la cathédrale avait tenu debout depuis huit siècles... contre tous les calculs. Le travail de reconstruction a alors pris une tournure particulière : il s’agissait de partir du résultat et de trouver les solutions pour y parvenir, notamment en mobilisant les artisans pour qu’ils se réapproprient les techniques traditionnelles.


Exposé de Rémi Fromont

Le 15 avril 2019, en fin d’après-midi, l’alarme retentit : la cathédrale Notre-Dame de Paris brûle. Assez rapidement, grand comble et charpentes sont détruits. La partie sommitale de la flèche s’effondre, attaquant les chaises de la charpente et créant un trou dans la structure. Une immense flamme cuit une partie des pierres au revers du monument. Plus tard dans la nuit, la voûte s’effondre. Au lendemain du sinistre, de la violence du feu et des déluges d’eau nécessaires à son extinction, les lacunes sont impressionnantes : les bois, entièrement calcinés, sont inutilisables. Notre-Dame n’a plus de toit.

Le choix de la restauration

En tant qu’architecte en chef des monuments historiques (ACMH), je fus immédiatement appelé, avec Pascal Prunet, pour participer aux opérations de sécurisation, de sauvegarde et de reconstruction de Notre-Dame de Paris. En France, nous sommes une trentaine d’ACMH chargés de la maîtrise d’œuvre des grands monuments historiques classés appartenant à l’État. Chacun d’entre nous est lié à des circonscriptions pour lesquelles il a une compétence historique exclusive – pour ma part, les départements du Cantal, du Puy-de-Dôme et, récemment, du Cher. À Paris, l’ACMH est, depuis une dizaine d’années, Philippe Villeneuve. Il m’a contacté, car je connaissais bien la cathédrale pour y avoir fait, en 2013, avec mon associé Cédric Trentesaux, les relevés des charpentes gothiques. La question de nos options face à ce sinistre s’est posée très vite. Pour les envisager, nous avons créé un arbre des possibles, qui nous a permis d’identifier trois grandes familles de réponses.

Conserver une lacune à ciel ouvert

La première réponse consistait à conserver ce vide au-dessus de Notre-Dame. Elle pouvait prendre deux formes, dont celle qui correspond à la position de John Ruskin, théoricien anglais de la restauration du XIXe siècle, pour qui un monument doit être régulièrement entretenu, mais aussi vivre sa vie et porter les marques de son histoire. Cela signifiait assumer ce sinistre et laisser la ruine en l’état. Cette option a rapidement été écartée, d’abord, parce que Notre-Dame est affectée au culte et qu’il était important pour le diocèse qu’elle le reste, ensuite, parce qu’il était difficilement envisageable d’avoir une ruine béante au cœur de Paris. L’autre possibilité était de cristalliser les parties sinistrées afin de maintenir la cathédrale sans toit. La logique s’apparentait à celle des États-Unis après les attentats du World Trade Center, avec le Ground Zero : ne pas reconstruire pour des raisons mémorielles. La différence, majeure, est qu’il n’y avait aucune raison de commémorer ce qui n’avait été qu’un accident. De plus, cela posait des questions de faisabilité, de durabilité et d’usage. En effet, les toitures-terrasses présentent des problèmes d’étanchéité et de conservation, d’autant plus si elles doivent s’appuyer sur des maçonneries très anciennes… Cela avait peu de sens, surtout que Notre-Dame bénéficie d’un double classement : en totalité en tant que monument historique, mais aussi, de façon indirecte, dans le bien Rives de Seine du patrimoine mondial de l’UNESCO. La cathédrale, telle qu’elle existait, est considérée comme un élément marquant du paysage parisien. Aussi s’est imposé un consensus : reconstruire un toit et une flèche.

Construire : le mystère Notre-Dame

Proposer une création contemporaine pouvait se faire de plusieurs façons : soit reconstruire la flèche néogothique du XIIIe siècle, soit en créer une nouvelle en modifiant les matériaux d’origine ou en lui offrant un style propre au XXIe siècle. Historiquement, nous savons que Notre-Dame a toujours eu une flèche. Toutefois, nous disposons de trop peu d’informations sur la première – qui date de la fin du XIIIe siècle, peut-être du début du XIVe – pour tenter de la reproduire. Nous savons qu’elle a été démontée à la Révolution, car du fait d’un défaut d’entretien et de conception, elle présentait des risques d’effondrement. L’option de refaire cette première flèche, mal connue, a donc été écartée. Certains ont alors émis l’idée de reconstruire la flèche du XIXe siècle, mais autrement qu’en bois et en plomb. Or, une observation fine du monument montre que la forme et les matériaux de la flèche sont intrinsèquement liés à la structure de la cathédrale. Les modifier faisait donc prendre le risque de pervertir toutes les proportions du bâtiment.

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