D'un coup de baguette magique
Après l’incendie de Notre-Dame de Paris, en avril 2019, Frédéric Létoffé, président du Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques, avait estimé que sa restauration prendrait « entre dix et quinze ans ». De son côté, Jack Lang, ancien ministre de la Culture, recommandait de « se donner un délai court [...], non pas dix ans, quinze ans, mais trois ans ». Au lendemain du sinistre, le président de la République trancha : « Nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame plus belle encore, et je veux que cela soit achevé d’ici cinq années. »
Selon Laurent Carpentier, reporter culture au Monde, c’est Claudia Ferrazzi, alors conseillère culture d’Emmanuel Macron, qui avait été chargée « de produire, au pied levé et au doigt mouillé, une estimation de durée ». Dans l’urgence, « la conseillère sort les dossiers de restauration en cours, des devis, des barèmes, mètre carré multiplié par complexité, elle appelle trois architectes, prend conseil » et avance ce délai de cinq années, auquel personne ne croira vraiment. Or, cette durée a été respectée et la cathédrale a bel et bien été rendue au public en 2024. Comment et pourquoi ce délai a-t-il été tenu ?
À la question du “comment”, Rémi Fromont apporte plusieurs réponses. Par exemple, je croyais que le bois devait sécher très longtemps avant de pouvoir être utilisé pour la réalisation d’une charpente, mais, selon lui, l’essentiel est de veiller à ce que le cœur des poutres soit bien centré : « C’est la raison principale pour laquelle nous avons préconisé d’équarrir les bois à la main : cela permet de suivre le cœur au plus près et de gagner deux ou trois centimètres décisifs, ce qu’un sciage mécanique ne permet pas. » De même, il souligne l’attention extrême qui a été portée à l’ordonnancement, « qu’il s’agisse de gagner un mois, une demi-journée ou une demi-heure de travail ».
Toujours pour le “comment”, d’autres explications plus globales peuvent être avancées. D’après François Chatillon, architecte en chef des monuments historiques, interrogé en 2019 par Le Monde : « Dans un chantier de restauration, le premier écueil, c’est le manque d’argent qui entraîne d’immenses pertes de temps. Avec plus de 800 millions d’euros, rien à craindre. » Laurent Carpentier souligne aussi le rôle décisif joué par « la création d’un établissement public spécial qui échappe aux lenteurs administratives du ministère de la Culture et des comités Théodule sur le patrimoine, et, d’autre part, l’adoption par le Parlement d’une loi d’exception prévue pour contourner, côté mécénat, les systèmes de donations patrimoniales et raccourcir, côté construction, les délais d’offres de marché ».
Il reste à comprendre pourquoi tout le monde s’est donné autant de mal pour tenir un délai calculé sur un coin de table et apparemment arbitraire. Sans doute peut-on écarter tout de suite la réponse « Pour faire plaisir au Président », cet objectif ne paraissant pas susceptible d’avoir motivé l’ensemble des acteurs du chantier… Je vois trois autres explications.
La première est pragmatique : une course contre le temps était engagée pour préserver la cathédrale d’un effondrement qui restait possible tant qu’elle n’avait pas été complètement étayée et protégée. Une fois cette première phase achevée, le rythme était pris et a été maintenu.
La deuxième est sportive et patriotique. La date de 2024 était aussi celle des Jeux olympiques de Paris. Quelle plus belle médaille pour la France que de gagner cet incroyable marathon de cinq ans, sous les yeux des millions de visiteurs venus acclamer les athlètes ?
La troisième est d’ordre magique. L’effondrement de la flèche de Notre-Dame en flammes avait été un spectacle apocalyptique. Pour effacer ce souvenir traumatisant, il fallait lui opposer un geste inverse d’une aussi grande puissance. Comme d’un coup de baguette magique, la flèche a été relevée presque aussi vite qu’elle s’était écrasée. Certes, entre quelques heures d’incendie et cinq ans de reconstruction, il y a une différence, mais négligeable à l’échelle de presque neuf cents ans d’histoire. Salutations et respect aux magiciens qui ont rendu cette merveille possible !