Réalités exemplaires

Le premier Livre blanc de l’École de Paris du management1 se concentre sur deux défis que les organisations, et principalement les entreprises, doivent affronter : d’une part, les vagues d’innovations, notamment technologiques, mais aussi organisationnelles, sources d’opportunités sur de nouveaux terrains de jeux ; d’autre part, les impératifs nombreux de la transition énergétique et écologique. Toutefois, cet ouvrage pousse plus loin l’analyse : il illustre de nouvelles configurations de travail avec des modalités d’actions variées et efficaces. Elles permettent de répondre concrètement aux salariés demandeurs de plus d’autonomie dans leurs activités et soucieux de donner du sens à leurs engagements. Ainsi, les entreprises s’ouvrent de nouveaux champs de fonctionnement et de production, tout en se différentiant positivement par rapport à des rivaux conservateurs.

Innover en alliance avec son entreprise

La première partie de l’ouvrage porte sur le startuppeur-salarié. Ce terme pourrait paraître un oxymore : l’image du startuppeur, jeune, indépendant, débridé, à la recherche de levées de fonds exubérantes, semble très éloignée de la représentation classique du salarié, positionné dans un processus, soumis à des procédures et posté dans une hiérarchie très structurée. Le rapprochement de ces deux figures est cependant fructueux pour se lancer dans des modalités de travail réalistes et plus performantes. 

Avec ce point de vue, le Livre blanc nous présente des initiatives novatrices, fort inspirantes avec des résultats impressionnants. L’exemple de Kls, éditeur de solutions de pilotage d’investissements, est très illustratif. Sa directrice générale, Cécile Joly, a fort bien démontré, lors de son témoignage dans le cadre de la soirée de présentation du Livre blanc du 28 novembre 2024, qu’en hybridant technologie, expérience et support du Crédit Agricole, Kls trouve un marché nouveau et y réussit avec rapidité et satisfaction de ses clients. Avec la même ambition d’explorer de nouveaux terrains de jeux, le Livre blanc traite les exemples de Michelin et d’EDF, leurs structures singulières d’innovation interne et les résultats obtenus grâce à des offres nouvelles. Toutes ces entreprises se rejoignent dans la mise en place de dispositifs d’accompagnement robustes et bien calibrés. Des coaches expérimentés conseillent les startuppeurs pour prendre les bonnes trajectoires, leur fournir les supports nécessaires, tout en laissant aux innovateurs l’autonomie de pilotage indispensable à leur engagement. L’actualité de la course Vendée Globe donne l’occasion d’illustrer le profil de ce mode d’accompagnement. En effet, lors d’une séance de l’École de Paris très originale2, le skipper Franck Cammas a présenté la nécessité d’être accompagné par une équipe pluridisciplinaire dans la durée, créant ainsi un environnement de confiance pour le navigateur qui lui permet de libérer tout son potentiel. 

En se basant sur des illustrations concrètes très explicites, le Livre blanc nous révèle donc un modèle renouvelé de startuppeur qui utilise la “boîte de compétences” propre à son entreprise pour faire apparaître d’autres paysages de développement.

S'ouvrir de nouvelles voies

La deuxième partie du Livre blanc, « Transition énergétique et écologique : l’accélération cachée », apporte un large éclairage sur les transformations volontaristes et audacieuses menées par plusieurs entreprises dans un environnement très instable. Les auteurs mentionnent à juste titre « l’héroïsme des pionniers ». Dans une présentation impressionnante faite à l’École de Paris, Jean-François Caron3 nous avait décrit les changements politiques, économiques, sociaux, culturels qu’il a pilotés dans sa commune du Nord qui subissait les traumatismes de la fin de l’extraction du charbon. Il fallait un athlète de triathlon comme lui pour s’engager dans toutes ces épreuves transformatrices et vaillamment gagner à la fin. Comme dans ce cas, qui illustrait le bouleversement du paysage et de l’image d’un territoire, l’entreprise va transformer sa représentation classique. Lors d’une autre séance de l’École de Paris, un ancien directeur de Michelin a présenté le nouveau modèle d’affaires Product-as-a-Service, consistant à délivrer un service de mobilité sûre en remplacement de la vente de pneus4. Bibendum ne vend plus de pneus ! 

Au-delà de l’aspect économique, c’est une transformation culturelle très profonde qui impacte toute l’entreprise. Vaste chantier à entreprendre dans la durée, au moment où on nous explique qu’il faut absolument accélérer la transition du fait des engagements pris lors de l’Accord de Paris de 2015. Le Livre blanc nous met à disposition des cas très différents d’entreprises qui prennent en compte cet impératif et s’engagent avec détermination en menant des actions dans des domaines variés, et délivrent des résultats plus qu’encourageants. Elles ont dû lever des freins qui peuvent venir de plusieurs côtés, comme l’a souligné le directeur Développement durable Europe de L’Oréal, Joël Tronchon, qui a également exercé cette fonction chez SEB. Il faut convaincre les dirigeants qui jugent risqués les déploiements sur des terrains de jeux nouveaux. Il faut embarquer l’écosystème dans la même démarche. Il faut profiter du cadre normatif, perçu comme lourd et mal établi, pour pousser la simplification des processus. Il est nécessaire d’obtenir l’adhésion des clients sur le bien-fondé et l’intérêt des nouvelles offres. 

Toutes ces actions doivent mobiliser l’ensemble de l’entreprise, grâce à des innovations d’organisation interne. À l’occasion d’une séance de l’École de Paris, une jeune et brillante salariée de l’AP-HP nous avait raconté la perte de temps et d’énergie pour transformer les services de cette organisation, lors de la crise du Covid-19, faute de l’appui d’une task force multi-métiers agile mettant en cohérence dynamique les actions d’efficacité qu’elle préconisait5

L’énumération de ces freins possibles marque l’amplitude du chantier que bon nombre d’entreprises ont lancé. Les témoignages sur ce sujet, lors de la présentation du Livre blanc, ont tous été positifs et stimulants. Un directeur de Deloitte Sustainability France, Pierrick Drapeau, a fait un état des lieux très prometteur, avec de nombreux chantiers qui s’ouvrent et des projets qui décollent. Les exemples de Renault, qui ressuscite l’usine de Flins, et de Decathlon, qui promeut une consommation responsable auprès des clients de ses magasins, renforcent cette tonalité positive et encourageante d’ensemble. Quant à Véronique Andrieux, directrice générale de WWF France, elle reconnaît que le sujet est maintenant traité au niveau de la direction des entreprises, mais, selon elle, entre la volonté exprimée et l'état des réalisations, il y a encore un écart significatif. Elle pointe du doigt une économie prédatrice en ressources du vivant. En préservant effectivement toutes les variétés de la nature, la transition sera réaliste, écosystémique et source d'opportunités.

L'entreprise vivante, audacieuse, confiante

Ce Livre blanc de l’École de Paris est bienvenu : sur les deux thèmes traités, de nombreuses entreprises réagissent activement sans être ballotées d’une injonction à l’autre. Elles passent à l’action, en dynamique continue et cohérente, en ré-imaginant leurs activités, en innovant par des structures d’accompagnement qui libèrent le potentiel de leurs collaborateurs. Elles se différentient, se donnent une image captivante, aimantent les nouveaux talents nécessaires à leurs développements. L’accélération viendra, car les deux thèmes traités par le Livre blanc s’auto-alimentent : les innovations des startuppeurs salariés créent des solutions pour réaliser la transition énergétique et écologique, et celle-ci pousse la créativité des premiers. L’accélération viendra aussi grâce à l’effet d’entraînement et de soutien possible que ces entreprises susciteront dans leurs écosystèmes.

 


1. Franck Aggeri, Michel Berry et Christophe Deshayes, Deux réalités occultées, Livre blanc de l’École

de Paris du management, novembre 2024.

2. Franck Cammas, « Au-delà du talent… », séminaire Création, séance du 12 novembre 2013.

3. Jean-François Caron, « Transposer la réussite singulière de Loos-en-Gohelle », séminaire Vie des affaires, séance du 13 mai 2016.

4. François Johnston, « Une révolution vertueuse : vendre un service plutôt qu’un produit », séminaire Économie et sens, séance du 8 mars 2023.

5. Aude Nyadanu, « Désobéir pour mieux servir : corporate hacking contre Covid-19 », séminaire Management de l’innovation, séance du 19 mai 2021.