Ses recruteurs étant submergés par les nombreuses candidatures suscitées par sa notoriété, L’Oréal s’est tourné vers l’intelligence artificielle pour mettre en œuvre des solutions RH originales. Alors que nombre d’entreprises se laissent entraîner dans des développements techniques hasardeux et des prises de risques inconsidérées, le Groupe a choisi une approche à la fois ambitieuse et précautionneuse. L’acceptation de ces solutions, tant par les recruteurs que par les candidats, augure du succès de ce choix.

Exposé d’Eva Azoulay


J’appartiens à une famille étrange, celle des “Bébés L’Oréal”, puisque j’ai commencé ma carrière dans cette entreprise par un stage, au sortir de mon école de commerce, et que je ne l’ai jamais quittée depuis. Aujourd’hui, je suis vice-présidente RH en charge du Talent Acquisition, c’est-à-dire du recrutement du groupe L’Oréal. J’ai réalisé l’essentiel de mon parcours dans les relations humaines en commençant par de la formation, puis du recrutement, avant de devenir manager RH, puis directrice RH au sein de différentes entités du Groupe, en France et à l’international. J’ai passé un peu plus de trois années au Canada, comme DRH de la filiale locale, avant de revenir au siège, en 2018, pour prendre le poste que j’occupe aujourd’hui. Notre directeur général RH, Jean-Claude Le Grand, figure notoire de la communauté RH, est très sensible à la question du recrutement externe, ce qui est une aide précieuse dans cette tâche.

Pourquoi une fonction mondiale du recrutement ?

Ma première mission est d’animer une communauté de 170 recruteurs, disséminés de par le monde au sein de toutes les divisions et fonctions du groupe L’Oréal. Cette communauté doit être alignée sur une même conception du recrutement, avoir des objectifs communs, être guidée par les mêmes indicateurs clés de performance (KPI), être inspirée par une même vision et être bien équipée pour cela. Mon rôle est donc aussi de m’assurer que, chez L’Oréal, les recruteurs aient tous les outils nécessaires – process, guidelines, etc. – pour accomplir leur mission.

La seconde partie de mon travail consiste à animer l’écosystème du recrutement, car, contrairement à des idées trop largement répandues, le recrutement n’est plus l’affaire des seuls recruteurs. C’est en effet la fonction première des RH et l’une des activités essentielles d’une entreprise. Il convient donc d’aligner sur notre philosophie du recrutement toutes les parties prenantes à cet écosystème, qu’il s’agisse de DRH, de managers, de collaborateurs ou de partenaires extérieurs : quels profils cherchons-nous à recruter ? comment aller les chercher ? comment promouvoir l’image de l’entreprise ? etc. C’est pour cela que nous nous sommes donnés pour devise We are all recruiters. Chez L’Oréal, nous sommes donc tous recruteurs.

En 2017, un incubateur d’idées RH a été créé, dénommé Disrupt HR. Le concept sous-jacent est que, dans un monde en rapide évolution, si une entreprise reste dans les mécanismes traditionnels, elle risque d’être ralentie, notamment par la difficulté de ses RH à suivre le rythme des changements. Il nous faut donc être capables de rompre avec les habitudes dans trois domaines, que nous avons baptisés Spot, Grow et Engage. Le premier, Spot, porte sur la façon dont nous identifions les talents, à l’extérieur de l’entreprise ou en interne. Grow concerne la manière dont nous faisons croître ces talents et Engage, celle qui suscite la motivation des collaborateurs en interne. Dans cet esprit, le Groupe a promu un certain nombre d’initiatives avec pour principe de protéger les idées RH innovantes des lourds processus de validation, afin qu’elles ne soient pas balayées d’un revers de la main par le management et sa litanie : « pas de moyens, pas de ressources, trop chères, trop à long terme… » Dans cet incubateur, seize projets ont été lancés à ce jour. Par exemple, dans la partie Grow, nous avons mis sur pied du flex learning et, dans la partie Engage, un programme de solutions contractuelles flexibles portant sur le travail avec les free lancers, la gig economy, etc.

RH et intelligence artificielle : un mariage de raison ?

Grâce à ce cadre protecteur, nous avons également pu aborder la question de l’intelligence artificielle (IA). Chez L’Oréal, le recrutement est très particulier. Chaque année, le Groupe traite un million d’actes de candidature dans le monde et notre site Carrières reçoit plus de 5 millions de visites. À la différence d’entreprises plus centralisées, nous avons la chance d’avoir un réseau de 170 recruteurs répartis dans le monde. Nous effectuons plus de 14 000 recrutements chaque année, dont un tiers de cadres.

Vous ne pouvez pas lire la suite de cet article