Participer à la réindustrialisation, promouvoir les filières locales, privilégier les matières naturelles, proposer des produits durables… Ces enjeux étaient à l’origine du projet 
De Bonne Facture dès 2011. Chemin faisant, la marque a appris à composer avec les réalités du “made in France” et à se démarquer d’une vision dominante dans laquelle innovation rime avec disruption. Elle a rapidement trouvé des soutiens auprès de passionnés d’authenticité 
au Japon, aux États-Unis ou en Corée… L’innovation peut provenir de la régénération.

Exposé de Déborah Neuberg

Si j’ai toujours rêvé de travailler dans la mode, mes premiers pas dans cet univers m’en ont révélé la beauté, certes, mais aussi des travers auxquels je n’ai su me résoudre : d’un côté, la fast-fashion poussait la délocalisation à l’absurde et à l’inacceptable ; de l’autre, le luxe tirait profit d’artisans exceptionnels à l’autre bout du monde, mais les laissait dans l’ombre. Le rythme effréné des collections ne correspondait pas non plus à ma vision d’un vêtement durable, embelli par la patine du temps. J’ai donc tracé ma propre voie et créé la marque De Bonne Facture en 2011, avec le souci de régénérer des savoir-faire traditionnels et de valoriser des filières locales. Cet engagement nous a valu de recevoir la certification B Corp, attribuée aux entreprises répondant à des exigences sociétales et environnementales. Nous sommes la dixième maison de mode française à l’avoir obtenue.

À revers des tendances

Mon profil commercial a nourri un décalage supplémentaire avec le monde de la mode. À mes débuts, il m’a d’ailleurs valu un complexe de l’imposteur. En effet, je ne suis pas diplômée d’une école de création, mais d’HEC et du master HEC Entrepreneurs. Au cours de mes études, j’ai saisi toutes les occasions pour faire des stages dans la mode, la création ou le luxe. Ils m’ont conduite chez Hermès, mais aussi chez L’Oréal, plus loin du vêtement, au sein du pôle créateurs et tendances dédié aux produits professionnels de coloration pour cheveux. L’idée m’a effleurée d’entrer dans une école de mode ou de création après HEC. J’ai bien été acceptée dans une classe préparatoire à ces cursus, mais, à 24 ans, je ne me voyais pas refaire des études pendant quatre ans. J’ai préféré m’inscrire à l’Institut français de la mode (IFM), en management.

C’est chez Hermès que j’ai occupé mon premier poste, pour assurer un remplacement, en tant que chef de produit pour les accessoires de soie féminins. Outre les écharpes et autres étoles, nous confiions des pièces exceptionnelles à des artisans indiens et népalais possédant un savoir-faire de pointe dans la soie, le cachemire ou la broderie en perles. Le rôle actif que jouaient ces ateliers dans la création même des produits, partant parfois d’une simple inspiration, m’a frappée. J’ai mesuré à quel point leurs contraintes techniques transformaient la vision initiale du produit. Nous entretenions avec eux un dialogue dans lequel tout ne venait pas de la marque. Ces artisans étaient dépositaires d’une histoire fascinante, souvent centenaire, et de savoir-faire uniques. À mes yeux, nous ne valorisions pas suffisamment leur participation à la conception et à la fabrication des produits : la marque se contentait d’indiquer que tel châle avait été fabriqué en Inde et avait nécessité huit heures de travail. Pourquoi ne pas préciser qu’il avait été conçu dans un atelier de Bombay où œuvraient des femmes d’origine perse, issues de familles où se transmettait l’agilité dans la broderie depuis quatre cents ans ? Il me semblait dommage de passer sous silence cette dimension culturelle de la fabrication.

La fast-fashion comme anti-modèle

Après ce remplacement, Hermès m’a proposé un poste stable. J’avais toutefois le virus de l’entrepreneuriat et aspirais à nourrir ma curiosité. À 25 ans, il était trop tôt pour m’installer – ou alors, ce devait être dans une fonction qui offrait de l’initiative et une latitude de décision. J’étais trop jeune pour que ce soit possible dans une si grande maison. Hermès m’a suggéré d’explorer d’autres horizons – pourquoi pas dans le milieu de gamme, où j’aurais davantage d’autonomie – et de revenir quand ma carrière aurait avancé. Ma responsable, qui venait de chez Etam, m’a incitée à m’intéresser à ce groupe. Jamais je n’avais imaginé travailler pour ce type de marque ! L’affaire s’est néanmoins conclue. C’est ainsi qu’Etam m’a envoyée faire du développement de produit à Shanghai pour l’enseigne de sous-vêtements qu’elle venait de lancer, Undiz, un parangon de la fast-fashion qui proposait une nouvelle collection toutes les deux semaines. J’assurais l’interface entre les stylistes et le bureau d’approvisionnement chinois, qui lui-même répartissait les productions dans des usines partout en Chine. Venant des accessoires de luxe, je me retrouvais dans la lingerie d’entrée de gamme ! J’y ai découvert des conditions de fabrication qui m’ont saisie : les ouvriers vivaient dans des dortoirs à proximité des usines et ne rentraient voir leur famille – parfois même leurs enfants – qu’une fois par an. Quand je m’en émouvais auprès de ma hiérarchie, elle me reprochait d’être trop sensible et estimait que ce n’était pas mon problème. Là encore, je regrettais que les clientes ne sachent pas ce qu’il y avait derrière l’étiquette.

J’ai démissionné au bout d’un an pour rentrer à Paris et monter ma propre affaire. C’était le moment ou jamais : à mon âge, j’avais encore le loisir de pouvoir échouer ; autant essayer ! Les conditions de fabrication étaient au cœur de ma réflexion, mais l’attention au seul lieu de production (made in) me paraissait limitée. La mention made in China n’est pas nécessairement synonyme de bas de gamme ! On trouve en Chine de magnifiques savoir-faire dans la porcelaine, la soie, le cachemire… Il fallait plutôt s’intéresser au made by et au made how : par qui et comment sont fabriqués les produits ?

L’héritage, point de départ de la création

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