Il aura fallu dix ans à France Télévisions, TF1 et M6 pour se mettre en capacité de rivaliser avec les plateformes américaines de streaming en créant une plateforme commune : Salto. Les débuts sont prometteurs, malgré les contraintes imposées par une autorité de la concurrence aux modèles concurrentiels antédigitaux ou par des fournisseurs d’accès à Internet désireux de peser de leur position stratégique. Danielle Attias propose une plongée dans un des marchés numériques les plus concurrentiels, aux enseignements édifiants.



Exposé de Danielle Attias


Diplômée d’ESCP Business School et docteure en économie, j’ai été consultante, puis collaboratrice d’entreprises internationales du secteur des télécoms et des médias. J’ai ensuite rejoint France Télévisions pour m’occuper de son projet de vidéo à la demande par abonnement (SVOD – subscription video on demand) qui, après avoir beaucoup avancé, a muté pour devenir Salto. Cela fait désormais plus de quatre années que je travaille à l’émergence de cette plateforme et nous faisons face à de nombreux défis.

Le marché de la SVOD

L’impact de Netflix sur les usages en France ne débute qu’en 2018, quand cette plateforme atteint un taux de pénétration de 20 %, évoluant ainsi de façon très similaire à ce que l’on constate dans d’autres pays depuis sa création. Ce taux de pénétration de 20 % est celui qu’un rapport de Morgan Stanley fixe comme étant le seuil à partir duquel la durée d’écoute individuelle des grandes chaînes de télévision commence à chuter.

Or, aujourd’hui, la part de marché de Netflix avoisine 37 % en France et la pénétration de la SVOD, 50 %, alors que cette dernière atteint désormais 80 % aux États-Unis. Dès 2019, les diffuseurs français commencent à s’alarmer de cette menace sur l’activité de mass market des chaînes traditionnelles, les tarifs des plateformes étant plus accessibles au grand public que ceux de la télévision payante.

Les projections dessinent un rapport de force brutal entre les acteurs de la télévision et ceux de la SVOD. Aujourd’hui, le marché de la SVOD représente, en France, environ 2 milliards d’euros et devrait doubler d’ici 2025. C’est donc un marché très conséquent en comparaison de l’activité des diffuseurs traditionnels (France télévisions, TF1, M6), qui opèrent sur un marché de la publicité télévisée s’élevant à environ 3 milliards d’euro et alimentent la création française à hauteur de 0,8 milliard d’euros.

Le décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) du 22 juin 2021 assujettit les grands acteurs étrangers aux mêmes règles de contribution au financement d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises que celles s’appliquant aux acteurs nationaux, soit 20 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France. Cela devrait représenter, d’ici 2025, un quasi-doublement du financement de la création française, ce qui constitue un bouleversement de l’écosystème de ce secteur.

Le potentiel de croissance du marché de la SVOD reste important en France, tant en matière de pénétration que d’abonnements multiples. Aujourd’hui, on considère que les Français ont un peu moins de deux abonnements par foyer et le multi-abonnement est une pratique en plein développement. On constate que ce marché est capté aux trois quarts par les grandes plateformes internationales, Netflix constituant l’offre pivot autour de laquelle les utilisateurs en additionnent une ou plusieurs autres, au premier rang desquelles on trouve Prime Vidéo et Disney+. Le reste du marché est ensuite partagé entre plusieurs acteurs dont Salto, OCS et Canal+ Séries. Aux États-Unis, il est remarquable que la plateforme Hulu, qui y est un peu l’équivalent de Salto, représente 15 % des parts de marché, ce qui prouve qu’un acteur issu des grands diffuseurs traditionnels peut aussi trouver sa place face aux géants en proposant une offre majoritairement proche de l’univers télévisuel classique.

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