Foin de l’homme providentiel ! L’exceptionnel retour au premier plan de l’équipe de France de rugby est le fruit d’un patient travail collectif visant à quitter une logique où l’obsession du résultat avait tué l’ambition. La nouvelle logique repose sur de délicats équilibres entre dynamique de groupe et initiative individuelle, émergence de personnalités fortes et adhésion à une stratégie collective, vision de long terme et exigences du court terme, valorisation de la culture nationale et adaptation à la concurrence internationale...


Exposé de Didier Retière

Un rugbyman entraîneur dans l’âme

Ayant grandi dans une famille de rugbymen et ayant été un enfant plutôt turbulent, j’ai joué au rugby dès l’âge de 6 ans, occasion idéale de dépenser mon énergie et de souder des amitiés. J’habitais alors en région parisienne. J’ai ensuite rejoint l’équipe junior du Racing Club de France, puis les équipes de France universitaire et militaire, après quoi j’ai poursuivi mes études en Bourgogne, où j’ai joué en première division – je n’ai toutefois jamais été international du XV de France. Ma carrière de joueur ayant pris fin au début des années 2000, j’ai vécu l’avènement du rugby professionnel.

Parallèlement, j’ai toujours été éducateur. Après l’obtention d’un baccalauréat scientifique, j’ai complété un cursus de professeur d’éducation physique par un troisième cycle spécialisé dans l’entraînement sportif de haut niveau et le management des structures sportives. Ayant obtenu le diplôme d’entraîneur, je suis devenu conseiller technique régional en Bourgogne en 1996.

Le fait d’avoir joué en première division m’a rapidement propulsé au poste d’entraîneur de l’équipe de France des moins de 19 ans, puis, après la création du Centre national de rugby à Marcoussis, d’entraîneur des jeunes du Pôle France et de l’équipe de France des moins de 21 ans – cette dernière a été sacrée championne du monde en 2006.

En 2007, j’ai pris en main la destinée de l’équipe de France avec Marc Lièvremont et Émile Ntamack, en vue de la Coupe du monde 2011 de rugby à XV. Nous n’avons perdu la finale contre la Nouvelle-Zélande qu’à un point, après quatre ans de travail. Cette aventure m’a fait prendre conscience que, malgré les efforts et l’expertise que nous avions déployés, des freins profonds nous empêchaient de gagner. De cette frustration est née la démarche que j’ai engagée depuis : nous devions dépasser ces freins pour renouer avec la performance. J’en ai fait un défi, en m’inspirant de la trajectoire des équipes de France de football et de handball, qui avaient su remonter la pente et se hisser sur le podium. Pourquoi pas nous ? Le rugby français devait retrouver le chemin de la victoire. C’est à cette époque que je suis devenu directeur technique national adjoint en charge du haut niveau pour les jeunes, puis, en 2014, directeur technique national de la Fédération française de rugby, poste que j’occupe encore.

Quand l’obsession du résultat tue la performance

Au lendemain de notre défaite à la Coupe du monde, j’ai entrepris de dresser un état des lieux du rugby français. En la matière, la dimension nationale a toute son importance : la façon de jouer reflète la culture d’un pays, sa conception des rapports de force, du collectif et de la place de l’individu. Le rugby a été créé en Angleterre au XIXe siècle dans un but éducatif, pour habituer les jeunes à prendre des décisions collectives sous forte pression. Toutes les règles ont été construites pour maintenir une opposition entre deux groupes. Si la passe en avant est interdite, par exemple, c’est pour obliger les équipes à toujours se faire face. Il faut avoir le courage de s’affronter ; si personne ne décide de porter le ballon et de braver l’adversaire, l’équipe se retrouve dans son en-but.

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