Permanences

Quand un étudiant, garçon ou fille, vient me demander quelle orientation je lui conseille, je lui réponds : « La meilleure façon d’employer votre jeunesse, c’est de vous gorger de savoirs, et pas seulement dans la voie où vous êtes engagé. Par ailleurs, nouez des liens personnels avec les personnes les plus diverses. Je vous promets que dans le monde qui vous attend, tout vous servira un jour. » La lecture du présent numéro montre la justesse de ces recommandations.

Voyons les articles dans l’ordre. L’énergie : quand je faisais mes études, il n’y avait que deux manières de fabriquer de l’électricité industrielle, à savoir les centrales thermiques et les centrales hydroélectriques. Leur comparaison nourrissait les exercices de calcul économique. Aujourd’hui, il y a bien des techniques possibles et leur comparaison se heurte à d’épineuses difficultés, parce que le calcul du coût du kilowattheure réclame des conventions toujours discutables, et les effets d’apprentissage font que les coûts, quels qu’ils soient, diminuent avec le temps.

Les choix ont donc été dictés par le poids de l’histoire, plutôt que par des comparaisons de coûts. C’est ainsi que les pays ont fait des choix très différents, la France s’équipant massivement en nucléaire, tandis que l’Allemagne s’est rabattue sur le charbon après l’abandon du nucléaire.

La Chine : gigantesque, mais gouvernée d’une main de fer. Certes, mais les idées simplistes ne fonctionnent plus aujourd’hui, car les cas de figures se sont multipliés, et l’on est contraint d’y regarder de près, certaines entreprises ayant des attitudes qui évoquent l’Occident.

Chalon-sur-Saône : de toutes anciennes et vigoureuses traditions industrielles gravement menacées par les mutations des marchés. Qu’à cela ne tienne, avec une résilience impressionnante, les forces locales se sont concertées pour surfer sur les nouvelles vagues, en l’occurrence le nucléaire.

Un grand musée : que voilà une institution qui évoque la permanence, la conservation de valeurs culturelles pérennes. Loin de là ! Ce témoignage d’un éminent responsable nous révèle un manageur contraint de cerner l’actualité, car la santé de son institution exige de suivre attentivement les attentes du public.

Les grandes fêtes et les feux d’artifices : aucune rhétorique ne s’impose pour rattacher ce thème aux précédents, sauf à noter que l’irruption de grands spectacles non rituels fait partie de la difficulté de planifier les activités.

Ce tableau du monde des affaires qui attend les étudiants est celui que les responsables d’aujourd’hui doivent affronter, l’épidémie et les mesures dramatiques qu’elle exige ayant tragiquement amplifié les phénomènes en cause. Or, les théories que l’on peut trouver sur les choix économiques postulent toutes que le décideur envisage d’intervenir, par un investissement ou la mise sur le marché d’un nouveau produit, en faisant des hypothèses sur ce qui ne bougera pas. Mais aujourd’hui, les permanences se font rares, comme évoqué dans les témoignages recueillis ci-après.

Que reste-t-il comme permanences ? En parcourant les quatre niveaux qui me sont chers (la matière, les personnes, les institutions et les normes culturelles), on est obligé de constater que tout bouge plus ou moins vite, mais plus vite que jamais. Les normes culturelles, autrement dit le sacré, sans doute moins que les autres. C’est ce qui explique la solidité des entreprises familiales et les territoires à forte vocation, à l’image de Chalon-sur-Saône.

Cette remarque me conduit à compléter l’évocation de ma conversation avec mes étudiants. « Que me conseillez-vous comme métier ? » Je réponds : « Ce à quoi vous rêviez dans votre enfance. Vous ne connaissiez pas le monde, mais là est votre vérité. Ça, c’est une permanence. Vous rêviez d’être Zorro, qui prend l’argent des riches pour le donner aux pauvres. Peut-être ferez-vous une heureuse carrière à la Sécu, qui fait la même chose. »