- Septodont aujourd’hui
- Utiliser l’endettement pour accélérer la croissance
- Une entreprise internationale
- Un conseil d’administration consultatif
- Une stratégie claire
- Le plan stratégique
- La feuille de route RSE
- Les facteurs clés de succès
- Développer les ETI françaises
- Des audits internes ?
- Une usine en ville
- L’intelligence artificielle
- La croissance externe
- Le CDMO
- Des banques plutôt que des fonds d’investissement
- Produire en France, un défi
- Le marché indien
- La transmission de l’entreprise
Exposé d’Olivier Schiller
Septodont est le leader mondial de la prise en charge de la douleur dentaire. Le Groupe produit des anesthésiques injectables et topiques (c’est-à-dire appliqués localement sans injection), des aiguilles, des neutraliseurs d’anesthésique, des dispositifs d’injection sécurisés et des seringues. Le cœur de son métier est la production de cartouches anesthésiques : 20 cartouches Septodont sont injectées chaque seconde à travers le monde ! Des investissements très lourds ont permis, notamment, l’automatisation du lavage, du remplissage et de la stérilisation terminale des cartouches.
Septodont aujourd’hui
Le Groupe possède 7 sites de production répartis sur 3 continents : à Saint-Maur-des-Fossés, dans le Val-de-Marne, nous produisons des solutions de restauration dentaire, d’endodontie (traitement des canaux) et d’autres solutions thérapeutiques, ainsi que des anesthésiques injectables et topiques ; à Mazamet, dans le Tarn, des aiguilles et des dispositifs d’injection ; à Cambridge, au Canada, des anesthésiques injectables et topiques ; à Pomerode et à Catanduva, au Brésil, des accessoires de restauration dentaire et des anesthésiques injectables ; en Inde, à Taloja, des matériaux et autres solutions. En 2024, Septodont a pris une participation majoritaire au sein de la société Inibsa, fabriquant d’anesthésiques dentaires basé près de Barcelone.
Au total, nous sommes présents, à travers des filiales ou des réseaux de distributeurs, dans 110 pays. Nous vendons nos produits dans le monde entier, à l’exception de la Corée du Nord, du Venezuela et de l’Iran.
Le chiffre d’affaires du Groupe était de 409 millions d’euros en 2023, dont 50 % réalisés sur le continent américain (essentiellement aux États-Unis et au Canada), 40 % en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, et 10 % en Asie et dans le Pacifique.
Utiliser l’endettement pour accélérer la croissance
Le capital de Septodont est entièrement détenu par mon père, mes cinq enfants et moi-même. Parmi les entreprises familiales, beaucoup hésitent à recourir à l’endettement et préfèrent accumuler une trésorerie importante. Pour ma part, j’estime que le plus gros risque encouru par une entreprise, c’est de ne pas se développer. Or, pour se développer, il faut s’endetter – en respectant, naturellement, certaines limites. Lors d’une acquisition importante, notre règle est de ne pas nous endetter au-delà de 3,5 fois le montant de l’EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization).
Ce principe nous a permis, en dix ans, de faire plus que doubler la taille de l’entreprise sans ouvrir son capital. Notre chiffre d’affaires est passé de 199 millions d’euros en 2014 à 443 millions en 2024, ce qui représente un taux de croissance annuel moyen de 8,3 %. En 2025, avec l’acquisition d’Inibsa, qui constitue un apport de 80 millions d’euros, le chiffre d’affaires du groupe Septodont devrait s’élever à 560 millions d’euros. Nous visons le milliard d’euros pour nos 100 ans, en 2032.
Au cours des dix dernières années, nous avons procédé à 8 acquisitions : TDV, un fabricant brésilien d’accessoires de restauration dentaire, en 2014 ; Duoject, une entreprise canadienne de design et d’ingénierie, en 2015 ; DLA Pharma, un site brésilien d’anesthésiques injectables, en 2016 ; Cook-Waite, une marque américaine d’anesthésiques, en 2017 ; le portefeuille de produits dentaires de Sanofi, en 2021 ; Biomedical Tissues, un fabricant français de biomatériaux chirurgicaux, en 2022 ; une prise de participation minoritaire dans la société chinoise Medtech, un distributeur de produits médicaux, en 2023 ; et enfin, Inibsa, un fabricant et distributeurespagnol d’anesthésiques et autres produits dentaires, en 2024.
Le rachat des entreprises brésiliennes est lié au fait que, en raison de droits de douane très élevés, il est impossible d’être compétitif dans ce pays sans fabriquer les produits sur place. L’acquisition de Duoject était destinée à compléter nos produits par des systèmes d’injection. Biomedical Tissues est une petite société qui a été développée par un chercheur de Nantes. Alors que les membranes placées sur les gencives après une extraction dentaire étaient, jusqu’alors, d’origine animale (par exemple, à base de collagène bovin), ce chercheur a inventé une membrane entièrement synthétique, de grande qualité. En rachetant cette société et en la faisant bénéficier de nos réseaux, nous comptons développer ses ventes.
Une entreprise internationale
Généralement, dans les entreprises familiales françaises, les dirigeants sont français et, dans les entreprises familiales allemandes, ils sont allemands. Une particularité de Septodont est le caractère international du comité exécutif, qui compte 4 Français, 2 États-Uniens et 3 Canadiens.
De même, lorsque nous créons une nouvelle filiale, nous préférons mobiliser des talents locaux plutôt qu’envoyer des expatriés sur place. Cela nous aide à mieux appréhender le marché local et à élaborer une vision stratégique mondiale.
Un conseil d’administration consultatif
Une troisième caractéristique de Septodont est de s’être doté d’un conseil d’administration consultatif. Dans la gouvernance d’une SAS (société par actions simplifiée), cela n’a rien d’obligatoire. Cette suggestion m’a été faite dans le cadre d’une organisation américaine, YPO (Young Presidents’ Organization), qui regroupe des entreprises familiales, des fonds de private equity et des entreprises cotées. Souhaitant être un bon élève, j’ai suivi, à Barcelone, une formation sur l’art de composer un comité consultatif. Au fil des années, cette instance, que j’ai créée en 2015, s’est avérée constituer un outil incomparable pour notre Groupe.
Dans une entreprise familiale, il est difficile pour le directeur général d’avoir une vue objective de son business et il risque d’être coupé de la réalité. C’est ce que j’appelle “le syndrome du shah d’Iran” : pendant que l’ayatollah Khomeini suscitait des émeutes dans les rues de Téhéran, les conseillers du shah assuraient à ce dernier que la situation était sous contrôle.
Le rôle d’un conseil d’administration consultatif est précisément de bousculer les certitudes du patron et du comité exécutif, en remettant en question leur stratégie et en leur apportant des éclairages complémentaires. Je ne suis pas certain que j’aurais réussi à développer ma société comme je l’ai fait si je n’avais pas bénéficié des suggestions de ce conseil.
À l’heure actuelle, il compte 9 membres dont les profils sont très différents. L’ancien patron de la banque Rothschild, par exemple, me conseille sur notre stratégie financière. Lorsque notre directeur financier a écrit au dirigeant d’Inibsa pour lui proposer de racheter sa société, ce conseiller m’a expliqué que c’était la pire méthode possible : « Il est vexant, pour un PDG, de recevoir une telle proposition de la part d’un simple directeur financier. Tu dois aller là-bas en personne et devenir copain avec lui. » Mon fils étant VIE (volontaire international en entreprise) en Espagne, j’ai adressé une proposition au patron d’Inibsa : « Ce week-end, je rends visite à mon fils à Barcelone et je serais très heureux de faire votre connaissance à cette occasion. » Le lundi, nous nous sommes retrouvés tous les deux à déjeuner, en compagnie de son directeur général et de mon banquier d’affaires. Très vite, nous nous sommes rendu compte que nous avions tous débuté notre carrière chez Arthur Andersen. Les bonnes relations nouées à l’occasion de ce repas – arrosé d’un excellent vin espagnol – ont certainement contribué à la réussite de l’opération de rachat.
Notre conseil d’administration consultatif comprend aussi l’ancien vice-président de la production de Sanofi. À un moment où mon équipe prétendait que telle ou telle opération était impossible à réaliser, ce conseiller nous a expliqué comment Sanofi y était parvenu.
Ce conseil se réunit tous les trimestres, des rencontres supplémentaires pouvant être organisées en cas d’événement particulier. Les équipes qui sont amenées à lui soumettre un projet mettent tout leur soin à bien structurer le dossier. Il nous est arrivé de renoncer à certains projets, par exemple des opérations de diversification dans le domaine médical, parce que ce conseil avait estimé qu’elles n’étaient pas crédibles.
Une stratégie claire
Notre vision stratégique identifie 3 grandes pistes de croissance. La première consiste à consolider notre position de leader mondial en matière de gestion de la douleur.
Cela dit, sur 100 euros consacrés par un dentiste à l’achat de consommables, seulement 5 euros sont dédiés au contrôle de la douleur. C’est pourquoi notre deuxième piste de croissance consiste à devenir un acteur global de l’industrie dentaire en intervenant sur d’autres segments que celui des anesthésiques.
Nous consacrons, chaque année, entre 5 et 6 % de notre chiffre d’affaires à la R&D et, au bout de dix ans de recherche, nous avons mis au point une nouvelle technologie, l’ABS (Active BioSilicate Technology). Cette technologie nous a permis de développer Biodentine, un substitut dentinaire composé de silicate tricalcique totalement biocompatible et bioactif, qui permet de conserver les dents vivantes, là où avec les composites traditionnels, il faut dévitaliser la dent en cas de carie profonde. Également issu de l’ABS, BioRoot Flow est un ciment destiné à obturer les canaux, une intervention assez délicate qui, avec les produits habituels, échoue souvent. Notre ciment BioRoot Flow permet de l’effectuer de façon efficace, même lorsqu’elle est conduite par des dentistes non spécialistes en endodontie.
Une troisième voie de croissance consiste à utiliser notre savoir-faire pour fabriquer des produits injectables non dentaires en CDMO (Contract Development and Manufacturing Organization), c’est-à-dire en sous-traitance pharmaceutique. À la suite de la pandémie de Covid-19, le gouvernement canadien a lancé un programme ambitieux pour que le Canada devienne autonome en matière de vaccins. Nous avons ainsi pu bénéficier d’une subvention pour remplir de façon stérile des seringues et des flacons. Puis, dans un deuxième temps, nous avons noué un partenariat avec la société Moderna, qui nous a confié le conditionnement de leurs vaccins. Cette opération est effectuée dans notre usine de Cambridge, près de Toronto.
Le plan stratégique
Notre plan stratégique se présente comme une matrice à deux axes (marchés et produits), chaque axe comportant deux entrées : marché dentaire/nouveaux marchés et produits existants/produits nouveaux.
Marché dentaire, produits existants
Septodont est déjà le leader mondial des injectables dentaires, mais nous pouvons encore progresser. Au Japon, par exemple, nous sommes parvenus à obtenir l’enregistrement d’un nouvel anesthésique, événement qui ne s’était pas produit depuis quarante ans, car les Japonais sont très conservateurs. La première année, nous n’avons d’ailleurs vendu que quelques centaines d’exemplaires de ce produit dans ce pays. La règlementation y prévoit, en effet, que chaque patient ayant reçu le nouveau médicament soit suivi pendant une année complète, ce qui conduit, la première année, à réserver le produit à un petit nombre de patients.
Marché dentaire, nouveaux produits
Nous sommes également en train de développer de nouveaux produits, toujours sur ce même marché et ce même segment. Notre anesthésique dentaire, associé à un vasoconstricteur, doit être fabriqué avec un pH acide pour assurer la stabilité du vasoconstricteur. Pour faire effet, le pH de la solution doit atteindre la neutralité après l’injection, ce qui peut durer quelques minutes. Comme les dentistes américains souhaitent travailler très rapidement, nous avons mis au point une technologie permettant de supprimer l’acidité du produit avant l’injection, accélérant ainsi le travail du dentiste et éliminant la sensation de picotement pour le patient.
Nous nous développons aussi sur d’autres segments du marché dentaire : la restauration avec Biodentine, l’endodontie avec BioRoot Flow et la chirurgie avec les membranes synthétiques.
Nouveaux marchés, produits existants
Par ailleurs, Septodont se diversifie en s’orientant vers de nouveaux marchés, comme la production d’injectables non dentaires en CDMO pour Moderna. Ce marché est extrêmement porteur, car non seulement la croissance des produits pharmaceutiques est supérieure à celle du PIB, mais, parmi toutes les formes galéniques, ce sont les injectables qui progressent le plus rapidement.
Nouveaux marchés, nouveaux produits ?
Autant il est relativement facile de se diversifier avec un nouveau produit sur un même marché ou avec un même produit sur un nouveau marché, autant il est aventureux de vouloir conquérir un nouveau marché avec un nouveau produit. C’est pourtant ce que nous avons tenté, et mal nous en a pris.
Nous avons commencé par produire un gel de lidocaïne qui permet de préanesthésier la gencive afin que le patient ne perçoive pas la piqûre de l’aiguille. Ce produit, très simple à fabriquer, nous assurait une bonne marge. C’est alors qu’un producteur italien de lidocaïne, qui distribuait ses produits dans le monde entier, a été déréférencé par la FDA (Food and Drug Administration). Cela a incité notre distributeur à augmenter considérablement le prix de vente de notre produit et, comme notre contrat prévoyait que nous partagions la marge, nous avons gagné beaucoup d’argent.
L’opération était si intéressante que nous avons cherché à fabriquer des gels en dehors du secteur dentaire, par exemple pour anesthésier la peau lors de petites interventions chirurgicales, un marché que nous ne connaissions pas du tout. Malheureusement, la FDA a décidé d’abaisser ses seuils d’exigence pour ce type de gel, qui présente assez peu de risque, et nous avons été submergés par la concurrence indienne. Tout ce que nous avions gagné avec le gel de lidocaïne, nous l’avons perdu avec ces autres gels…
La feuille de route RSE
Un dernier élément très important de notre stratégie est notre feuille de route RSE (responsabilité sociale des entreprises), qui comprend quatre piliers.
Environnement
Nous souhaitons respecter l’Accord de Paris sur le climat et, pour cela, réduire nos émissions de CO₂ de 5 % par an pour les scopes 1 et 2, afin de parvenir à une diminution de 50 % à l’horizon 2032. Nous cherchons également à diminuer notre consommation d’eau et nous adoptons des principes d’écoconception afin d’optimiser l’utilisation des matières premières. Enfin, nous avons récemment lancé une analyse complète de notre impact sur la biodiversité et nous allons substituer le carton au plastique dans les emballages. Trois personnes s’occupent à plein temps des questions environnementales dans nos usines.
Communautés
Nous consacrons 0,5 % de notre chiffre d’affaires à la philanthropie, soit 2 millions d’euros par an. Ce taux est le maximum accepté par l’administration fiscale.
Des partenariats avec des organisations sanitaires et des associations de professionnels du monde dentaire nous permettent de promouvoir la santé et la prévention buccodentaire auprès de populations défavorisées, en Angleterre, aux Pays-Bas, mais aussi en France, dans le Val-de-Marne. Nous finançons également des projets humanitaires et des programmes de développement social. Certains salariés de Septodont participent à des programmes de solidarité, par exemple en aidant des jeunes en difficulté à rédiger leur CV ou en les préparant à des entretiens d’embauche. Enfin, à l’initiative de mon père, nous soutenons des institutions culturelles comme la Bibliothèque nationale de France, le Louvre ou l’Opéra national de Paris.
Capital humain
Nous avons mis en œuvre une politique de ressources humaines ambitieuse, que ce soit en matière de développement des compétences, d’égalité des chances et d’environnement de travail inclusif, ou encore de santé et de sécurité, ce qui nous permet d’attirer et de fidéliser les talents : 77 % de nos collaborateurs recommandent Septodont comme employeur.
Nous avons, notamment, mené une politique très active en faveur des personnes en situation de handicap et élaboré, avec l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées), un guide de bonnes pratiques pour les entreprises souhaitant accroître leur taux de travailleurs handicapés. Nous accueillons 8 % de personnes en situation de handicap, alors que le taux minimum obligatoire est de 6 % et que la plupart des entreprises ne vont pas au-delà de 3 ou 4 %.
Les valeurs de l’entreprise
Nous avons mené un travail approfondi avec nos équipes pour réfléchir à ce qui fait de Septodont une entreprise différente des autres. Nous avons ainsi identifié quatre grandes valeurs : un sens aigu des responsabilités, la recherche de l’excellence, le sens du collectif et du travail en équipe, et enfin, le goût de l’innovation et de la croissance.
Les facteurs clés de succès
Parmi les facteurs clés de notre succès, je citerais d’abord le fait que nous sommes une entreprise familiale avec une vision de long terme, contrairement aux sociétés appartenant à des fonds de private equity. Pour moi, les aspects financiers résultent de la stratégie de l’entreprise, mais une politique financière ne saurait, en elle-même, générer une stratégie gagnante.
Un deuxième facteur de succès est le fait que nous nous sommes dotés d’un plan stratégique clair et que nous l’avons mis en œuvre, en faisant toutefois preuve de pragmatisme. Personne n’avait imaginé un phénomène tel que la pandémie de Covid-19, qui a contraint les cabinets dentaires du monde entier à fermer pendant deux mois.
Le troisième facteur tient à notre gouvernance et à notre gestion des talents avec, notamment, la mise en place d’un comité exécutif international et d’un comité consultatif composé de profils très divers, ainsi que la mobilisation des talents locaux lors de nos acquisitions.
Enfin, nous encourageons la prise de risque en promouvant l’innovation et le droit à l’erreur, et aussi en recourant à l’endettement plutôt qu’à l’ouverture du capital pour accélérer la croissance.
Développer les ETI françaises
En dehors de mes activités au sein de Septodont, j’ai été nommé ambassadeur des ETI (entreprises de taille intermédiaire) auprès du Gouvernement par le président Macron, en 2020. Je devais exercer cette fonction pendant un an, mais mon mandat a été prolongé d’une année en raison du Covid-19. Ma mission consistait à aider les pouvoirs publics à créer des conditions favorables à l’augmentation du nombre d’ETI. Nous avons beaucoup travaillé sur le pacte Dutreil, ou encore sur l’apprentissage. Par ailleurs, nous avons encouragé la création de clubs d’ETI partout en France. Le nombre d’ETI est passé de 5 400 en 2020 à 6 200 actuellement, ce qui est encore loin des 15 000 ETI allemandes. Je suis aujourd’hui vice-président du METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire).
Débat
Des audits internes ?
Un intervenant : Les organisations ont tendance à se bureaucratiser et à devenir trop conformistes. Réalisez-vous, de façon régulière, des audits internes pour redynamiser l’entreprise ?
Olivier Schiller : Notre conseil d’administration consultatif nous a alertés sur le fait que nos prix de revient avaient tendance à trop augmenter. C’est certainement lié au fait que, avec une croissance moyenne de 8,5 % par an depuis dix ans, nous nous sommes habitués à un certain confort. C’est pourquoi nous venons d’engager un responsable financier avec un profil de cost killer. Nous avons décidé qu’en 2025, les coûts de production devraient diminuer de 2 % par rapport à l’année précédente.
Une usine en ville
Int. : Votre usine de Saint-Maur-des-Fossés se trouve en milieu urbain, ce qui est plutôt rare et doit vous coûter cher. Quels sont les avantages et les inconvénients de cette localisation ?
O. S. : Elle est effectivement atypique et toutes les entreprises ne pourraient pas y prétendre. Il faut, pour cela, ne générer aucune pollution et ne pas faire de bruit, en particulier la nuit. Le site compte plus de 500 salariés et, pour eux, l’accès est très facile : certains viennent à pied, d’autres empruntent le RER, la gare de Saint-Maur – Créteil se trouvant à cinq minutes de marche de l’usine. Cette gare va d’ailleurs devenir l’un des hubs de la nouvelle ligne RER circulaire. Notre implantation périurbaine est un atout pour attirer les talents. Certes, le foncier est un peu plus cher, mais nous sommes propriétaires de nos terrains.
L’intelligence artificielle
Int. : Quel usage faites-vous de l’intelligence artificielle ?
O. S. : Elle prend de plus en plus d’importance. Par exemple, comme nous n’avons qu’une cinquantaine de vendeurs pour développer le marché américain, nous avons amélioré l’introduction de nos innovations en analysant sur un très grand nombre de paramètres les caractéristiques des clients existants (leur âge, leur statut de généraliste ou de spécialiste, etc.), ce qui nous a permis d’identifier les prospects les plus intéressants et de passer de 2 à 20 % de réussite lors des visites commerciales.
Lorsque nous nous sommes heurtés à un problème de temps de prise dans la production de certaines poudres, c’est un programme d’intelligence artificielle qui, à partir du recensement exhaustif des paramètres, a décelé d’où venait le dysfonctionnement.
Nous nous appuyons également sur l’intelligence artificielle pour la rédaction des rapports de pharmacovigilance, qui doivent recenser l’ensemble des effets secondaires, obligation qui impose un gros travail de compilation des données.
La croissance externe
Int. : Quelles sont vos cibles pour la croissance externe ?
O. S. : Nos acquisitions sont davantage destinées à accroître nos parts de marché qu’à nous procurer des technologies particulières. Cela dit, nous avons un peu évolué dans ce domaine depuis que nous avons racheté l’ancienne activité dentaire de Sanofi et appris à travailler avec des sous-traitants. Alors que nous étions habitués à tout faire nous-mêmes, nous développons de plus en plus de partenariats. Par exemple, pour devenir un leader de l’endodontie, nous avons noué un partenariat avec une société qui fabrique des instruments canalaires, de façon à offrir à nos clients une solution complète : le ciment d’obturation BioRoot Flow et les instruments associés.
Le CDMO
Int. : Quel est votre objectif en développant les activités de sous-traitance ? Est-il de pénétrer de nouveaux marchés et d’acquérir de nouvelles technologies pour fabriquer, à terme, vos propres produits ? ou simplement d’accroître votre EBITDA ?
O. S. : Nous n’envisageons pas de développer de nouveaux médicaments en dehors de la médecine dentaire, car les coûts de R&D, de mise en œuvre de la règlementation et de commercialisation sont faramineux. En revanche, nous pouvons mettre notre savoir-faire au service d’entreprises comme Moderna, dont les marges permettent d’obtenir une rigueur absolue de la part de leurs sous-traitants.
Cela constitue, par ailleurs, une forme de diversification bienvenue, car, à l’heure actuelle, nous sommes très dépendants de l’anesthésie dentaire, ce qui constitue un risque. Or, le CDMO est en plein essor, car beaucoup de grands groupes pharmaceutiques souhaitent limiter leurs dépenses d’investissement et ne veulent pas se charger de créer ni de faire fonctionner des usines.
Des banques plutôt que des fonds d’investissement
Int. : Pour quelles raisons excluez-vous de recourir à des fonds d’investissement ?
O. S. : Un fonds d’investissement comme Bpifrance peut apporter un soutien très précieux, mais, tôt ou tard, vient le moment où il doit sortir du capital et l’on n’est alors pas sûr de trouver un fonds aussi amical en remplacement. Certains fonds ne prennent en compte que des critères strictement financiers. Le risque est de perdre le contrôle de sa société.
De leur côté, les banques procèdent à de nombreuses vérifications avant d’accorder un crédit, mais, du moment que vous les remboursez, elles ne se préoccupent pas de savoir si votre entreprise est super rentable ou juste rentable. On n’est pas confronté, avec les banques, au même risque de désalignement qu’avec les fonds d’investissement.
Produire en France, un défi
Int. : Envisagez-vous de relocaliser certaines productions en France ?
O. S. : Je suis extrêmement inquiet pour l’industrie française et européenne. Les États-Unis, avec l’IRA (Inflation Reduction Act) mis en place en 2022 et un prix de l’énergie beaucoup plus faible qu’en Europe, incitent des pans entiers de la chimie européenne à se délocaliser. L’arrivée de Donald Trump au pouvoir va encore accroître ce phénomène.
Dans ce contexte, on pourrait imaginer que l’Europe cherche à tout prix à renforcer sa compétitivité. Or, c’est tout le contraire. Les entreprises comme la nôtre vont devoir, à partir de 2026, se soumettre au reporting extrafinancier prévu par la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui comporte 1 174 indicateurs. Cette espèce de folie bureaucratique est alimentée par les cabinets d’audit qui font des présentations anxiogènes aux chefs d’entreprise pour les inciter à se faire conseiller. Les grands groupes ont les moyens de mettre en place ce genre de dispositif, mais, pour des ETI comme la nôtre, c’est ingérable.
De même, alors que, depuis la deuxième partie du quinquennat de François Hollande, une vraie politique de l’offre avait été instaurée pour rendre le made in France plus compétitif, ce qui a eu un impact positif et a permis de commencer à réindustrialiser notre pays, des outils qui paraissaient intangibles, comme le pacte Dutreil, semblent désormais être remis en cause. On voudrait tuer l’industrie française que l’on ne s’y prendrait pas autrement.
En ce qui concerne Septodont, notre objectif est de continuer à produire en France dans les mêmes quantités que jusqu’ici, ce qui va nécessiter un investissement d’une trentaine de millions d’euros pour moderniser l’usine de Saint-Maur-des-Fossés. En revanche, toute notre croissance se fera en dehors de la France.
Int. : Dans votre effort de promotion des ETI, avez-vous le sentiment d’être écouté par les pouvoirs publics ?
O. S. : Un grand nombre de décisions ne se prennent plus en France, mais au niveau européen. Nos amis allemands, espagnols, italiens, ou encore polonais ont fait du lobbying pour que la notion d’ETI, promue en France depuis la loi de Modernisation de l’économie de 2008, soit également prise en compte en Europe. L’objectif est que la législation puisse être adaptée aux ETI, afin qu’on leur demande plus qu’aux PME, mais moins qu’aux grands groupes, et qu’elles puissent également accéder plus facilement aux subventions.
Le marché indien
Int. : Quelles sont vos perspectives de développement en Inde ?
O. S. : Notre chiffre d’affaires en Inde est inférieur à 5 millions d’euros pour une population de 1,4 milliard d’habitants. Nous allons changer de stratégie, car, manifestement, nous n’avons pas analysé correctement le marché. En Inde, même si la qualité est prise en compte, le prix est absolument primordial. Nous devons donc renoncer à une partie de nos marges et abaisser nos prix au maximum, ce qui nous permettra d’accroître les volumes et de retrouver la rentabilité, en particulier à l’exportation.
La transmission de l’entreprise
Int. : Comment vous préparez-vous à la transmission de l’entreprise ?
O. S. : J’aurai 65 ans cette année et j’ai cinq enfants, dont une fille qui travaille dans le private equity et qui est membre du conseil d’administration consultatif de Septodont. D’autres de mes enfants envisagent également de rejoindre Septodont, mais aucun n’est prêt à en prendre la tête. Avec ma femme, professeur de droit privé, nous avons rédigé une charte familiale selon laquelle les membres de la famille doivent avoir accumulé cinq ans d’expérience professionnelle en dehors de Septodont avant de pouvoir rejoindre l’entreprise, à un poste équivalent à celui qu’ils auraient pu obtenir ailleurs.
C’est pourquoi, il y a trois ans déjà, j’ai engagé la personne qui va me succéder à la direction générale du Groupe, avec un profil très international. Je deviendrai alors président non opérationnel, afin de continuer à contribuer à la stratégie du Groupe et à superviser sa mise en œuvre.
Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :
Élisabeth BOURGUINAT