- Les Lions de l’Atlas de la monétique
- HPS, une paytech marocaine
- Les phases du développement d’HPS
- Une entreprise d’envergure internationale
- La transformation de l’écosystème des paiements
- HPS face à la concurrence
- Maîtriser le risque
- Les cryptomonnaies ? Des monnaies comme les autres !
- J’ai toujours été un entrepreneur
Exposé de Mohamed Horani
La société HPS est une société technologique spécialisée dans le domaine des paiements électroniques. À ce titre, nous sommes concernés par toutes les grandes tendances qui émergent dans le monde de la tech, que ce soit sur le plan purement technologique – le cloud, avec par exemple le concept important chez nous d’architecture micro-services, l’intelligence artificielle et son corollaire (le traitement des données massives, la blockchain…) –, ou sur un plan plus économique – développement de l’écosystème start-up avec l’émergence des fintechs, l’arrivée des grandes plateformes dans le domaine des paiements, Apple Pay, Alipay… Toutes ces évolutions représentent autant de menaces ou d’opportunités que nous devons surveiller de près et sur lesquelles nous devons nous positionner.
Les Lions de l’Atlas de la monétique
Puisque j’interviens devant vous lors des derniers jours du Mondial 2022, qui a vu l’épopée de l’équipe du Maroc, surnommée les Lions de l’Atlas, surprendre le monde entier, permettez-moi de vous dire que nous sommes un peu les Lions de l’Atlas dans notre domaine. Personne n’imaginait qu’une entreprise marocaine puisse arriver à se faire une telle place dans un secteur technologique et bancaire qui ne cherche pas ses champions en dehors des États-Unis, de l’Europe, du Japon ou de la Chine.
Nous opérons surtout dans une industrie mondialisée extrêmement complexe, critique pour l’économie et finalement assez mal connue. Je me dois donc d’en expliquer les grands principes.
L’industrie du paiement, que j’appellerai souvent par la suite la monétique, a émergé en 1976 avec la naissance du réseau de cartes bancaires Visa, qui organise entre les banques les échanges électroniques d’argent générés par les cartes. Le réseau Mastercard a été créé en 1979. D’autres réseaux tels qu’American Express (Amex) déploient des modèles privatifs d’interopérabilité plus ciblés. Les banques qui veulent intégrer un ou plusieurs réseaux doivent y adhérer, c’est-à-dire payer pour participer et s’engager à respecter les règles communes fixées par le réseau. À partir de là, elles peuvent émettre des cartes bancaires qu’elles distribuent physiquement auprès de leurs clients sous forme de services (moyennant cotisation annuelle et frais). Elles ne se ressemblent pas toutes. En effet, il y a des réseaux (Visa, Mastercard…), des catégories (basique, Gold, Infinite, Platinum…), certaines ne sont dédiées qu’aux paiements (cartes prépayées et cartes de débit), d’autres sont de véritables cartes de crédit. De plus, les autorisations de paiement ou de retrait diffèrent d’un client à un autre.
Par ailleurs, les banques distribuent auprès de leurs clients commerçants des terminaux de paiement électronique (TPE), là encore sous forme de service (cotisation et/ou commission). Bien entendu, les banques doivent respecter la réglementation locale. La gestion de toutes ces spécificités, auxquelles s’ajoutent les innovations technologiques, est un véritable casse-tête, d’autant que les règles changent souvent. Il faut les prendre en compte très rapidement sans perturber le système qui doit rester disponible quels que soient l’heure et le lieu dans le monde où un client veut faire un paiement ou un retrait. L’informatique joue donc, depuis l’origine, un rôle central dans cette industrie.
Les institutions financières peuvent se tourner vers des prestataires technologiques globaux qui prennent en charge ces fonctions sous forme de services partagés à distance (SaaS), ce qui, à terme, pose la question de la maîtrise de ce métier par la banque et de la capacité de cette dernière à se différencier, et donc à maîtriser son avenir. Les institutions financières peuvent choisir une autre voie en s’équipant elles-mêmes de logiciels et en créant des organisations internes capables de traiter l’ensemble de cette complexité. HPS se positionne sur les deux types de partenariat avec les banques. Nous sommes un éditeur de logiciel (PowerCard) qui a pour vocation de gérer toutes les opérations monétiques des banques, mais aussi des fintechs qui le souhaitent, car celles-ci ne peuvent se permettre de redévelopper le cœur du système, qui représente chez nous plusieurs centaines d’années-homme de développement. Au-delà de notre logiciel, classé parmi les plus riches et les plus complets du marché au regard des fonctionnalités, nous accompagnons nos clients dans l’adaptation de notre logiciel à leurs spécificités et nous les aidons à l’intégrer au sein de leur organisation. C’est ce qui nous fait dire que nous leur fournissons une solution complète et pas seulement un outil technique. Nous sommes cotés à la Bourse de Casablanca et nous figurons parmi les champions mondiaux de notre industrie.
HPS, une paytech marocaine
Pour expliquer la genèse de HPS, je dois d’abord présenter mon parcours personnel. Ma carrière initiale d’ingénieur statisticien au sein du ministère du Plan marocain a été réorientée, un peu par accident, vers l’informatique, à laquelle j’ai été formé “sur le tas” avant d’obtenir une certification d’IBM. L’année suivante, je suis devenu directeur technique de la Sacotec, filiale de l’Omnium nord-africain (ONA), avant d’entrer, en 1982, chez Bull Maroc comme chef du département réseaux et gros systèmes. En 1983, Abdelhaq El Andaloussi, fondateur de la Société maghrébine de monétique (S2M), m’en a confié la direction générale. C’est alors que j’ai intégré l’industrie du paiement électronique. Cela m’a permis, avec une équipe marocaine assistée par des experts français, de contribuer à la première expérience internationale du groupe Atos, appelé à l’époque Sligos, dont le savoir-faire en matière de monétique était alors unique en Europe. En janvier 1995, j’ai décidé de prolonger cette aventure en cofondant HPS.
Un logiciel modulaire et souple qui couvre l’intégralité des process monétiques
Notre logiciel PowerCard propose aux banques et autres institutions financières de gérer toute la chaîne de valeurs d’un système de paiement : émission de tous types de cartes, gestion de l’acceptation des cartes par les commerçants, gestion des terminaux de paiement électronique, gestion du paiement en ligne, gestion des guichets automatiques bancaires, gestion de l’interopérabilité nationale et internationale, lutte contre la fraude, etc. En matière d’émissions, on a, par exemple, identifié plus de 1 600 types de cartes différents rien que chez un de nos clients japonais. L’attribution d’une carte de crédit dépend des revenus du client, de sa situation familiale et d’autres données socioéconomiques qui sont analysées par PowerCard, afin d’établir un scoring qui en conditionnera les caractéristiques et les limites d’usage. Il lui faut également prendre en compte les transactions, calculer les intérêts sur les montants utilisés, prévoir les échéances des remboursements, traiter les réclamations clients, gérer le TPE du commerçant et les autorisations bancaires, les modifications de plafonds, etc. PowerCard assure l’interface avec tous les systèmes internationaux de paiement tels que Visa et Mastercard.
La complexité de ce logiciel représente, je l’ai dit, plusieurs centaines d’années-homme de développement. À cette fin, cela fait plusieurs années que nous investissons de 14 % à 16 % de notre revenu annuel dans la R&D. Néanmoins, ce logiciel n’est qu’un outil et il nous faut aussi être capables d’assurer son fonctionnement, sa maintenance, la formation du client à son utilisation, etc.
Une vision pérenne
Notre vision est essentielle pour la vie de notre société et n’a pas changé depuis sa création. Nous sommes une entreprise de classe mondiale, fournissant des solutions de paiements digitaux et les technologies qui leur sont associées. Depuis notre création, en 1995, nous aurions pu nous diversifier dans d’autres secteurs que la monétique, mais nous nous y sommes refusés, pour ne pas nous disperser.
Une stratégie dynamique
Si notre vision est constante, notre stratégie est dynamique et adaptable. Dès 2002, nous faisions partie du top 20 mondial, en 2008, nous intégrions le top 6, et aujourd’hui, nous sommes dans le top 3. Désormais, plus de 450 banques parmi les plus prestigieuses (5 parmi le top 50 mondial) utilisent notre logiciel, et ce, dans plus de 90 pays sur les 5 continents.
Notre stratégie repose sur trois éléments. Le premier d’entre eux est une croissance durable sur le long terme. Aujourd’hui, nous avons mis en place le mobile payment au Maroc, nous avons fait énormément d’investissements pour cela et même si le volume des transactions par téléphone mobile est encore faible, nous y croyons fermement.
Vient ensuite l’innovation, au cœur de notre activité et de notre politique R&D. Nous avons un directeur, en charge de l’expérience client, qui est non-voyant. C’est l’un des meilleurs experts dans le monde en matière d’inclusion digitale des personnes en situation de handicap. Nous l’avons recruté après nous être rendu compte que ce qui était fait pour ces personnes pouvait aussi être utile pour l’amélioration de l’expérience utilisateur de tout un chacun.
Le troisième élément est l’excellence opérationnelle qui guide toute notre stratégie. Nous investissons énormément dans la qualité, la fiabilité, la sécurité et la certification aux normes internationales les plus exigeantes. Notre croissance exponentielle ne nous confère aucun droit à l’erreur.
Une gouvernance transparente
Aujourd’hui, dix administrateurs, dont trois femmes, composent notre conseil d’administration. Cinq d’entre eux sont des administrateurs indépendants, même si la loi ne nous en impose que deux. Comme nous sommes cotés à la Bourse de Casablanca, nous sommes transparents. Par ailleurs, nous sommes très engagés dans la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Une entreprise agile
Ce qui fait la différence avec nos concurrents, principalement américains et, dans une moindre mesure, européens, c’est l’agilité. Un client japonais avait exprimé une certaine hésitation pour accepter de mettre en production réelle notre système chez lui pendant le mois du ramadan. Nous lui avons expliqué que nous pouvions nous organiser pour que l’observation des prescriptions religieuses liées à ce mois sacré n’ait aucun impact sur les performances de nos équipes. Nous avons rappelé à notre personnel que l’Islam permet de ne pas suivre et de décaler ces prescriptions religieuses lorsque nous sommes à l’étranger et nous avons demandé qui était d’accord pour travailler au Japon sur ces bases. Cette mise en production a été réalisée avec succès, à la grande satisfaction de notre client.
Toujours au Japon, nous avons dû nous adapter à la culture contractuelle locale. Nous avons l’habitude de rédiger les comptes rendus de nos réunions de travail avec nos clients, qui valent définition des spécifications demandées. Or, les Japonais refusent catégoriquement de travailler ainsi. Chacun prend ses notes et le client, sur la base de ses propres notes, évalue à la fin si notre proposition correspond à ce qui a été évoqué lors des réunions de travail. Nous n’avons pas compris tout de suite qu’il s’agissait d’un point non négociable et il a fallu modifier nos pratiques.
Les phases du développement d’HPS
De 1996 à 2000, nous avons vécu une première phase d’opportunité durant laquelle nous avons conçu le logiciel, l’avons documenté et avons présenté l’échéancier de sa mise en œuvre à nos clients potentiels. Nous avons alors développé notre produit en interaction avec le marché, en fonction des attentes spécifiques des clients qui nous ont fait confiance. Cette voie, qui n’était pas celle de la facilité, nous a imposé des ajustements qui ont abouti, en 2002, à une seconde version de notre produit.
De 2001 à 2003, une phase d’industrialisation de la production a succédé à la première phase. Jusque-là, nous avions surtout eu besoin de salariés polyvalents, mais il nous a fallu les spécialiser et structurer notre organisation. Afin de former les nouvelles recrues, nous avons créé, il y a dix-huit ans, HPS Academy. Cette structure nous a permis de passer de trois ans de formation sur le tas pour tout connaître de PowerCard, à quelques semaines, et nous a ainsi ouvert de nouvelles perspectives de croissance.
La période allant de 2004 à 2011 a été celle de l’expansion et de la prise systématique de risques, en acceptant tout ce que nous pouvions, afin d’accroître le nombre de nos références.
Entre 2012 et 2016, nous avons connu une période de prise de recul et de consolidation.
Les quatre années suivantes ont été consacrées à une diversification de notre activité autour de la marque HPS, devenue une référence dans de nombreux pays, en particulier au Moyen-Orient et en Afrique. Désormais, nos clients sont fiers d’afficher qu’ils utilisent les solutions HPS.
Tout en restant dans le domaine du paiement et en respectant notre vision, ce gain d’image et de notoriété nous a permis d’entrer dans la phase actuelle d’accélération de la croissance, en particulier par de la croissance externe. Notre ambition est considérable et notre croissance annuelle, supérieure à 20 % cette année, sera vite dépassée.
En 1995, nous étions “une bande de quatre copains” liés par un pacte d’actionnaires, avec une représentation égalitaire au sein du conseil d’administration, des prises de décisions par consensus et une organisation “plate”.
En 2002, nous avons ouvert notre capital à deux investisseurs non exécutifs qui nous ont apporté 40 millions de dirhams, ce qui nous a permis de commencer à nous implanter à l’étranger. En 2006, nous avons introduit HPS en Bourse et, étant donné les conditions de sortie que nous avions alors négociées avec eux, ces actionnaires ont vu leur investissement être multiplié par 7 en cinq ans !
Depuis cette introduction, nous sommes devenus la plus grosse capitalisation technologique de la Bourse de Casablanca, avec une valeur comprise entre 4 et 5 milliards de dirhams. Nous sommes désormais sous le regard de tous et nous avons l’obligation de communiquer sur tout ce qui nous affecte, les succès comme les difficultés. C’est pour nous une manière de faire très nouvelle, quoique passionnante.
Une entreprise d’envergure internationale
Notre entreprise comprend aujourd’hui environ 1 000 personnes, dont 800 experts et ingénieurs. Nous sommes présents dans plus de 90 pays et sur tous les continents. Nous gérons 5 switches nationaux1, dont l’un en Afrique de l’Ouest. De façon inattendue pour des Marocains, plutôt francophones, nous sommes aussi très présents dans les pays anglophones, en particulier en Afrique.
Déjà en 2008, nous avons été classés dans le top 6 des acteurs de la monétique par le célèbre cabinet technologique Gartner et nous sommes par ailleurs membres de l’organisation Nexo, qui établit les normes de l’interopérabilité. De son côté, le Boston Consulting Group nous a classés parmi les 75 groupes innovants qui contribuent à l’intégration économique du continent africain. Nous avons créé notre propre club utilisateur dès 1999, le PowerCard Users Club, qui comprend plus de 450 utilisateurs et que nous réunissons régulièrement.
La transformation de l’écosystème des paiements
La crise de la Covid-19 a accéléré de façon extraordinaire le développement du e-commerce, et donc du paiement à distance, dont on a constaté le bon fonctionnement.
En 2017, on estimait à 20 milliards le nombre de cartes de paiement dans le monde, soit trois cartes par personne en moyenne. Le Maroc n’en comptait alors qu’une pour deux habitants. En 2022, la croissance du nombre de ces cartes reste très importante, malgré l’apparition du paiement par mobile qui tend de plus en plus à s’y substituer. Jusqu’ici, la transaction se déroulait de bout en bout sur un canal unique. Par exemple, dans un magasin physique, vous payiez via le TPE du commerçant. Aujourd’hui, vous pouvez régler vos achats en magasin à l’aide de votre téléphone portable. La même transaction peut désormais être effectuée simultanément via plusieurs canaux. La maîtrise d’une approche omnicanale2 est devenue une priorité pour tous les acteurs impliqués.
L’écosystème des paiements est plus large que celui des cartes bancaires. Au-delà des banques, on voit des fintechs y revendiquer une place grâce à leurs solutions technologiques – souvent sur smartphone –, mais aussi les grandes plateformes comme les GAFA ou Alibaba, qui drainent des millions de clients et offrent désormais leurs propres moyens de paiement comme Apple Pay ou Alipay. La pandémie a finalement réussi à dynamiser la coopération de ces trois catégories d’acteurs, jusqu’ici en rivalité, chacun apportant des solutions adaptées à ses technologies propres.
Face à ces bouleversements, les États commencent à réagir. Le rôle central qu’ils ont joué dans la gestion de la crise sanitaire renforce et légitime leur attachement à la souveraineté économique et digitale. On assiste ainsi à l’apparition de cryptomonnaies nationales souveraines3 qu’expérimentent désormais 80 % des banques centrales dans le monde.
Le numérique constitue aussi un défi majeur pour la réglementation, notamment en matière de concurrence, de fiscalité, de protection des données personnelles et d’échanges transfrontaliers, les banques centrales devant favoriser l’interopérabilité des moyens de paiement sans pour autant freiner l’innovation.
1. Un switch, en l’occurrence HPS Switch (HPPS), est l’entité habilitée à centraliser, au profit de systèmes bancaires domestiques, le traitement de toutes les opérations monétiques interbancaires au niveau d’un pays ou d’un regroupement de pays.
2. Le terme omnicanal, qui remplace celui de multicanal, correspond au fait d’utiliser plusieurs canaux d’une marque pour un même achat. Par exemple, un client peut consulter la fiche produit d’un article sur son téléphone, via WhatsApp, Facebook ou autres, et, dans le même temps, payer sur un site de vente en ligne et se faire livrer au point de vente physique.
3. Les cryptomonnaies souveraines bénéficient d’un cours légal qui les rend incontestables dans le règlement des créances publiques et elles ne peuvent être refusées dans les transactions opérées entre ressortissants du pays où elles sont émises.
Débat
HPS face à la concurrence
Un intervenant : Avez-vous des concurrents ou êtes-vous le seul à avoir choisi cette stratégie ?
Mohammed Horani : Nos concurrents étrangers sont, pour les plus importants, d’autres spécialistes du paiement électronique. Au Maroc, il s’agit de S2M et de M2M Group, qui a créé NAPS, une fintech dédiée à ce type de paiements. Ces deux sociétés ont fait d’autres choix que nous en se diversifiant davantage, par prudence.
Int. : L’agilité est-elle votre seul avantage compétitif face à vos concurrents ?
M. H. : La qualité de notre logiciel nous permet d’être les seuls sur le marché international à offrir la technologie microservices, architecture utilisée par les plus grandes plateformes digitales dans le monde et exigée aujourd’hui par nos clients. Cette recherche constante de la qualité est soutenue par notre politique de R&D, ainsi que par notre savoir-faire et notre motivation. Toutefois, nous sommes surtout de vrais connaisseurs des problématiques techniques, réglementaires, organisationnelles et des spécificités locales. De ce fait, nous parlons le langage de nos clients. Notre image bénéficie d’un grand capital de sympathie au sein de notre communauté. Aujourd’hui, à Casablanca, 20 nationalités sont représentées dans notre effectif, ce qui témoigne de notre diversité, qui est une grande richesse, et de notre ouverture aux talents étrangers, notamment africains.
Aujourd’hui, nos trois principales valeurs sont la solidarité professionnelle, tant en interne qu’avec nos clients, nos fournisseurs et nos divers partenaires ; la responsabilité vis-à-vis de ce que nous offrons à nos clients ; et l’esprit de partage, chacun, au sein d’HPS, partageant tout avec tout le monde, ce qui crée une communauté très forte et se ressent depuis l’extérieur.
Int. : N’avez-vous pas de concurrents en Asie ?
M. H. : Dans chaque pays où nous sommes présents, nous avons des concurrents locaux qui ont développé quelque chose pour les banques locales, mais qui n’ont pas de dimension internationale. Si une banque désire une solution spécifique à son pays, ces concurrents peuvent répondre à son attente. En revanche, notre premier client japonais, par exemple, voulait une solution universelle, aux normes internationales les plus récentes, ce qu’aucune entreprise japonaise ne pouvait lui proposer. Il a donc choisi HPS. Même en France, où le marché local est très développé, nous n’avons pas de réel concurrent, les solutions très spécifiques qui y ont été développées n’étant pas opérantes ailleurs.
Int. : Quelle est votre politique vis-à-vis des nouveaux entrants sur votre marché ?
M. H. : Depuis cinq ans, un nouveau venu au Maroc a cassé les prix. C’est un choix que je respecte, mais dont je doute du bien-fondé. Ne pouvant nous permettre de faire du low cost, notre position a été de maintenir nos prix, ce qui nous a fait perdre quelques opportunités, mais sans impacter notre croissance à deux chiffres.
Nous avons plusieurs types de partenariats. Nous avons signé des contrats avec des réseaux, comme Visa ou Mastercard, afin de sponsoriser des banques ou des fintechs qui n’ont pas les moyens d’en être directement membres – cela leur permet malgré tout d’émettre et d’accepter les cartes de ces réseaux. D’autres partenariats sont établis avec des entreprises technologiques, comme Oracle, opérationnelles comme Capgemini – qui dispose de ressources bien formées en Inde – ou commerciales... Nous ne pouvons pas tout faire seuls et c’est pourquoi nous réévaluons constamment notre politique de partenariat en fonction de ses résultats et de l’évolution du marché.
Int. : Vous dites ne pas vendre des logiciels, mais des solutions. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
M. H. : Prenons l’exemple de SAP, qui a une stratégie complètement différente de la nôtre. Ils éditent des logiciels qu’ils actualisent sur les plans technologique, réglementaire et autres, et dont ils assurent la maintenance. En revanche, pour le déploiement, le paramétrage, l’intégration dans les process spécifiques du client et l’adaptation à son contexte, ils se reposent sur des partenaires qu’ils ont eux-mêmes formés. Le chiffre d’affaires de ces partenaires est souvent bien supérieur à la cession d’une licence par l’éditeur.
La nature même de notre activité nous a imposé une autre voie. Si nous sommes un éditeur de logiciels à part entière, nous avons parallèlement développé tout un savoir-faire en matière d’implémentation, de livraison des logiciels, de formation de nos clients grâce à nos propres ressources, d’assistance aux innombrables tests de montée en charge et aux simulations préalables à la mise en service du produit in situ, etc.
Maîtriser le risque
Int. : Depuis 1995, quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
M. H. : Nous en avons rencontré énormément – ce qui est classique pour une entreprise qui se lance –, sur le plan financier, mais aussi en raison de la maturité de l’écosystème marocain de l’époque. Ainsi, en février 1995, un mois après le lancement d’HPS, nous devions participer à un important salon à Johannesburg. Cette opération devait nous coûter environ 120 000 dirhams, soit environ 12 000 dollars. Or, à cette époque, sans une autorisation préalable – dont l’obtention aurait demandé quelques mois –, l’Office des changes ne nous accordait la possibilité de changer que 20 000 dirhams par an. Il a fallu que des amis nous prêtent de l’argent en urgence pour que nous ne soyons pas contraints de renoncer à ce salon. Tout découvert bancaire exigeant des garanties, j’ai ainsi dû, comme certains de mes associés, hypothéquer un bien qui m’appartenait. Face à toutes ces difficultés, il nous a fallu avoir recours à des solutions personnelles agiles respectant néanmoins le cadre réglementaire.
À l’époque, le dispositif marocain d’accompagnement des entreprises n’existait tout simplement pas. En revanche, quand nous avons ouvert notre succursale à Dubaï, en 2002, j’ai découvert tout un écosystème qui nous a soutenus dès mon premier voyage sur place. Quand nous sommes arrivés au moment décisif avec un client marocain, celui-ci nous a dit que le projet d’HPS était intéressant, mais qu’ils ne voulaient pas servir de cobayes. C’est finalement le directeur général de ce client, qui nous connaissait bien et nous faisait confiance, qui a débloqué cette situation.
Une autre grande difficulté a été de trouver un premier client à l’étranger, et ce fut au Koweït. Nous avions répondu à un appel d’offres et notre solution avait beaucoup intéressé, mais nous n’avons pas été retenus, probablement parce que la banque ne voulait pas prendre le risque de contracter avec une entreprise sans référence internationale. Un an plus tard, les Koweïtis sont cependant revenus vers nous, car le contactant ne savait pas résoudre un de leurs problèmes. Il s’agissait d’un pur problème technique. Nous leur avons immédiatement proposé une solution efficace et ils nous ont attribué le marché.
Aujourd’hui, l’écosystème marocain accompagne les entreprises sur tous les plans et nous pouvons investir plusieurs millions de dirhams à l’étranger sans autorisation préalable. Cela a changé bien des choses.
Int. : Dans votre activité, faites-vous face à des risques systémiques autres que technologiques ?
M. H. : Nos risques sont principalement technologiques, mais sont de plusieurs types. J’ai évoqué la fiabilité de notre logiciel, car nous n’avons pas le droit à l’erreur. Ensuite, nous devons considérer le risque de sécurité face à d’éventuelles cyberattaques. Nous sommes également sensibles à des risques liés à l’environnement de notre logiciel. Par exemple, nous devons en assurer la disponibilité totale et constante. Récemment, pour la première fois en six ans, notre plateforme a été arrêtée pendant trois heures.
Nous avions anticipé ce genre de problème et, afin de pouvoir l’affronter, nous avions mis en place un plan de continuité d’activité (PCA), pour lequel nous sommes certifiés. Cet incident nous a néanmoins rappelé qu’il nous restait toujours des pistes d’amélioration à explorer. Nous devons aussi prémunir nos clients contre le risque de fraude, sous ses deux dimensions : d’une part, l’impact financier de la fraude (paiement frauduleusement obtenu) ainsi que les coûts associés aux conséquences et, d’autre part, les coûts des dispositifs de lutte contre ces fraudes. Il nous faut donc parvenir à trouver un équilibre entre une protection maximale et un coût de gestion du risque acceptable. Heureusement, nous avons aussi des assurances de plusieurs millions de dollars pour couvrir notre responsabilité vis-à-vis de nos clients. Ces assurances sont exigées par contrat par nos clients, ce qui nous protège largement.
Int. : Comment conciliez-vous perspective de long terme et cotation en Bourse, surtout en étant minoritaire au capital ?
M. H. : La plupart des porteurs de nos actions sont des institutionnels (caisses de retraites ou autres), et non des particuliers, et HPS est l’une des sociétés marocaines dans lesquelles la place des investisseurs étrangers est la plus importante. Les investisseurs institutionnels sont principalement originaires d’Amérique du Nord et d’Europe – en particulier des pays scandinaves. Tous sont parfaitement en mesure de comprendre que notre politique d’entreprise vise le long terme, ce qui les rassure et ne les pousse pas à vendre leurs actions. De plus, ils sont très exigeants en matière de responsabilité sociétale et environnementale, ce qui nous a amenés, il y a dix ans, à bénéficier du label RSE marocain, développé par le patronat local sur la base des normes ISO et qui nous impose des audits annuels. Nous préparons aussi une autre certification, nord-américaine cette fois, pour encore accroître notre crédibilité.
Nous privilégions donc le long terme, sans pour autant négliger notre rentabilité à court terme. Ainsi, nous affichons aujourd’hui un excédent brut d’exploitation de 25 %, tout à fait satisfaisant pour nos investisseurs.
Les cryptomonnaies ? Des monnaies comme les autres !
Int. : Pouvez-vous nous en dire plus sur le système de paiement mobile au Maroc ?
M. H. : Il y a environ quatre ans, la Banque centrale du Maroc a pris la décision d’instaurer un système de paiement mobile dans le pays et elle a alors fait des choix essentiels. Le premier, impératif, a été que le paiement mobile devait être interopérable, afin que l’argent déposé par un particulier dans le portefeuille de son mobile (wallet) puisse lui servir à payer n’importe quel commerçant et à transférer de l’argent à n’importe quel bénéficiaire, quel que soit la banque ou l’établissement de paiement détenant son compte mobile. Ce n’est pas le cas des systèmes promus par les opérateurs télécoms comme M-Pesa, qui reste un système privatif.
La deuxième condition était l’instant payment, c’est-à-dire que le compte du commerçant soit crédité aussitôt après le paiement par le client.
Le troisième choix a été l’identification du client par son numéro de téléphone, à l’exclusion de toute autre procédure.
À partir de là, nous avons conçu et monté le système de switching du paiement mobile au Maroc. Nous avons également élaboré une offre adoptée par 70 % des banques qui souhaitaient mettre en œuvre des wallets, les autres ayant opté pour des solutions concurrentes. Désormais, c’est nous et notre robuste plateforme Switch (HPPS) – seule entité habilitée à centraliser au profit du système bancaire marocain – qui assurons l’interopérabilité. Nous réalisons ainsi le traitement de toutes les opérations monétiques interbancaires au niveau national. Le démarrage de ce système rencontre quelques difficultés d’adaptation, mais les choses semblent désormais évoluer favorablement.
Int. : La Banque centrale européenne (BCE) semble avoir sollicité Amazon pour réfléchir à une sorte d’euro numérique. L’avez-vous également été ?
M. H. : Nous ne l’avons pas été, et ce, pour une raison compréhensible. Aujourd’hui, nous ne sommes pas encore reconnus en tant que spécialistes des cryptomonnaies. Nous avons cependant réalisé quelques avancées. En 2019, un événement intitulé Africa Blockchain Summit s’est tenu à Rabat, sous l’égide de la banque centrale du Maroc. Nous y avons contribué comme sponsor et nous avons été sollicités par Bank Al-Maghrib pour monter un proof of concept basé sur une plateforme blockchain destinée à optimiser les aides directes et indirectes, distribuées par l’État marocain à travers une centaine d’organismes. Nous avons monté, de A à Z, une plateforme identifiant les potentiels bénéficiaires les plus dans le besoin, à qui nous attribuons un wallet mobile destiné à être abondé par l’aide gouvernementale. Quand une personne aidée va chez le commerçant acheter, par exemple, une bouteille de gaz qui vaut 120 dirhams, elle ne paie avec son wallet que 40 dirhams, les 80 restants étant versés par la caisse concernée, directement et en temps réel, au commerçant pour qui l’opération est donc transparente. Notre expérience en matière de cryptomonnaies repose donc, en tant que spécialistes de la transaction, sur leur utilisation au même titre que n’importe quelle autre monnaie, davantage que sur leur émission. Nous laissons aux banques centrales, telle la BCE, le soin de mettre en place ces monnaies souveraines.
Int. : Que se passerait-il pour HPS si les cryptomonnaies étaient légalisées au Maroc ?
M. H. : Pour nous, les cryptomonnaies sont des monnaies comme les autres et nous les traiterions comme telles sans problème. Le seul problème avec le bitcoin, par exemple, aurait pu être les sept décimales qu’il contraint de traiter. Or, bien avant son apparition, nous avions prévu dans le paramétrage multidevise de notre logiciel qu’il soit demandé de préciser le nombre de décimales requis pour chaque devise. Nous sommes donc parés pour le bitcoin ! Le seul problème éventuel serait réglementaire, en fonction d’exigences de la Banque centrale marocaine, analogues à celles que nous connaissons déjà dans d’autres pays.
J’ai toujours été un entrepreneur
Int. : En matière de recrutement, quelles carrières proposez-vous ?
M. H. : En 2022, l’ensemble des acteurs mondiaux, y compris l’Inde, a vécu une très forte tension sur ce point, liée à des vagues massives de départs. Durant les six premiers mois de cette année, nous avons perdu 100 ingénieurs, majoritairement juniors, sur nos différents sites, mais nous en avons désormais recruté 200. Aujourd’hui, le secteur souffre d’un turnover moyen d’environ 50 % par an alors qu’il est seulement de 20 % chez nous. C’est une nouvelle donne culturelle à laquelle nous devons nous adapter.
En ce qui concerne les carrières, nous employons surtout des développeurs et des chefs de projet, mais nous recrutons aussi des commerciaux, des financiers ou des juristes, ainsi que tous les autres profils dont une entreprise comme la nôtre peut avoir besoin.
Int. : Les jeunes générations ont-elles plus d’appétence pour votre système que leurs aînés, alors que, selon vous, le cash reste largement dominant ?
M. H. : Nous ne nous adressons pas au grand public (B2C), mais aux banques (B2B). Notre stratégie est de permettre à nos clients de pouvoir proposer très rapidement des produits nouveaux et différents à tous les publics, jeunes comme moins jeunes, pour leur offrir les segments de produits les mieux adaptés, sans que ce ne soit trop compliqué ou trop onéreux pour eux. Désormais, plusieurs banques marocaines proposent des cartes jeunes. Sans avoir de précisions chiffrées, mon sentiment est que cela varie selon les pays, surtout lorsqu’ils sont encore classés parmi les “émergents”. Les adultes restent toujours le segment le plus important pour les banques. Aux États-Unis, un spécialiste du crédit à destination des étudiants a toutefois développé une carte spécifique pour cet usage que son réseau diffuse par millions et nous l’avons accompagné. La demande des jeunes évoluant rapidement, cela exige un effort particulier de notre part.
Int. : Voyez-vous, dans l’acceptation de votre système, des freins culturels spécifiques au Maroc, tels que ceux décrits classiquement entre pays européens ?
M. H. : Dans notre métier, la dimension culturelle est très importante. Rien qu’à Casablanca, on compte plus de 20 nationalités différentes parmi les résidents. Si l’on n’a pas la capacité d’accepter la différence et la diversité des modes de communication, on est très vite confronté à d’énormes blocages. Dans le cadre de la formation continue, nous faisons donc appel à des spécialistes qui nous préparent aux spécificités des nouvelles zones où nous souhaitons nous implanter.
Le fait religieux ne nous pose pas de problème au niveau comportemental. Aujourd’hui, nous sommes face, notamment dans les pays du Golfe, à des banques islamiques qui interdisent le prêt à intérêt. Elles ont souhaité développer pour leurs clients des cartes islamiques, conformes à la charia, qui sont reconnues par la plupart des banques non islamiques. Notre logiciel est désormais en mesure de traiter tous nos clients, tout en respectant les spécificités en matière religieuse de ceux qui en font état.
Int. : Quelle motivation personnelle vous a poussé à vous engager dans cette aventure ?
M. H. : J’ai toujours été un entrepreneur. Pour moi, un entrepreneur n’est pas forcément un détenteur de capital, mais quelqu’un qui a une vision et veut la développer. Au début, bien que directeur général de S2M, je n’en détenais aucune action et j’étais donc un entrepreneur salarié. J’avais un bon salaire et beaucoup de perspectives d’évolution, et cela me convenait parfaitement. Cependant, mon patron a alors décidé de vendre le logiciel à une filiale d’IBM aux États-Unis. Je lui ai dit que je voulais continuer à être maître de mes choix stratégiques, ce que j’étais déjà dans les faits puisqu’il n’y interférait pas.
Le faire seul n’était néanmoins pas envisageable et c’est donc avec trois associés à parts égales que je me suis lancé. Quatre autres ont suivi dans le cadre d’une première augmentation de capital, puis deux investisseurs y sont entrés. Aujourd’hui, je ne détiens plus qu’environ 8 % du capital d’HPS, ce qui me convient parfaitement et évite de générer des situations dans lesquelles les actionnaires ont des intérêts trop dissemblables. En revanche, au niveau salarial et contractuellement, j’étais le président-directeur général jusqu’en 2021. Aujourd’hui, je suis président du conseil d’administration.
J’ai fait beaucoup d’autres choses dans ma vie professionnelle, mais j’aime mon pays et je considère que je dois contribuer à son développement. Quand j’étais chez Bull, on m’a offert une très belle situation en France. J’ai préféré rester dans mon pays où je me sens bien. Tout en étant à la tête d’HPS, j’ai présidé, pendant trois ans, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et je siège actuellement, en tant qu’expert nommé par Sa Majesté le Roi, au Conseil économique social et environnemental. Je suis donc très bien là où je suis et, à 69 ans, je ne me sens toujours pas prêt pour la retraite.
Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :
Pascal LEFEBVRE
Christophe DESHAYES