Exposé de Claire Peradotto

La société Peradotto Publicité a été fondée en 1963 par mon père, Roger Peradotto. Il était peintre en lettres et réalisait, tous les mercredis, les affiches des cinémas de Nice, des panneaux de 20 ou 30 mètres carrés sur lesquels, à l’aide d’un escabeau, il peignait à la fois les décors des films et les têtes d’affiches. Malheureusement, il jetait ses réalisations au fur et à mesure et il ne nous reste que quelques photographies de lui devant ces œuvres. En revanche, nous avons toujours conservé le souvenir de cette origine artisanale de l’entreprise. Aujourd’hui encore, certains des salariés de Peradotto Publicité savent peindre des lettres à la main, fabriquer des décors, réaliser des travaux artistiques.

Une très grande variété de produits

Mon frère Lionel et moi-même sommes désormais cogérants de l’entreprise. Celle-ci est spécialisée dans la conception, la fabrication et la pose de toutes sortes d’objets destinés à la signalétique, la publicité, la communication ou la décoration, que ce soit en intérieur ou en extérieur.

Nous réalisons, par exemple, des enseignes lumineuses, y compris de très grande taille, comme celle d’Allianz Riviera, le stade de Nice, dont les lettres mesurent 8 mètres de haut sur une longueur de 25 mètres ; des affiches dans tous les formats ; des visuels destinés à couvrir de grandes structures et imprimés sur de la toile mèche, qui laisse passer le vent ; des habillages de façades, avec un adhésif microperforé permettant, depuis l’intérieur du bâtiment, de voir l’extérieur ; des visuels destinés à couvrir des palissades ; de l’habillage adhésif pour des flottes de voitures, des camions, des tramways, mais aussi des hélicoptères et même des bateaux, avec, dans ce dernier cas, des produits résistant à la corrosion du sel ; de la signalétique adhésive pouvant être appliquée sur les murs, les vitres ou le sol ; des kakémonos ; des panneaux lumineux ; des totems décorés, comme ceux que nous avons fabriqués pour le parc national du Mercantour, mais aussi des totems lumineux, ou avec écrans ; des toiles acoustiques réalisées avec une mousse spéciale et tendues dans les chambres d’hôtel pour atténuer le bruit ; des papiers peints sur mesure ; des lettres découpées adhésives destinées aux textes des expositions présentées dans les musées ; des visuels collés au sol, sur lesquels on peut marcher sans les abîmer ; des moquettes imprimées ; des reproductions en très grande taille de tableaux d’artistes, comme celles que nous réalisons pour l’artiste Ben ; des stands d’exposition sur mesure.

Certains produits sont fabriqués en quantités industrielles, d’autres sont des exemplaires uniques, parfois réalisés à la main. Par exemple, nous avons produit une réplique en grande taille du trophée de la Coupe du Monde pour décorer les jardins du centre d’entraînement de Clairefontaine et, chaque fois que l’équipe de France a gagné cette compétition, nous avons rajouté au trophée une étoile sculptée et peinte à la main. Nous avons également réalisé, pour l’Apollon de la place Masséna, à Nice, un maillot de foot qui a été positionné à l’aide d’une nacelle et cousu directement sur la statue.

Les moyens matériels et humains

Nous travaillons sur des supports à la fois souples et rigides : bois, plexiglas, aluminium, textiles, moquettes, adhésifs, bâches… Notre parc de machines, l’un des plus importants de France, est installé dans des locaux d’une superficie de 4 000 mètres carrés. Nous disposons d’imprimantes numériques à haute résolution et de grand format (impression en 1,60 mètre, 2 mètres, 3,20 mètres, et plus) ; de machines à découper pour tous types de matériaux ; de machines à souder, à coudre, à poser les œillets, à plastifier ; d’un atelier de menuiserie complet ; et d’une cabine de peinture de grandes dimensions, comme dans l’automobile.

Au total, l’entreprise emploie 40 personnes. Notre bureau d’étude est situé au sein de l’usine, à Nice, et nous possédons des antennes à Marseille, à Lyon et, surtout, à Paris, où nous comptons de nombreux clients. Nous avons, par exemple, réalisé toute la signalétique de la gare Montparnasse et nous produisons régulièrement des panneaux directionnels pour la RATP. Nous employons des équipes de poseurs à Paris et à Nice. Dans les autres villes, nous faisons appel à un réseau de poseurs travaillant régulièrement pour nous.

Les valeurs de l’entreprise

La première valeur de Peradotto Publicité, intitulée Agilité & Réactivité, est liée au fait que nous intervenons beaucoup dans le secteur de l’événementiel. Nous devons régulièrement répondre à des urgences, ce qui nécessite parfois de travailler la nuit ou le week-end.

La deuxième valeur, Performance & Qualité, s’incarne dans le fait que notre parc de machines est à la pointe de la technologie et nous permet de répondre à toutes les demandes, avec les techniques appropriées.

Notre troisième valeur s’intitule Positivité & Innovation. J’aime la citation d’Alain  : « Le pessimisme est d’humeur, l’optimisme de volonté. » Il est facile de critiquer l’entreprise pour laquelle on travaille, le Gouvernement, le système, mais, comme le recommande Gandhi, « il faut être le changement qu’on veut voir dans le monde ». Chacun de nous, à son niveau, a la possibilité d’agir. Pour ma part, j’ai la chance inouïe de diriger une PME et de pouvoir ainsi expérimenter de nouveaux produits, innover, créer, agir positivement auprès de mes collaborateurs et de mes clients, nous donner une vision commune et chercher ensemble à aller de l’avant pour la réaliser.

Notre quatrième valeur est le fait d’être une entreprise familiale et unie. Nous accordons énormément de place à l’humain et, quand nous recrutons une nouvelle personne, c’est un peu comme si elle rejoignait la famille. Cela nous conduit à nous adapter aux envies et aux besoins de chacun. Par exemple, les collaborateurs peuvent télétravailler quand ils le veulent (sauf, bien sûr, ceux qui travaillent à l’atelier) et ils s’arrangent entre eux pour choisir leurs dates de vacances, en veillant simplement à ce qu’il y ait toujours suffisamment de personnes sur place, car l’usine ne ferme jamais. En retour, je suis convaincue que c’est cette dimension familiale qui nous donne notre agilité et notre réactivité.

Une entreprise innovante

My Wall

Talents et Territoires est un dispositif favorisant les interactions et les bénéfices mutuels entre les entreprises membres de l’Espace Mapp (Airbus, ArcelorMittal, CMA CGM, STMicroelectronics, Onet, EDF, INEOS, L’Occitane, Pernod Ricard, HARIBO, TechnicAtome) et les start-up et PMEde la région Sud. Dans le cadre de ce programme, nous avons établi avec EDF un partenariat qui a conduit à une innovation, My Wall, destinée à faciliter l’aménagement des open spaces, dans lesquels les collaborateurs manquent d’espaces personnels et de rangements, et souffrent de nuisances sonores. Il s’agit de parois multifonctions sur roulettes, avec un tableau effaçable, des éléments modulaires et des décors variés, magnétiques, pour agrémenter la paroi. Après avoir prototypé ce produit pour EDF, nous allons le fabriquer en série.

Une bâche acoustique

Nous avons également développé des bâches acoustiques en mousse imprimable, destinées à être fixées sur des portiques, en extérieur, afin d’atténuer le bruit. Ce produit va probablement être très utile dans le cadre des Jeux Olympiques de 2024.

La gamme Green

Nous avons développé trois matières rigides imprimables, réunies dans la gamme Green et sourcées en France. Elles ont la particularité d’être recyclées et recyclables.

Green bond est une variante du Dibond®, un panneau alvéolaire ignifugé composé de deux couches extérieures en aluminium et d’une couche centrale en polyéthylène, qui peut s’utiliser aussi bien en intérieur qu’en extérieur. Les matériaux constituant Green bond sont à 100 % recyclés et recyclables, pour un prix à peine supérieur au Dibond® classique (entre 5 et 10 % de plus). Green board est un panneau alvéolaire en carton ignifugé, destiné à un usage intérieur, par exemple pour réaliser des totems, et également recyclé et recyclable. Enfin, Green plast est une matière issue du recyclage de bouteilles en plastique, conçue pour un usage à la fois en intérieur et en extérieur, à un prix un peu plus élevé que les matières équivalentes non recyclées.

Nous allons promouvoir ces nouveaux matériaux auprès de nos clients et nous espérons que, l’année prochaine, 30 % de notre chiffre d’affaires seront réalisés avec ces produits.

Débat

Industrie et artisanat

Un intervenant : J’ai été frappé par l’incroyable diversité de votre activité. En revanche, je n’en ai pas bien perçu la dimension industrielle. Beaucoup de vos produits semblent réalisés sur mesure ?

Claire Peradotto : Il est vrai que j’ai tendance à mettre en avant les produits sur mesure plutôt que les panneaux que nous fabriquons en grande série, alors même que ce sont ces derniers qui nous rapportent le plus… Toute entreprise, à un moment ou un autre, a besoin de signalétique, de sorte que, à côté de gros marchés nationaux, nous vendons aussi des roll-up ou des kakémonos à l’unité à des clients qui en ont besoin pour participer à un salon. Nous avons la chance de ne pas avoir vraiment besoin de chercher des clients, car ils viennent spontanément vers nous. C’est un avantage, mais aussi un inconvénient. Toutes ces commandes sur mesure ont, en effet, tendance à réduire la part industrielle de notre activité, que nous ciblerions sans doute davantage si nous cherchions des clients.

Agences de création et bureau d’études

Int. : Est-ce votre bureau d’études qui crée les visuels que vous imprimez ?

C. P. : La plupart du temps, ce sont des agences de création qui nous transmettent les visuels à imprimer. Notre bureau d’études vient en appui sur le plan technique, pour vérifier la faisabilité et aussi pour assurer la mise en page. Nous ne souhaitons pas nous doter de notre propre agence de création, car nous entrerions en concurrence avec celles qui nous font travailler.

Int. : Avez-vous déposé des brevets sur vos innovations ?

C. P. : Nous avons une marque déposée, mais pas de brevets. Nous devrions peut-être y songer, mais nous avons tellement de travail que nous n’y avons pas vraiment pensé jusqu’ici.

Proposer du conseil en signalétique ?

Int. : Aujourd’hui, pour me rendez à un rendez-vous, je suis passé par la gare de Lyon, où j’ai perdu dix minutes à chercher la ligne 14, en raison d’une signalétique vraiment désastreuse. Compte tenu de votre longue expérience en la matière, ne devriez-vous pas proposer du conseil à vos clients pour les aider à améliorer l’efficacité de leur signalétique ?

C. P. : Mon père a toujours souhaité rester dans son cœur de métier, c’est-à-dire la fabrication, plutôt que d’empiéter sur la création, ou encore sur la gestion des panneaux d’affichage, par exemple. Peut-être devrions-nous faire évoluer cette stratégie en ajoutant à notre bureau d’études un bureau de conseil en signalétique. Nous pourrions ainsi proposer aux agences de création un accompagnement dans ce domaine, dont elles ne sont pas forcément spécialistes. C’est une bonne idée et je vous en remercie ! Dès demain, je vais créer un groupe de travail pour la mettre en œuvre.

L’aide des pouvoirs publics

Int. : Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?

C. P. : Nous avons beaucoup apprécié l’aide de l’État pendant la pandémie de Covid-19. Cela dit, comme beaucoup d’entreprises familiales, nous avons la chance d’avoir une trésorerie saine, qui nous permet de nous développer avec ou sans l’aide des pouvoirs publics. Actuellement, nous envisageons de moderniser notre outil de production pour un montant d’1 million d’euros. Nous allons demander des aides dans le cadre du plan de relance, mais nous réaliserons notre projet quoi qu’il arrive. Si nous obtenons des aides, cela nous permettra simplement d’aller encore plus loin. Les pouvoirs publics devraient peut-être soutenir autant les entreprises qui vont bien – pour qu’elles aillent encore mieux –, que celles qui vont mal…

Les actions en faveur de l’environnement

Int. : En dehors de votre gamme Green, quelles sont vos actions en faveur de l’environnement ?

C. P. : Nous adhérons au label Imprim’Vert, ce qui nous engage à sécuriser le stockage des déchets dangereux, à les éliminer de façon conforme, à ne pas utiliser de produits toxiques, à sensibiliser les salariés et la clientèle à la protection de l’environnement, à suivre nos consommations énergétiques et à les optimiser.

Nous allons même plus loin : nous privilégions les matériaux textiles sans PVC et les encres à l’eau, nous avons intégré l’empreinte carbone à notre processus d’achat et, au fur et à mesure du remplacement de notre parc automobile, nous passons des moteurs thermiques aux moteurs électriques. Enfin, nous assurons le recyclage des matières non utilisées, dont une partie est récupérée par des artistes pour en faire des œuvres d’art.

Int. : Vérifiez-vous que les produits de la gamme Green sont effectivement recyclés après utilisation ?

C. P. : La filière de récupération des déchets de Veolia permet de trier le carton et l’aluminium sans aucun problème. De notre côté, nous nous assurons auprès de nos fournisseurs que les matériaux sont bien issus du recyclage et nous pouvons en apporter la preuve à nos clients. La traçabilité est complète, du début jusqu’à la fin.

Le recrutement

Int. : Rencontrez-vous des problèmes de recrutement ?

C. P. : Autrefois, les entreprises choisissaient leurs collaborateurs. Aujourd’hui, ce sont les collaborateurs qui nous choisissent. L’avenir appartient aux entreprises qui sauront montrer qu’elles ont de vraies valeurs, en particulier vis-à-vis des jeunes, qui ont besoin de sens.

Certains de nos nouveaux collaborateurs ne restent pas dans l’entreprise, mais, lorsqu’ils la quittent, c’est généralement au cours de la première année. Ensuite, les départs sont rares. Certains des salariés sont d’ailleurs là depuis vingt ou vingt-cinq ans.

Int. : Comment conciliez-vous l’adaptation aux souhaits de vos salariés en matière d’horaires ou de vacances et le fait que, en cas d’urgence, vous avez besoin que certains reviennent la nuit ou le week-end ?

C. P. : Cela ne se produit qu’une fois par mois environ et personne n’y est contraint. Si certains n’en ont aucune envie, d’autres sont heureux de le faire et d’être payés en heures supplémentaires. Il en va de même pour les congés : certains, ayant des enfants, doivent caler leurs vacances sur le calendrier scolaire, quand d’autres peuvent partir à n’importe quel moment. Je suis opposée au management pyramidal. Lorsque tout le monde travaille en bonne intelligence, on peut faire confiance au bon sens des gens et les laisser décider entre eux.

Grandir plutôt que grossir

Int. : Envisagez-vous de faire grossir votre entreprise ?

C. P. : Comme le disait un célèbre chef cuisinier, « le but, c’est de grandir, pas de grossir ». Nous pourrions tout à fait acquérir d’autres sociétés, car les banques nous suivraient. Néanmoins, pour l’instant, mon frère et moi privilégions la croissance interne. C’est ce qui nous conduit, actuellement, à revoir tout notre outil de production et à acheter de nouvelles machines. Nous devrons aussi continuer à nous entourer de personnes encore plus intelligentes et performantes que nous, à tous les niveaux.

Développer un réseau local

Int. : Par rapport à l’Allemagne, mais aussi à l’Italie, à la Belgique et même à l’Espagne, la France est très en retard en ce qui concerne la compréhension des problèmes des entreprises par les pouvoirs locaux et régionaux. C’est ce qui rend plus difficile le développement des ETI chez nous. Ne pourriez-vous pas vous associer avec d’autres entreprises pour convaincre les élus de contribuer à la transformation des PME locales en ETI ?

C. P. : Pendant la campagne des dernières présidentielles, j’ai rédigé des propositions que j’ai transmises au candidat Macron. Je me suis fait plaisir, mais cela n’a servi à rien.

Désormais, je suis déterminée à passer à l’action au niveau local. Je suis en train de créer une association, Énergie Entreprise, qui réunira des entreprises de la rive gauche de Nice et visera à lancer, au niveau local, toutes sortes d’actions en faveur du développement des hommes, des femmes, des entreprises et de la société.

Je vois deux grands sujets à traiter d’urgence. Le premier est celui de l’embauche, avec un gros problème d’insertion pour les personnes d’origine étrangère. L’entreprise me paraît être un lieu particulièrement approprié pour insérer les gens, pratiquer la diversité et le vivre-ensemble, et il faut utiliser ce levier. Je suis en effet très inquiète de voir à quel point se répandent le racisme, l’exclusion, l’attrait pour des partis extrémistes et des régimes autoritaires. Voulons-nous préserver notre démocratie un peu brouillonne ou opter pour un ordre totalitaire ?

Le deuxième grand sujet est celui du climat et de l’énergie : comment mobiliser les entreprises pour qu’elles agissent vraiment, au lieu de se contenter de greenwashing ?

Covid-19 : épreuve ou opportunité ?

Int. : Quel bilan tirez-vous des deux ans de la pandémie ?

C. P. : Notre chiffre d’affaires a baissé, mais nous avons fait face et l’entreprise n’a jamais cessé de fonctionner.

Devant la baisse des commandes, nous nous sommes lancés dans la fabrication d’hygiaphones et d’une signalétique anti-Covid, notamment pour la SNCF. La crise sanitaire a également été pour nous l’occasion de créer de nouveaux produits et de mettre en place la nouvelle gamme très rapidement. Nous nous sommes ainsi prouvé que nous étions capables de réactivité. Par ailleurs, nous avons bénéficié de PGE (prêts garantis par l’État) qui nous ont permis de continuer à acheter des machines.

Int. : Cela a donc constitué plutôt une opportunité pour vous ?

C. P. : Il est difficile de présenter une telle crise comme quelque chose de positif. Un événement comme celui-ci doit nous pousser à prendre du recul et à nous remettre en question sur nos entreprises, sur l’évolution de nos activités, sur nos rapports humains et sur l’avenir de la planète. Nous ne pouvons pas nous contenter de considérer que c’était un mauvais moment à passer et tourner la page.

La transmission

Int. : Comment imaginez-vous la transmission de votre entreprise ?

C. P. : Mon frère et moi avons des enfants. Ma fille travaille depuis onze ans avec moi et elle va bientôt avoir un bébé : la relève est assurée ! Plus sérieusement, la possibilité de lui transmettre l’entreprise dépendra de ses capacités, de ses compétences et de son envie. Mon vœu le plus cher est que notre société continue sur sa voie et se développe, que mes filles et mes nièces, ainsi que mes petits-enfants soient encore plus doués que nous et la poussent encore plus loin.

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

Élisabeth BOURGUINAT