Exposé de Philippe Chatry et Olivier Goué
L’association SudVinBio
Olivier Goué : SudVinBio est une association interprofessionnelle créée en 1991 et régie par la loi de 1901, donc sans but lucratif. L’organisation du salon Millésime Bio fait partie des services que nous rendons à nos 450 adhérents, qui représentent 70 % de la production de vins bios en Occitanie, mais également à tous les producteurs internationaux de vin et autres boissons alcoolisées bios.
SudVinBio est experte dans la filière des vins bios provenant non seulement d’Occitanie, mais aussi du Bordelais, d’Alsace, de Bourgogne ou de toute autre région française ou étrangère. À ce titre, notre association défend les intérêts de ses membres auprès des pouvoirs publics français et des instances européennes. Notre compétence technique est portée par deux ingénieurs qui conseillent nos adhérents et mènent des expérimentations sur le terrain. SudVinBio est également un observatoire des tendances des marchés – outil permettant d’anticiper la commercialisation des vins bios – et réalise une étude économique annuelle sur les consommateurs et la production, en progression constante, tant en France qu’à l’étranger. Notre association a aussi pour mission de favoriser la concertation entre les membres de nos deux collèges, celui des producteurs et celui des metteurs en marché de la région Occitanie.
Le coût de l’adhésion à l’association varie, selon les exploitations, de 250 à 700 euros et notre budget annuel avoisine les 3 millions d’euros, 90 % des revenus provenant de l’organisation du salon.
Enfin, nous sommes organisateurs d’événements, en particulier du Challenge Millésime Bio, qui est le concours international de vins bios rattaché au salon. Cette année, 1 700 échantillons provenant du monde entier ont concouru, quoique dans des conditions de dégustation par le jury pour le moins inhabituelles.
Millésime Bio
La première édition de Millésime Bio a eu lieu en 1993. Ne réunissant à l’origine que quelques producteurs, nous visons désormais, pour 2022, plus de 1 500 exposants, accueillis dans 5 halls du parc des expositions de Montpellier, ce qui représente une superficie de 24 000 mètres carrés.
La part de marché globale du vin bio dit “tranquille”, c’est-à-dire non effervescent, est passée de 1,5 % en 2013 à 3,5 % aujourd’hui, dans le cadre d’une diminution généralisée de la consommation mondiale de vin. Sur les cinq dernières années, la croissance moyenne du secteur des vins bios a été de 6 %. La consommation des vins non bios, de son côté, régresse de 0,3 % depuis plusieurs années.
Pour produire du vin bio, il faut passer par une période de trois années de culture, dites de conversion, durant lesquelles la production, bien qu’étant identique à celle du vin bio, ne peut être certifiée comme telle, les sols nécessitant d’être purgés de toute trace d’intrants chimiques. Il est intéressant de voir que les surfaces en cours de conversion, dans les trois principaux pays producteurs que sont la France, l’Italie et l’Espagne, sont en croissance exponentielle, ce qui laisse présager une croissance annuelle de 10 à 16 %, soit une part de marché de 8 % en 2023.
En France, la commercialisation des vins bios a été multipliée par quatre en dix ans. Si les conversions ont été très peu nombreuses entre 2011 et 2016, leur nombre est en forte augmentation depuis cinq ans. On dénombre ainsi à ce jour 8 100 exploitations, pour la plupart de taille modeste, soit produisant du vin certifié bio, à raison de 2,7 millions d’hectolitres par an, soit en cours de conversion, représentant 43 500 hectares supplémentaires.
On voit donc l’importance de Millésime Bio, qui se revendique comme le salon mondial du vin biologique et des autres boissons alcoolisées bios – ces dernières y étant intégrées depuis trois ans afin de diversifier notre offre –, peut avoir pour ces petits producteurs. Au regard de leur fragilité financière et de leur faible capacité à se faire connaître auprès des cavistes ou de la grande distribution, ces producteurs ne pouvaient se permettre une année blanche en matière de commercialisation, Millésime Bio étant leur débouché principal sur le marché mondial. Dans ces conditions, la stratégie consistant à organiser une édition totalement digitale en 2021 a été bienvenue. Certains salons ont opté pour une édition en juin plutôt qu’en début d’année et ont finalement été contraints d’annuler, d’autres ont préféré d’emblée reporter leur événement à 2022.
Le salon 2020 en présentiel
Visiteurs et exposants
Lors de notre dernière édition en présentiel, en 2020, 1 287 exposants étaient présents, dont 23 % d’étrangers venus de 21 pays. Nous avons accueilli 6 850 acheteurs professionnels – ce qui représente une hausse de 10,5 % par rapport à 2019 –, venus de 52 pays majoritairement européens. Tous sont comptabilisés en tant que visiteurs uniques, c’est-à-dire quel que soit le nombre de jours qu’ils passent sur le salon, pratique peu répandue dans le milieu de l’événementiel. Cette fréquentation est en constante progression depuis quinze ans, à tel point que nous nous approchons des limites de capacité du parc des expositions qui nous accueille. Ceci étant, Montpellier, quoique fort bien desservie, peut sembler trop excentrée. Un Américain ou un Asiatique préférera peut-être visiter Wine Paris, le grand salon qui se tient dans la capitale en février, plutôt que prendre un TGV pour descendre en Occitanie, qui est pourtant le plus grand bassin producteur de vins bios.
Les exposants acquittent un droit pour occuper leur espace, mais l’accès au salon, réservé exclusivement à des acheteurs professionnels dont nous vérifions scrupuleusement la qualité, est totalement gratuit. Notre enjeu n’est donc pas d’avoir de plus en plus d’exposants, mais d’être assurés de la qualité du visitorat. Ainsi, nous maintenons un rapport de 1 à 6 entre exposants et visiteurs afin d’être assurés que tous puissent travailler dans de bonnes conditions. En ce sens, le digital nous apporte des solutions intéressantes, non seulement pour cette année 2021, mais aussi pour celles à venir, en nous permettant de toucher un public plus large.
Pour l’édition 2020, un nouveau mobilier a été conçu, simple et strictement identique pour chacun des exposants, qu’ils produisent sur quelques hectares ou dans de gros domaines vinicoles. Notre objectif étant de mettre tous les exposants sur un plan d’égalité, sans favoriser la course des plus riches au gigantisme des stands, nous avons limité à deux le nombre de comptoirs possible.
Le salon offre également une zone d’accueil des participants ainsi qu’un espace de dégustation des vins en libre-service où sont exposés tous les médaillés du Challenge Millésime Bio. Lors de l’édition 2021, le défi du salon digital a donc été de remplacer tout cela.
Une première étape de digitalisation
Bien avant que la pandémie de Covid-19 n’arrive en Europe, nous avions déjà engagé une première étape de digitalisation, dans l’optique de ce que nous appelions alors un salon 4.0. L’idée était de permettre les prises de rendez-vous en ligne, afin qu’exposants et visiteurs puissent préparer leurs rencontres en amont, démarche clé pour un travail efficace lors d’un salon. Durant l’événement, nous avons fourni des iPad à chacun des exposants afin qu’ils puissent valider et suivre leurs rendez-vous en temps réel, et collecter les cartes de visite simplement en scannant le QR code présent sur le badge de leurs interlocuteurs. Par ce biais, il leur était également possible d’envoyer, en amont du salon, des e-invitations aux visiteurs de leur choix. De plus, une application mobile installée sur leur smartphone permettait aux visiteurs de gérer au mieux, eux aussi, leurs rendez-vous.
Par ailleurs, nous avons mis en place un système de géolocalisation. Le salon s’étendant sur 5 halls, le but de cette fonctionnalité originale était de permettre au visiteur de planifier sa visite en réservant, dans un premier temps, ses rendez-vous sur une journée donnée, sans préalablement en fixer l’heure précise. Deux jours avant la date prévue, l’algorithme adressait au visiteur un itinéraire optimisé selon les disponibilités des exposants, lui évitant ainsi temps morts et déambulations inutiles entre les différents halls. Une signalétique haute, au-dessus de chaque comptoir, affichait un QR code que le visiteur pouvait scanner pour se repositionner à tout moment dans des halls fortement fréquentés.
2021, un salon digital
Dès le printemps 2020, à la sortie du premier confinement, nous avons été confrontés à une grande inconnue. Quelle position devions-nous adopter pour un salon devant se tenir en janvier 2021 ? Par optimisme, nous avons tout d’abord cherché des solutions pour que se tienne un salon physique “Covid compatible”, respectant les normes de distanciation. Cela impliquait de réduire le nombre d’exposants dans les halls, d’installer des séparations en plexiglass, etc., et donc induisait un coût supplémentaire pour l’association. Parallèlement, nous avions entamé une réflexion portant sur un salon mixte, à la fois physique et digital, car nous nous disions que, quand bien même les Français y participeraient, les clients européens et ceux du grand export risquaient fort de rester confinés chez eux. Or, dès juin 2020, nous nous étions engagés, en cas d’annulation du salon de janvier 2021, à rembourser les 1 300 inscriptions déjà confirmées à cette date, ce qui, ajouté aux investissements à rembourser, aurait fait courir un risque financier à l’association. Nous avons donc arrêté les investissements et les dépenses, et attendu jusqu’à l’automne.
Ce n’est que début novembre, au début du deuxième confinement, que le conseil d’administration a pris la décision de reporter le salon physique à 2022 et de passer, pour 2021, à une solution 100 % digitale qui se tiendrait, en dépit du délai très court, aux dates prévues. En effet, l’une des forces de Millésime Bio est d’avoir lieu très tôt dans la saison et d’être ainsi le premier salon français du secteur, position que nous tenions à conserver. Avec Mediactive, il ne nous restait donc que quatre-vingts jours pour concevoir et développer ce salon digital.
Relever le challenge !
Philippe Chatry : Le groupe Mediactive accompagne Millésime Bio depuis de nombreuses années pour la gestion du salon physique et nous l’avons donc suivi dans cette étape de transition. Pour relever ce défi, il nous fallait mettre en place un certain nombre de systèmes, à la fois en amont du salon et pendant son déroulement.
En amont
La priorité était de mettre en place un site d’enregistrement des participants avec une vérification renforcée de leur qualité, qu’ils soient visiteurs ou exposants, et un système de mise en relation et de matching entre ce que vient chercher un acheteur dans le salon et ce qu’y propose un producteur. Dès la phase d’inscription d’un visiteur, une fois sa qualité de professionnel validée et ses principaux centres d’intérêt, en matière de type de vins, d’appellations ou de régions de production, spécifiés, il nous fallait pouvoir lui proposer les contacts répondant à ses attentes.
Simultanément, il fallait enrichir cet extranet avec le maximum d’informations sur chaque exposant, que ce soit sur son exploitation, son histoire, ses récompenses éventuelles, ses produits et ses nouveautés, toutes ces données étant précisément qualifiées et ordonnées par ses soins. Le tout était éventuellement accompagné de photos ou de vidéos, de données techniques sur les sols, l’élevage, etc. Le salon étant international, tous ces outils devaient être créés en version bilingue français et anglais.
Enfin, grâce à la plateforme, chaque exposant devait pouvoir facilement gérer ses rendez-vous, envoyer des invitations aux contacts professionnels de son choix et présenter ses collaborateurs présents sur le stand et pouvant être contactés à tout moment, avec leur nom, leur photo et leur qualité. Elle lui offrait également la possibilité de vérifier si des clients potentiels étaient en attente et de valider, ou non, les rendez-vous en fonction de ses propres centres d’intérêt et du profil des clients. Inversement, il devait pouvoir contacter les visiteurs ayant accepté par avance d’être sollicités par les exposants qui le souhaitaient.
Tout cela a exigé de la part de chaque exposant une intense préparation, afin que ce qui serait proposé au visiteur soit suffisamment attirant pour lui donner envie d’entrer en contact. La plupart de ces exposants se sont fortement investis et, lors de la première des trois journées de ce salon digital, le nombre de rendez-vous validés allait de 0, pour les rares producteurs qui n’avaient rien préparé, à 74 pour les plus impliqués.
Pendant le salon
D’une certaine façon, nous avons réalisé deux salons en un : le premier en janvier, pendant trois jours, aux dates historiques de Millésime Bio, le second en mars, à l’occasion d’une session de deux jours destinée à présenter les produits médaillés lors du Challenge Millésime Bio, qui n’avaient pu l’être lors de la première session.
L’objectif de cette plateforme digitale, accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre grâce à un code délivré en amont, était de permettre aux exposants de présenter leurs produits aux acheteurs potentiels, d’offrir aux uns et aux autres des moyens d’échanges concrets par le biais de chat text, de visioconférences, etc., et de suggérer des contacts. Par ailleurs, cet outil leur permettait de mettre les interlocuteurs de leur choix en favoris et de les avertir par SMS si quelqu’un cherchait à les joindre. Il proposait également de suivre des conférences métiers en live ou en replay, ce qui a permis de multiplier par 10 l’audience de ces séances en ligne par rapport à celle des séances tenues en présentiel lors des précédents salons.
Les résultats
Olivier Goué : Dès le début du mois de janvier, nous avons senti que quelque chose se passait, car les demandes de rendez-vous arrivaient de manière significative. Nous avons alors pu programmer la seconde session de mars, qui a certes eu moins de succès que la première, mais qui a été, pour certains visiteurs, un moyen d’obtenir les rendez-vous qu’ils n’avaient pas pu prendre en janvier.
Au total, 20 000 mises en relation ont effectivement été réalisées entre 1 000 exposants et 4 000 visiteurs représentant 52 pays, soit un nombre équivalent à celui réalisé en présentiel l’année précédente, ce qui nous a conforté dans l’idée que ce type de manifestation leur était indispensable.
Durant son déroulement, les producteurs ont pu, comme dans un salon en présentiel et sans surprise, garder le contact avec leurs clients habituels – ce qu’ils auraient aussi pu faire par d’autres moyens. En revanche, leur principale satisfaction, répondant à notre objectif prioritaire, a résidé dans la possibilité d’en rencontrer de nouveaux grâce à la mise en relation à distance, la dégustation éventuelle des produits se faisant ultérieurement, grâce à l’envoi d’échantillons. En cela, nous avons été pleinement satisfaits de cette version digitale de notre salon.
Le visitorat, quoique moins abondant, s’est révélé bien plus impliqué. Tout au long du salon, l’activité a été permanente sur la plateforme et 30 % des visiteurs se sont connectés quotidiennement, alors que peu passaient trois jours sur le salon physique. Nous avons également constaté un visitorat “grand export” très important – de 30 % au lieu de 3 % –, que nous ne rencontrions habituellement pas sur la version physique du salon, le Canada, le Japon et les États-Unis enregistrant la plus forte progression. En revanche, nous avons constaté une forte baisse du visitorat européen.
Par ailleurs, les exposants ont été très impliqués, assurant une présence permanente durant les trois jours, parfois vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour les contacts avec des clients étrangers hors Union européenne. Bon nombre d’entre eux ont, à cette occasion, trouvé des opportunités de business inattendues.
Les difficultés rencontrées
Des visiteurs perplexes
Nous pouvions craindre que l’absence de dégustations puisse dérouter le visiteur. Effectivement, certains nous ont dit d’emblée que, sans elles, ils ne viendraient pas. De leur côté, certains des événements organisés par nos concurrents qui se sont tenus en 2021 se sont révélés être davantage des conventions d’affaires que de véritables salons, se contentant de planifier des rendez-vous en visioconférence, sans rien proposer d’autre. En ce qui nous concerne, nous avons constaté que 70 % des mises en relations réalisées l’ont été pendant la durée du salon et sans rendez-vous planifié, tel que cela aurait pu être le cas dans un salon classique où les opportunités se créent au fil des visites. Certains exposants ont ainsi comptabilisé plus de 250 visites sur leur stand. L’un des avantages majeurs du digital est de permettre d’accéder à une mine d’informations et d’en tirer des leçons pour l’avenir.
Pour certains, l’absence de contact physique a néanmoins été un frein que les rencontres en visioconférence n’ont que partiellement compensé.
Des exposants à mobiliser
Notre public est largement composé de vignerons, peu adeptes des outils numériques et des salons digitaux. L’enquête de satisfaction a ainsi montré que 38 % d’entre eux n’avaient pas l’habitude d’utiliser des systèmes de visioconférence et que seuls 13 % avaient déjà participé à un salon digital. Les y familiariser a donc été un gros enjeu et a requis de mettre en place une assistance renforcée pour les accompagner, en particulier dans leurs prises de rendez-vous.
Des outils innovants
Philippe Chatry : Nous avons dû mettre en œuvre des outils innovants, tout en préservant le concept de salon. Cela nous a imposé un arbitrage délicat entre la richesse surprenante des informations présentées par les exposants, résultat d’une grande implication dans leur travail de préparation, et l’accès immédiat du visiteur à l’information essentielle. Nous aurions pu nous contenter de mettre en ligne la totalité de ces données et en rester là, laissant aux uns et aux autres le soin d’en retirer ce qui leur était utile. Outre le fait que cela aurait pu poser des problèmes de confidentialité des données, cela ne répondait pas à notre ambition d’être les animateurs de cet écosystème en maintenant un environnement contrôlé.
Nous avons par ailleurs été confrontés à quelques aspérités techniques, portant notamment sur la visioconférence. Tous les vignerons n’ont pas d’ordinateur de dernière génération, ni de connexion internet performante. L’hétérogénéité de ce parc a donc induit des problèmes d’interface qu’il nous a fallu traiter afin, par exemple, de pouvoir alerter les intéressés du début imminent de leur rendez-vous. Là aussi, et bien plus que lors d’un salon en présentiel, le besoin d’une assistance et d’un suivi constant était conséquent. Cela a nécessité la présence permanente d’une équipe technique pour le monitoring de la plateforme.
Quel salon en 2022 ?
Olivier Goué : L’essentiel des difficultés rencontrées lors de la session de janvier ayant été réglé dès la session de mars, celle-ci a ainsi pu servir de base à nos réflexions sur la suite à donner pour l’édition 2022 du salon Millésime Bio. Par ailleurs, il nous était évidemment impossible de renoncer à exploiter la masse de données apportées par les vignerons à l’occasion de cette première édition digitale du salon. Tout cela pouvait-il alors être utile dans le cadre d’une année normale ?
L’étude de satisfaction nous a amené quelques réponses. À la question : « Pour 2022, seriez-vous intéressé par une version digitale de Millésime Bio en complément du salon présentiel qui se tiendra du 24 au 26 janvier 2022 au Parc Expo de Montpellier ? », 55 % des exposants ont répondu positivement, 21 % négativement, les autres étant sans opinion à cette date.
De leur côté, les visiteurs à qui l’on a posé la question : « En 2022, si Millésime Bio était un salon mixte présentiel plus digital, à quelle(s) version(s) participeriez-vous ? », 50 % d’entre eux ont répondu « aux deux versions » ; 30 %, « au salon présentiel seulement » ; et 20 %, « au salon digital uniquement ».
Ces réponses nous ont convaincus qu’à l’évidence, il nous fallait développer la synergie entre les deux approches. Elles nous ont également montré qu’il n’était pas envisageable de tenir les deux formes de salon simultanément. En effet, répondre à un appel en visioconférence tout en étant présent sur le stand n’est guère concevable pour un exposant. Afin que l’une des formes ne cannibalise pas l’autre, nous nous sommes orientés, après réflexion, sur une stratégie consistant à organiser le salon digital une semaine avant le présentiel, le premier constituant ainsi une session préparatoire au second. Dès lors, un contact fructueux en visioconférence pourra se prolonger une semaine plus tard par un rendez-vous en face à face, centré sur l’essentiel, et par une dégustation des produits. Ce gain de temps permettra en outre au visiteur du salon physique de multiplier ses contacts lors de son déplacement à Montpellier, ce qui est notre objectif principal.
Janvier étant une période durant laquelle nous avons peu de concurrents, nous sommes sur un calendrier idéal. Le Challenge Millésime Bio ayant lieu au début du mois de janvier, les résultats en seront divulgués lors du salon digital, qui se tiendra au milieu du mois, et le salon présentiel sera clos le 26 janvier, laissant alors le champ libre à tous les autres salons.
Débat
En 2021 ou jamais !
Un intervenant : Comment votre pari a-t-il pu être couronné de succès alors que toutes les conditions d’un échec semblaient a priori être réunies ?
Olivier Goué : Il est clair que, sans la crise sanitaire, il nous aurait été impossible de réussir une telle gageure. Même si nous avions amorcé un début de digitalisation, c’était dans la seule perspective de compléter l’offre de notre salon physique. 2021 a donc été “l’année ou jamais” ! Nous avons aussi eu, au sein de l’association, l’intuition de nous engager dans du 100 % digital et de nous maintenir aux mêmes dates en début d’année alors que d’autres salons importants, à Paris ou en Allemagne par exemple, ont préféré reporter leur ouverture de quelques mois avant de finir par tout annuler. Nous avons été scrutés, souvent avec scepticisme, par nos financeurs, par la presse et par nos concurrents, tant ce qu’impliquait notre choix était original par son ampleur. Certes, nous n’avons pas pu faire de dégustation, mais de toute façon, personne ne l’a pu cette année, et les exposants se sont organisés pour envoyer des échantillons à ceux de leurs contacts qui le souhaitaient.
Philippe Chatry. : Par ailleurs, beaucoup de salons sont gérés par les parcs d’exposition eux-mêmes, dont l’intérêt premier est de vendre de l’espace. Dès lors que cette vente disparaît, un salon, quel qu’il soit, n’a plus de justification économique pour son promoteur et, de ce fait, beaucoup ont été annulés. Millésime Bio a continué à faire sens, avec ou sans espace vendu, parce que son promoteur est une association interprofessionnelle et que ce salon est un enjeu vital pour le secteur en général, et pour certains exposants, en particulier, qui nous ont été particulièrement reconnaissants d’avoir “sauvé” leur activité.
Des choix financiers raisonnés
Int. : Comment avez-vous financé ce salon digital ?
O. G. : Notre association est très saine. Un salon conventionnel représente un budget de 2,5 millions d’euros, dont une part importante va au Parc des expositions, ce qui n’a pas été le cas cette année. Nos frais, hors charges fixes, ont alors principalement résidé dans le développement du digital par Mediactive et dans la rémunération des salariés temporaires. Néanmoins, nous ne pourrons pas faire cela deux années de suite.
Par ailleurs, nous avions initialement offert aux exposants de leur rembourser 85 % du montant de leur inscription en cas d’annulation du salon 2021, ces sommes variant de 800 à 3 500 euros en fonction de la surface financière des producteurs et des metteurs en marché, afin de ne pas pénaliser nos petits adhérents. Lorsque nous avons choisi l’option du salon digital, nous avons décidé de rembourser intégralement ceux qui le souhaitaient, tout en proposant aux autres de reporter sur le salon de 2022 les sommes déjà engagées, ce qui garantissait aux petits exploitants leur place pour cette édition. Finalement, sur les 1 300 exposants inscrits initialement, plus de 1 000 ont choisi cette seconde option, certes pour assurer leur participation en 2022, mais aussi dans un geste de soutien militant en faveur de l’association qui défend leurs intérêts depuis vingt-neuf ans. Celui qui nous laissait sa participation bénéficiait en outre d’un accès gratuit au salon digital.
Int. : En institutionnalisant ce salon digital à côté du salon physique, restera-t-il gratuit ?
O. G. : Pour 2022, nous avons décidé d’arrêter la gratuité et l’exposant qui prendra l’option digitale en plus du salon physique acquittera 290 euros de frais d’inscription supplémentaires. Nous souhaitons en effet que participer au salon digital soit une implication délibérée des participants et non une simple possibilité facultative incluse dans l’offre globale du salon physique.
Les atouts du digital
Int. : Si l’on voit bien les limites d’un salon digital, la dégustation en particulier, quels sont ses avantages, selon votre expérience, par rapport à un salon physique ?
O. G. : Ils sont peu nombreux, en vérité ! Pour 2022, comme nous n’avons pas assez de places disponibles en présentiel, nous avons ouvert la possibilité, pour certains, de ne s’inscrire qu’au salon digital plutôt que d’essuyer un refus après avoir été inscrit en liste d’attente. Cependant, le montant de l’inscription ne sera pas de 290 euros, mais de plus du double, afin que certains gros exposants ne se disent pas qu’ils pourraient tirer le même avantage à moindre coût et sans avoir à gérer un déplacement de trois jours à Montpellier.
En revanche, le digital produit une masse d’informations exploitables bien supérieure à ce que permet le présentiel et, comme elles sont réunies sur un seul site, cela facilite leur consultation en rendant tout rendez-vous ultérieur beaucoup plus fructueux. C’est ce que nous souhaitons favoriser en positionnant le salon digital avant le salon physique et ses dégustations. Désormais, le visiteur qui arrivera sur le salon physique sans l’avoir préalablement préparé grâce au digital sera nettement moins efficace, sauf à ne vouloir s’en remettre qu’au hasard pour découvrir des opportunités.
Enfin, le digital est bien plus performant en ce qui concerne le grand export, avec une diminution notable de l’impact carbone lié aux déplacements.
P. C. : Il n’y a pas eu de salon en présentiel depuis fort longtemps pour les acteurs de la filière de l’événementiel et ceux à venir se dérouleront dans l’immédiat avec des jauges restreintes. La plupart de ces très grands salons ne se prêtent cependant pas au networking, car, pour cela, il faut une relation forte et réciproque entre visiteurs et exposants, comme c’est le cas pour Millésime Bio ou d’autre salons, tels EnerGaïa et le Forum européen des énergies durables, qui veulent continuer à marquer leur présence en tenant des conférences virtuelles. Les systèmes dans lesquels une intelligence artificielle pourrait initier des rencontres fructueuses entre parfaits inconnus relèvent encore de l’utopie. D’autres manifestations virtuelles, comme le L’Oréal Brandstorm, qui fait concourir en ligne 180 équipes d’étudiants ayant travaillé, dans le monde entier, sur les thématiques de L’Oréal, sont très efficaces et, en outre, très vertueuses en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et d’empreinte carbone, mais elles sortent du cadre des salons professionnels. La crise sanitaire a donc aussi permis quelques avancées intéressantes.
Int. : Le salon digital est-il désormais la solution d’avenir pour tous les salons ?
P. C. : Dans certains secteurs, bien que ce soit toujours la même logique économique de rencontre entre vendeurs et acheteurs professionnels qui soit à l’œuvre, la question ne se pose même pas, soit parce que le secteur concerné est en décroissance, soit parce qu’il s’adresse à une population vieillissante – le secteur de la chaussure est dans ce cas, les jeunes consommateurs préférant les baskets aux chaussures traditionnelles. Dans les métiers de l’habillement, pouvoir toucher la matière est essentiel, tout comme l’est la dégustation dans le secteur du vin. Le salon digital n’est donc pas, pour eux non plus, une solution à la perte d’activité.
Un salon digital comme Millésime Bio, qui se déroule sur trois jours, n’est pas non plus une simple place de marché virtuelle, ouverte en permanence, comme il en existe désormais beaucoup. C’est plutôt une sorte de forum sur lequel nous offrons suffisamment d’informations et d’éléments attractifs pour donner aux gens l’envie de s’y rencontrer et d’y nouer des contacts fructueux, dans un laps de temps restreint, tout comme ils le feraient dans un salon physique.
Le salon digital tel que nous le concevons n’est donc plus le salon virtuel que l’on fantasmait il y a quelques années en y voyant la panacée susceptible de se substituer à tous les salons physiques.
O. G. : Dès lors que nous avions l’outil, pourquoi nous limiter à un salon de trois jours et ne pas le laisser ouvert en permanence pour en faire une place de marché banale, sans interactions réelles entre acheteurs et vendeurs ? Après réflexion, nous avons choisi, comme pour un salon physique, d’avoir une date d’ouverture et une date de fermeture, encadrant ainsi un espace de temps durant lequel on concentre les gens afin que se nouent des relations personnelles.
Accompagner et former
Int. : Comment pensez-vous pallier l’écart entre participants en matière de culture du digital et quel accompagnement envisagez-vous de mettre en place pour gérer la ressource ?
O. G. : Dès le départ, certains vignerons nous ont clairement dit que le digital n’était pas pour eux. Nous avons noué un partenariat avec le BTS Négociation et digitalisation de la relation client d’un lycée montpelliérain, afin qu’une vingtaine d’étudiants, dont ce fut le thème d’étude, accompagnent nos adhérents d’Occitanie dans la mise en place de leur salon digital.
P. C. : Alors que j’étais a priori très circonspect face à la quantité d’informations que nous leur demandions de fournir, j’ai été totalement bluffé par le souci du détail, sur les vins, les cépages, les terroirs, les prix, etc., dont ont fait preuve 90 % des exploitants. Cela a été très satisfaisant et nous a rassuré sur l’adéquation entre ce que nous demandions et la motivation de cette population de vignerons.
O. G. : En amont, nous avons réalisé un grand travail de lobbying en ne cessant de les solliciter et de les encourager. Nous avons également organisé un webinaire destiné à leur expliquer ce qu’allait être cette plateforme, initiative qui a été suivie par un grand nombre d’exposants. Ils voulaient bien faire, mais ne savaient pas forcément comment s’y prendre : nous leur avons donc apporté ces solutions pour les aider. Avant le salon, l’objectif a été de repérer ceux qui n’avaient rien fait, de voir quelles en étaient les raisons afin d’éventuellement y remédier avec eux, mais aussi de retirer ceux qui se désintéressaient délibérément de leur site afin de ne pas donner aux acheteurs l’impression désastreuse d’être face à un salon à moitié vide.
Int. : Comment avez-vous résolu les problèmes liés à la confidentialité des données que vous avez recueillies ?
P. C. : Tous les processus d’inscription ont évidemment été soumis aux règles en vigueur, mais comme cela ne se passait qu’entre professionnels, celles-ci étaient moins contraignantes que lorsque des particuliers sont impliqués. Nous conservons évidemment les données mises en ligne par les exposants, à qui nous demandons des mises à jour régulières. Les visiteurs étant régulièrement inscrits, les données qu’ils ont transmises à l’association restent sa propriété pendant trois ans. S’ils le souhaitaient, ils ont également pu accepter explicitement d’être contactés par des exposants. Enfin, sur simple demande de leur part, comme le prévoient les règles, nous supprimons immédiatement toutes les informations qu’ils souhaitent voir disparaître les concernant. Quant aux messages échangés par les participants, ils sont cryptés et nous ne pouvons pas avoir accès à leur contenu.
Par ailleurs, nous ne faisons que faciliter la mise en relation entre participants et nous n’avons pas de système de signature électronique ou autre permettant de conclure des contrats en ligne. Ce n’était d’ailleurs pas l’objectif à cette étape des échanges. Il ne nous est donc pas possible de savoir concrètement ce que le salon a généré en chiffre d’affaires pour chacun des participants. Néanmoins, s’il n’avait pas été fructueux pour eux, nul doute que l’enquête de satisfaction l’aurait fait apparaître !
Int. : De quelles ressources humaines disposiez-vous pour tout cela ?
O. G. : Dans l’événementiel, les ressources humaines sont essentielles. Notre association emploie sept salariés permanents dont trois sont dédiés au salon. Au fil de l’année, pour les salons physiques, cet effectif monte jusqu’à quarante personnes avec le recrutement en CDD, en contrats de travail temporaire ou intermittent. Pour le digital, nos besoins en personnel sont moindres, l’exposant réalisant l’essentiel des saisies. Dès lors que nos outils sont rodés, il ne nous reste guère que le travail en back office. Pour 2022, notre principal souci tient donc surtout au salon digital qui se tiendra seulement une semaine avant le salon physique, dont l’installation requiert plus d’une semaine. Cela nous laisse présager une activité très intense durant cette période.
Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :
Pascal LEFEBVRE