Exposé de Jean-Valmy Nicolas

À la sortie de HEC, j’ai été recruté comme consultant chez McKinsey, ce qui m’a permis de constater que travailler dans un grand groupe ne m’intéressait absolument pas. Issu d’une famille d’entrepreneurs et de petits patrons, je me sens beaucoup plus à l’aise dans l’environnement des PME. Comme j’avais envie de créer ma propre entreprise et que j’ai un contact facile avec les dirigeants de petites entreprises, j’ai rejoint un fonds d’investissement indépendant small cap, Ciclad. Au bout d’une semaine, j’ai eu la très nette impression que je ferais ce métier toute ma vie. C’était il y a quinze ans déjà. Quelques années plus tard, j’ai décidé de rejoindre un fonds en cours de création : Vespa Capital.

À côté de cette activité, je gère deux sociétés familiales, notamment dans le secteur du vin.

Différentes sortes de LBO

Certains fonds d’investissement sont spécialisés dans les start-up. Pour notre part, nous nous intéressons à des entreprises matures, ayant déjà plusieurs années d’existence, voire plusieurs dizaines d’années. Il s’agit de PME françaises, le plus souvent régionales, de taille moyenne mais rentables, auprès desquelles nous intervenons en tant que fonds de LBO (leveraged buy-out).

Il existe plusieurs types de LBO. Le carve-out, par exemple, consiste à racheter une filiale d’un grand groupe. Ce genre d’opération se pratiquait beaucoup dans les années 2000 et a produit de grands succès. Le fait d’extraire une activité un peu enclavée au sein d’un grand groupe et de rendre autonome son équipe de direction permet parfois de déclencher des croissances magnifiques.

Nous pratiquons un deuxième type d’opération, l’OBO (owner buy-out). Dans cette forme de LBO, le dirigeant cède l’entreprise tout en investissant dans le capital et en conservant le contrôle opérationnel de l’entreprise.

Au bout de cinq à huit ans environ, un deuxième fonds d’investissement peut intervenir pour procéder à ce que l’on appelle un LBO secondaire. Ce genre d’opération est devenu très commun.

Enfin, il existe des LB-In, consistant à ce que des dirigeants externes à une entreprise la rachètent avec un capital minimal et un effet de levier très élevé grâce à la dette. Ce genre d’opération peut s’avérer assez risqué dans la mesure où le nouveau manager ne connaît pas vraiment l’entreprise et doit faire face à un taux d’endettement très important. Nous ne pratiquons pas ce type de reprise.

La création de Vespa Capital

J’ai rejoint Vespa Capital il y a douze ans, en 2008, lors de sa création et à peu près au pire moment pour lancer un fonds d’investissement. Le lendemain du jour où j’ai démissionné de l’emploi que j’occupais précédemment chez Ciclad, les journaux annonçaient la faillite de Lehman Brothers…

Nous avons néanmoins réussi à réunir suffisamment d’investisseurs. Vespa Capital est un fonds indépendant, de type friends and family : aucune institution, compagnie d’assurance, ou encore caisse de retraite ne figure au capital. Denis Leroy – mon associé – et moi-même investissons essentiellement notre propre argent et celui de quelques personnes proches de nous, en particulier des chefs d’entreprise en fonction ou à la retraite.

Pour notre premier fonds, qui a couru entre 2009 et 2015, nous avons investi 90 millions d’euros, avec pour règle de ne pas dépasser 15 ou 20 % du fonds sur une même entreprise, ce qui donne des tickets d’un montant n’excédant pas 15 à 20 millions d’euros par société.

Depuis la création de Vespa Capital en 2008, nous avons racheté 11 sociétés et nous détenons actuellement 5 participations. Au total, avec les croissances externes réalisées pour le compte de nos participations, nous avons acquis près d’une vingtaine de sociétés.

Le principe de l’OBO

Notre métier consiste à prendre le contrôle de PME réalisant un chiffre d’affaires compris entre 15 et 100 millions d’euros, toujours en association avec l’équipe de management et en laissant leurs dirigeants aux commandes. Nous sommes un investisseur majoritaire, souvent seul financier au capital, mais toujours en association avec le management de la PME.

Le business plan

Avant de lancer une opération, nous demandons au dirigeant d’établir un business plan. Il est le plus qualifié pour cela, car c’est lui qui connaît le mieux son entreprise.

Le management package

Si ce plan nous paraît intéressant, nous lui proposons de mettre en place, pour lui et pour son encadrement, un management package composé notamment d’actions de “préférence” : si l’opération nous rapporte, par exemple, deux fois notre mise, elle leur rapportera trois, quatre ou cinq fois leur propre mise.

Cette proposition est dûment formalisée à travers un protocole et des tableaux de conversion expliquant de façon parfaitement claire quelle sera la répartition des profits. Le principe général est que, en cas de succès, la part de capital détenue par le dirigeant et le management soit supérieure à ce qu’elle était au démarrage, par dilution de notre propre part. Dans certains cas, nous rétrocédons jusqu’à 15 ou 20 % du capital à l’équipe de management, en fonction de la performance de l’opération. La contrepartie est que, en cas de sous-performance, le dirigeant perd la valeur de la prime d’acquisition qu’il a souscrite dans le cadre de ses actions de préférence. En cas d’échec ou de sous-performance de l’investissement, le dirigeant et Vespa Capital sont traités de la même façon… Il n’y a pas de filet de sécurité pour l’investisseur au détriment du dirigeant, ni l’inverse.

Le management package est destiné à retenir les cadres dirigeants dans l’entreprise en les intéressant à sa performance. Quelle que soit leur part au capital, dans la mesure où ils ont investi de l’argent dans l’entreprise, celle-ci devient encore plus leur entreprise et ils se sentent d’autant plus investis dans sa réussite.

Associer les collaborateurs

Nous cherchons à associer le plus grand nombre possible de collaborateurs à l’opération, car l’effet le plus vertueux du LBO est sans doute cet aspect fédérateur. Dans une affaire de transactions immobilières professionnelles implantée dans le Nord de la France, où les patrons ont la fibre sociale, nous avons réussi à associer 190 personnes au LBO et seule une dizaine de collaborateurs ont préféré s’abstenir.

Évidemment, tous ne participent pas à la même hauteur au capital. Dans le cas de cette entreprise, le premier cercle, composé de quatre dirigeants, a investi plusieurs centaines de milliers d’euros dans l’opération.

Pour ceux qui investissent des sommes plus modestes, nous veillons à ce que le risque soit plus modéré, sachant que l’effet multiplicateur le sera forcément aussi.

La création d’une holding

Une fois que tout a été validé avec le dirigeant, nous créons une holding à laquelle le dirigeant apporte une part de ses titres sur l’entreprise et que nous dotons en capital. Cette holding rachète les parts restantes de l’entreprise, puis la dette contractée par la holding d’acquisition lui est remboursée, sur sept ans ou plus, grâce aux dividendes versés par l’entreprise cible, ce qui constitue le fameux effet de levier.

Chez Vespa Capital, nous pratiquons peu l’effet de levier. Nous préférons être prudents et avons une approche très conservatrice dans nos “deals”. Nous préférons sur-capitaliser nos holdings de reprise plutôt que de les endetter à outrance. Les PME, quelle que soit leur performance, sont des entreprises fragiles qui peuvent avoir une ou deux années de contre-performance sur la période d’un LBO. Nous organisons toujours notre reprise en laissant beaucoup de trésorerie dans les entreprises et en limitant les remboursements de dette LBO. Un peu de dette nécessite une forme de rigueur dans la gestion, beaucoup de dette peut être un vrai handicap pour le développement d’une société.

Le capital de la holding est détenu en partie par le dirigeant-actionnaire de l’entreprise et éventuellement par l’encadrement, ou même des collaborateurs, et en partie par Vespa Capital.

Lencadrement fiscal

Ce dispositif est très encadré fiscalement. Par exemple, conformément à l’amendement Charasse, le dirigeant doit rester minoritaire dans la holding. Le risque qu’il prend au niveau capitalistique, en souscrivant notamment une prime d’émission dans le cadre de ses actions de préférence, permet d’éviter que le fisc considère cette prime comme une rémunération. Le manager est intéressé en fonction de la performance globale de l’investissement, et non de sa performance personnelle, sans quoi la prime pourrait s’apparenter à un bonus. Enfin, le dirigeant et le fonds partagent le risque entrepreneurial.

La durée du LBO

En général, le LBO dure entre cinq et sept ans, mais il peut y avoir des exceptions. L’une de nos sociétés est dans notre portefeuille depuis onze ans. Il s’agit d’une entreprise assurant des interventions après les sinistres (par exemple, après un petit feu de cuisine ou un dégât des eaux) pour remettre les logements en état. Son résultat équivaut aujourd’hui à ce qu’était son chiffre d’affaires lorsque nous l’avons acquise. Entre-temps, elle a créé 450 emplois.

Lévolution psychologique des dirigeants

Nous ne réalisons que des opérations primaires, c’est-à-dire que nous ne rachetons que des entreprises n’ayant jamais connu de LBO et encore dirigées par leur fondateur.

Les dirigeants de ces entreprises ont souvent consacré quinze, vingt ou vingt-cinq ans de leur vie à assurer la réussite de leur affaire, en faisant parfois preuve de beaucoup de courage et de détermination devant les difficultés. Une fois parvenus à la rendre rentable, il arrive qu’ils éprouvent une certaine lassitude et, par ailleurs, qu’ils s’inquiètent pour leur patrimoine, car ils ont souvent pris beaucoup de risques personnels pour développer leur affaire. Le plus souvent, quand nous les rencontrons, ils nous disent : « J’en ai marre, je vends. Trouvez-moi un successeur, je ferai six mois d’accompagnement et je m’en irai. »

Quand ils acceptent de nous rencontrer, c’est souvent qu’ils ont fait le tour de toutes les autres possibilités, sans trouver de solution satisfaisante : « Si je vends ma boîte à mon premier concurrent, qui fait dix fois ma taille, elle va être absorbée en deux ans et tout ce que j’ai essayé de construire disparaîtra. Quant à mes cadres, ils n’ont pas les moyens de racheter l’entreprise. Et si je me contente de leur distribuer un petit pourcentage du capital, j’aurai du mal à maintenir leur motivation dans la durée. »

Lors de nos premières rencontres, ils se rendent progressivement compte que nous leur offrons la seule issue qui leur permette à la fois de cristalliser la création de valeur de leur entreprise, de continuer à diriger leur affaire, de préserver la culture de leur entreprise, de se doter des moyens de la développer, et aussi de retenir les salariés grâce à un plan d’intéressement. Le rouage que nous leur apportons va permettre de recycler, d’une certaine façon, une partie du capital et de transmettre l’entreprise aux cadres tout en rémunérant leur performance et en assurant la pérennité managériale du groupe.

Le premier LBO permet de mettre en place une dynamique de création de valeur. Quelques années plus tard, un LBO secondaire pourra éventuellement relancer la motivation des associés, des cadres et des collaborateurs afin de poursuivre la croissance.

Ces perspectives, ainsi que la sécurisation d’une partie du patrimoine du dirigeant, déclenchent souvent chez lui un processus psychologique très positif. Au bout de douze à dix-huit mois, il commence à tenter des choses qu’il n’aurait jamais envisagées auparavant, comme ouvrir un bureau dans un pays étranger ou racheter un concurrent. Tout cela fait que, bien souvent, au lieu de quitter son entreprise, il redouble d’énergie. Ainsi, le dirigeant de l’entreprise que nous avons rachetée il y a onze ans, qui prévoyait de partir au bout de six mois, est toujours aux commandes avec une énergie absolument remarquable…

Renforcer le management

L’un des points sur lesquels nous insistons particulièrement auprès du dirigeant est la nécessité de renforcer son management.

Souvent, dans les sociétés de 30 à 40 millions d’euros de chiffre d’affaires, le dirigeant est assez seul, avec une toute petite équipe de deux ou trois cadres. Ceux-ci, généralement sortis du rang, sont très dévoués, valeureux et déterminés, mais on peut craindre qu’ils aient du mal à porter la croissance de l’entreprise. Or, en aucun cas notre modèle d’affaires ne repose sur la restructuration ou sur l’endettement, mais uniquement sur la croissance. Par exemple, une entreprise implantée dans le Sud-Ouest de la France va s’étendre dans tout l’Ouest, ou bien une affaire nationale va commencer à ouvrir des filiales à l’étranger. Nous essayons donc de convaincre le dirigeant de renforcer son équipe en recrutant des talents venus de l’extérieur.

Ce processus pose le problème de l’éventuel écart de rémunération entre les anciens cadres et ceux que l’on souhaite attirer de l’extérieur, ce qui peut être source de conflit. Heureusement, l’un des effets du LBO est de permettre d’envisager non seulement de rémunérer convenablement les nouveaux cadres, mais également d’accroître le salaire de ceux déjà présents. Ce n’est généralement pas ce que les gens ont en tête lorsqu’ils voient arriver un fonds d’investissement dans l’entreprise…

La nécessité de muscler la direction financière

Parmi l’équipe des dirigeants, nous veillons particulièrement à muscler la direction financière. Une des grandes différences entre une entreprise française de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires et une entreprise anglaise de même taille est que cette dernière est généralement dotée d’une solide direction financière, ce qui est beaucoup plus rare en France. La plupart du temps, les dirigeants des PME en sont les fondateurs et les connaissent par cœur. Ils disposent ainsi d’une série d’indicateurs formels et informels qui leur permettent de savoir si l’entreprise est au bon rythme ou non et, en fin d’année, ils n’ont de comptes à rendre qu’à eux-mêmes. Ils ne voient donc pas vraiment quel serait l’intérêt de dépenser de l’argent dans une structure financière plus développée.

Il en va tout autrement avec le lancement d’un LBO, qui suppose d’ouvrir le capital de l’entreprise à de nouveaux actionnaires et, par conséquent, de leur rendre des comptes. Si la direction financière est un peu faible, on rajoute du risque au risque, même avec un niveau d’endettement assez bas. Si, de surcroît, on envisage une croissance externe, beaucoup de conditions sont réunies pour provoquer une catastrophe… C’est pourquoi l’un de nos premiers soins est de renforcer la direction financière des entreprises dans lesquelles nous investissons.

Croissance interne, croissance externe

Notre cœur de métier est la croissance interne. Dans les six entreprises que nous avons rachetées puis revendues jusqu’ici, l’activité, la filiale ou le produit qui dégageaient le plus de profit au moment de la cession n’existaient pas au moment de l’achat. C’est ce que j’appelle la magie des PME, c’est-à-dire la rapidité et l’agilité avec lesquelles elles sont capables de se développer, de se recentrer et d’apprendre de nouveaux métiers. Dans l’entreprise qui assure des interventions après les sinistres, par exemple, nous avons développé une très forte compétence en désamiantage, alors que cette activité n’existait pas au départ.

Toutefois, il nous arrive aussi de recourir à la croissance externe. Il y a deux ans, nous avons racheté une entreprise de distribution de produits bios dans le Sud-Ouest. Le jour de l’acquisition, nous étions parfaitement d’accord avec le dirigeant sur le fait que jamais nous ne rachèterions de magasins indépendants ni de petits groupes de distribution par croissance externe. Non seulement il nous paraissait impossible de trouver une autre chaîne de quatre ou cinq magasins de produits bios qui correspondrait à notre philosophie, mais il nous semblait également compliqué de recruter des dirigeants pour aller piloter des magasins à plusieurs centaines de kilomètres du siège. D’une manière générale, réussir à bien intégrer une entreprise, à lui appliquer la même rigueur de gestion, à conserver les collaborateurs et à ne pas détruire de valeur en cours de route exige des talents exceptionnels.

Il se trouve qu’un mois à peine après l’acquisition, on nous a apporté une petite affaire relevant du même segment de clientèle, située dans le Nord de la France et dirigée par deux frères qui avaient le même âge que le patron de notre entreprise, mais aussi la même façon de travailler. Nous avons acquis cette deuxième affaire et, du même coup, recruté deux dirigeants exceptionnels. Désormais, nous ouvrons deux nouveaux magasins par an et nous en rachetons trois chaque année.

Débat

Le profil des nouveaux dirigeants

Un intervenant : Lorsque vous devez recruter un nouveau dirigeant, quel profil privilégiez-vous ?

Jean-Valmy Nicolas : Actuellement, j’en cherche un pour une société dont le dirigeant, âgé de 70 ans, ne se réengagera vraisemblablement pas dans un LBO secondaire, et que nous devons donc remplacer. C’est un processus assez délicat, car ce monsieur est tout à fait d’accord pour être secondé, mais, en même temps, aimerait continuer à contrôler l’entreprise, ce qui est parfaitement légitime. Nous avons discuté ensemble du candidat idéal et fait appel à un chasseur de têtes. Après avoir rencontré, chacun de notre côté, une quinzaine de candidats, nous avons essayé de faire converger nos analyses. Bien qu’étant l’actionnaire majoritaire, nous ne pouvons pas prendre la décision à la place du président, mais seulement essayer de l’amener à partager nos vues.

Tout cela fait que, pour ce qui est du profil des candidats, nous prenons en considération la compétence professionnelle, bien sûr, mais aussi et surtout la souplesse psychologique…

Le partage du capital

Int. : Comment définissez-vous la part du capital que vous allez accorder aux nouveaux dirigeants ?

J.-V. N. : Au terme de leur période d’essai, nous leur demandons d’établir un business plan. La plupart du temps, en effet, ils rejoignent l’entreprise au milieu du LBO et la situation n’a rien à voir avec les prévisions établies au départ. Au bout de six mois de présence dans l’entreprise, ils connaissent ses forces, ses faiblesses et son marché, et sont ainsi en mesure d’établir ce document.

C’est sur cette base que sera calculée la part du capital que nous leur proposerons. Pour des raisons fiscales, en effet, la valeur des actions de préférence doit être adossée à la situation réelle de l’entreprise au moment où le dirigeant en prend les rênes. D’ailleurs, il serait injuste de lui imposer de souscrire les actions à la valeur qu’elles avaient trois ans plus tôt. Enfin et surtout, notre objectif est d’aligner nos intérêts respectifs.

Le dirigeant nous présente donc un business plan dont il a tout intérêt à faire en sorte qu’il soit aussi proche que possible de la réalité, ni trop optimiste, ni bien sûr trop pessimiste. Nous faisons ensuite appel à un cabinet d’audit spécialisé dans les management packages, qui se charge d’attribuer une valeur aux actions de préférence que nous allons accorder au manager. En général, la prime de risque correspond à 10 % de la valeur des actions.

Le LBO secondaire

Int. : Quand une entreprise connaît une belle croissance, pourquoi ne pas enchaîner avec un LBO secondaire ?

J.-V. N. : Il est très difficile de trouver de bonnes affaires avec de bons dirigeants à leur tête et, quand nous avons trouvé la perle rare et que tout fonctionne bien, il peut être tentant, en effet, de rester dans le capital de l’entreprise. Néanmoins, notre vocation est de revendre les affaires que nous acquérons. Nous ne sommes pas un investisseur familial qui peut rester soixante-dix ans dans une participation et, si c’était le cas, nous ne mobiliserions pas les mêmes outils d’intéressement.

Nos investisseurs ne nous fixent pas de date limite, comme ils le feraient dans un fonds institutionnel, mais nous sommes convenus que, dix ans après le lancement d’un fonds, il est légitime d’avoir revendu les participations ou, du moins, d’être en phase active de cession.

Donner du temps au temps

Int. : Je suis étonné par votre approche consistant à stimuler l’intelligence collective au lieu de couper des têtes, comme cela se pratique bien souvent dans ce genre d’opération…

J.-V. N. : Nous avons la chance de compter bon nombre d’anciens patrons de PME parmi nos investisseurs. Tous savent que développer une PME prend du temps. C’est sans doute ce qui nous permet d’être plus patients que d’autres fonds d’investissement.

De quoi parlent un dirigeant et un fonds dinvestissement ?

Int. : De quoi parlez-vous avec les dirigeants ? J’imagine que vous abordez essentiellement deux sujets, l’argent et les hommes, et pas tellement les aspects techniques ?

J.-V. N. : Détrompez-vous ! Nous consacrons beaucoup de temps à nous imprégner de la vie des entreprises. Bien sûr, je ne suis pas ingénieur et je n’ai aucun avis à donner, par exemple, sur la construction de fours de crémation, qui est la spécialité d’une de nos entreprises. En revanche, j’ai souhaité assister à la vente de ces fours à des collectivités locales. De même, quand nous avons racheté l’affaire de distribution de produits bio, nous avons visité les 31 magasins.

Il est probable, par ailleurs, que les dirigeants discutent de finance avec nous plus qu’ils n’en ont parlé avec qui que ce soit auparavant. Mais, honnêtement, cela ne leur prend pas énormément de temps – beaucoup moins, en tout cas, que lorsqu’ils ont affaire à des actionnaires familiaux. En tant que dirigeant de deux entreprises familiales, je peux témoigner que je passe 30 à 40 % de mon temps à gérer la famille… Par comparaison, nous tenons un discours rationnel et facile à comprendre : nous voulons favoriser la croissance de l’entreprise et nous n’avons aucune intention de prendre la place du dirigeant.

Quelles perspectives de croissance ?

Int. : Quelle est la taille de votre équipe ?

J.-V. N. : Nous sommes cinq.

Int. : Votre activité me semble relever de la catégorie “boutique d’investissement”, au sens où vous proposez du sur-mesure, et vous devez avoir de très nombreux concurrents. Avez-vous envisagé de recourir à la croissance externe pour vous donner des reins plus solides ?

J.-V. N. : Nous sommes effectivement une petite boutique d’investissement et notre métier, tel que je le conçois, ne peut être que du sur-mesure. J’envisage cependant d’industrialiser un peu notre activité en ouvrant des bureaux en région et en étoffant l’équipe, mais en conservant toujours la même discipline d’investissement. Acheter des entreprises n’est pas compliqué : il suffit de proposer un prix plus élevé que celui du concurrent. Ce qui est difficile, c’est de savoir dire non 90 fois sur 100…

Quand la performance est juste moyenne

Int. : Vous nous avez fait part de réussites éclatantes et d’échecs cuisants. Vous devez aussi rencontrer des situations où la performance est juste moyenne. Que faites-vous, dans ce cas ?

J.-V. N. : Sur l’une de nos cessions, nous avons obtenu un facteur d’1,5 entre le prix d’achat et le prix de vente. La première décision de nos successeurs a été de remplacer le dirigeant, ce qui leur a permis de relancer formidablement cette entreprise : ils sont en train d’en faire une plateforme européenne. J’avais moi-même envisagé à de nombreuses reprises d’écarter le dirigeant. Néanmoins, j’y avais toujours renoncé. On pourrait en tirer la conclusion que je devrais être plus agressif dans l’encadrement de nos participations, mais ce n’est pas notre style. La réputation d’un fonds d’investissement est très précieuse et prendre le risque d’apparaître comme un fonds qui remercie les dirigeants lorsque leur performance est insuffisante n’est pas forcément le meilleur calcul pour l’avenir…

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

Élisabeth BOURGUINAT