Exposé de Philippe Haffner

L’hydrogène n’est pas une source d’énergie à proprement parler. Il existe de l’hydrogène natif dans l’univers et aussi un peu sur terre, mais on ne sait pas l’exploiter de façon économiquement viable. Tout l’hydrogène actuellement utilisé est donc fabriqué via diverses technologies.

Hydrogène et transition énergétique

L’intérêt de l’hydrogène est que, contrairement à l’électricité, qui est difficile à stocker plus de quelques heures (grâce à des batteries, notamment) ou quelques jours (via le pompage de l’eau des barrages de montagne, par exemple), il peut, comme le gaz naturel, être stocké sur de longues durées. On peut également le transporter et ainsi produire de l’électricité là où on en a besoin et quand on en a besoin.

Cette spécificité, qui fait de l’hydrogène un vecteur énergétique, c’est-à-dire un “transporteur d’énergie”, ouvre de très intéressantes perspectives pour le remplacement des énergies fossiles, qui représentent près de 80 % des énergies finales (des énergies considérées au stade de leur utilisation par le consommateur final). Le recours à l’hydrogène est particulièrement pertinent pour les besoins en énergie liés à la mobilité : il peut être utilisé dans les voitures, les camions, les trains, mais aussi dans les bateaux et les avions. Airbus a même annoncé qu’à partir de 2030, la croissance du transport aérien reposerait en grande partie sur l’hydrogène.

Pour cela, il faut toutefois le comprimer à une pression considérable, jusqu’à 700 bars, car c’est un gaz très volatile, avec une densité volumique faible. Pour un usage dans l’aéronautique, il faut même le rendre liquide, car des réservoirs de gaz prendraient trop de place et pèseraient trop lourd dans un avion.

Cette nécessité de comprimer l’hydrogène est une contrainte, mais elle permet d’obtenir une bien meilleure densité d’énergie que celle d’une batterie de véhicule électrique. Par exemple, la Toyota Mirai, une berline à hydrogène, a une autonomie de 700 kilomètres, alors qu’il n’existe pas de véhicule électrique offrant une autonomie de plus de 500 kilomètres. En outre, le plein d’hydrogène se fait en trois minutes, comme pour l’essence, alors que le chargement d’une batterie est beaucoup plus long.

En d’autres termes, le véhicule à hydrogène cumule les avantages d’un véhicule thermique, du point de vue de l’autonomie, et ceux d’un véhicule électrique, quant à la protection de l’environnement. C’est pourquoi ce gaz est appelé à jouer un rôle majeur dans la transition énergétique. Pour cela, plusieurs conditions doivent toutefois être réunies.

Le choix de la pile à combustible

La première condition concerne le choix de la technologie permettant de mobiliser l’énergie de l’hydrogène. Il en existe deux, le moteur thermique et la pile à combustible.

La Série 7 de BMW, par exemple, fonctionne avec un moteur thermique alimenté à l’hydrogène. L’inconvénient de cette technologie est que son rendement n’est pas meilleur que celui du moteur thermique à essence : du réservoir aux roues, il se limite à environ 20 %.

Celui de la pile à combustible dépasse 50 %, avec un énorme avantage : le moteur ne rejette que de l’eau – pas d’oxydes d’azote, ni de particules.

Un véhicule à hydrogène équipé d’une pile à combustible est, en réalité, un véhicule électrique dans lequel la batterie est remplacée par la pile à combustible et par un réservoir d’hydrogène. En anglais, on parle d’ailleurs de deux types de véhicules électriques, le BEV (battery electric vehicle) et le FCEV (fuel cell electric vehicle). Le développement du véhicule à hydrogène devrait être d’autant plus rapide qu’il va bénéficier de toutes les avancées du véhicule électrique à batterie.

Un coût en baisse

La technologie de la pile à combustible a longtemps souffert de trois gros inconvénients : le coût des piles à combustible, leur encombrement et le coût de production de l’hydrogène.

Le prix des piles à combustible était d’autant plus prohibitif que leur durée de vie était faible. La technologie a beaucoup progressé, leur volume est devenu plus compact et, depuis quelques années, la quantité de platine nécessaire à leur fonctionnement a été divisée par dix. Avec l’augmentation du nombre d’utilisateurs, leur coût va continuer à baisser.

Pour parcourir 100 kilomètres avec un véhicule léger de type Toyota Mirai, il faut un kilogramme d’hydrogène, qui revient actuellement à environ 10 euros à la pompe. Pour effectuer la même distance avec une voiture diesel équivalente en gamme et en puissance, il faut environ 5 litres de gazole. Le prix du litre de gazole est d’environ 1,50 euro taxes comprises, c’est-à-dire avec la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), et de 0,60 euro une fois détaxé. Pour que le moteur à hydrogène soit compétitif par rapport au moteur diesel, il faudrait que le prix du kilogramme d’hydrogène descende à 3 ou 4 euros, ce qui est parfaitement envisageable.

Lefficacité énergétique

Une troisième condition pour que l’hydrogène joue un rôle majeur dans la transition énergétique porte sur son efficacité énergétique.

En France, compte tenu de notre mix énergétique (nucléaire, énergies fossiles, énergies renouvelables…), on estime qu’avec 100 kWh (kilowattheure) d’énergie primaire, on obtient en moyenne 40 kWh d’énergie électrique. Cette électricité étant toujours produite par des alternateurs, il faut la convertir en énergie continue, ce qui entraîne une perte de 5 %. Ensuite, l’efficacité énergétique varie en fonction du mode d’utilisation de l’électricité produite.

Avec un véhicule électrique à batterie, on perd de l’énergie lors du transport de l’électricité, mais aussi au moment du changement de batterie et de sa restitution. Au total, par rapport aux 100 kWh d’énergie primaire initiale, le rendement est seulement de 25 %. Il est toutefois meilleur que celui d’un véhicule fonctionnant au gazole (19 %), et surtout que celui d’un véhicule fonctionnant à l’essence (15 %).

Lorsque l’électricité sert à fabriquer de l’hydrogène avec un électrolyseur alcalin (le standard actuel du marché), le rendement est actuellement d’environ 60 %. Il faut ensuite transporter cet hydrogène, ce qui consomme environ 10 % de l’énergie. La compression du gaz entraîne à nouveau une perte de 10 %. La pile à combustible qui va retransformer l’hydrogène en électricité ayant un rendement de 52 % et la chaîne de transmission du véhicule un rendement de 90 %, l’énergie récupérée aux roues du véhicule n’est que de 11 kWh. En d’autres termes, l’électricité est deux fois mieux valorisée avec une batterie qu’avec une pile à combustible fonctionnant avec de l’hydrogène produit par électrolyse.

Lorsqu’on produit l’hydrogène à partir de biomasse, le bilan est beaucoup plus favorable. Le prélèvement de la biomasse, sa préparation, son transport, son broyage représentent 6 % de pertes et la production d’hydrogène a un rendement de 70 %. Au total, le rendement à la roue dépasse 25 kWh, c’est-à-dire l’équivalent de celui d’un véhicule électrique à batterie.

Le pari de Haffner Energy

L’entreprise que je dirige a été fondée en 1993 par mon frère Marc et moi-même. Jusqu’à 2009, nous nous sommes consacrés à la construction de centrales de cogénération, c’est-à-dire d’installations permettant de produire de l’électricité et de la chaleur à partir de biomasse. Avec la crise de 2008, nous avons constaté que, le prix de l’électricité étant en train de décliner, il devenait de plus en plus difficile de financer ces projets. Par ailleurs, la concurrence se faisait plus forte.

Nous avons décidé de profiter de notre longueur d’avance dans les technologies d’utilisation de la biomasse pour essayer de valoriser de nouveaux procédés. Dès 2009, nous nous sommes intéressés à l’utilisation de la biomasse pour produire de l’hydrogène. Les deux autres méthodes consistaient à le produire soit par vaporeformage à partir d’énergies fossiles (avec l’inconvénient de rejeter dans l’atmosphère environ 10 kilogrammes de gaz carbonique par kilogramme d’hydrogène produit), soit par électrolyse, procédé nécessitant le recours à l’électricité.

À l’époque, on n’utilisait pratiquement pas d’hydrogène en tant que vecteur énergétique, mais seulement comme un gaz destiné à des process pour l’industrie. Comme il n’existait aucune incitation économique à se préoccuper du réchauffement climatique, il pouvait paraître étrange de chercher à fabriquer de l’hydrogène avec de la biomasse. C’est pourtant ce que nous avons fait, en pariant qu’un jour, cela présenterait un intérêt…

Les étapes du développement

En 2015, nous avons procédé à une première levée de fond de 1 million d’euros, avec l’entrée au capital d’Eurefi, un actionnaire qui a pris 20 % de notre capital. À cette occasion, nous avons créé la structure de tête, Haffner Energy, pour marquer la transformation de notre bureau d’étude en entreprise industrielle. Cette levée de fonds nous a permis de déposer nos quatorze premières familles de brevets autour de notre procédé Hynoca (hydrogen no carbon). Aujourd’hui, nous détenons une centaine de brevets internationaux.

En 2016, nous nous sommes structurés pour obtenir la certification ISO 9001 (gestion de la qualité) et nous avons continué à développer notre procédé, en bénéficiant d’un financement opéré par Bpifrance pour un montant de 1,7 million d’euros, via un Partenariat régional d’innovation (PRI).

Au début de l’année 2017, nous avons présenté notre procédé pour la première fois au public, ce qui nous a valu une visite de plusieurs heures de François Hollande, alors président de la République.

En 2018, nous avons signé un premier partenariat avec l’ADEME (Agence de la transition écologique), l’école CentraleSupélec et la collectivité de Vitry-le-François pour un montant de 2,7 millions d’euros, et nous avons fait entrer au capital un nouvel acteur industriel.

Un premier pilote a été mis en service en 2019 et nous avons procédé à une nouvelle levée de fonds marquée par l’entrée au capital de Kouros, ce qui nous a permis de dépasser 10 millions d’euros de fonds levés. Ce pilote, qui reproduit exactement le fonctionnement industriel de notre procédé, nous permet à la fois de tester différents types de biomasse et d’optimiser le procédé.

En mars 2021, nous allons mettre en service la première tranche de notre première grosse installation industrielle et commerciale, qui, dès 2023, fournira 720 kilogrammes d’hydrogène par jour, ce qui correspond aux besoins d’environ 1 600 véhicules de type Toyota Mirai parcourant 15 000 kilomètres par an.

Puis, vers la fin de l’année 2021, nous procèderons à une nouvelle levée de fonds majeure qui nous permettra de nous déployer de façon massive, en France et à l’international.

Le procédé Hynoca

Notre procédé est relativement simple. Nous commençons par décomposer la biomasse en gaz par thermolyse, en chauffant la biomasse à plus de 500 °C. Ce faisant, en quelques minutes, nous reproduisons le cycle de la nature lorsqu’elle a transformé de la biomasse en énergies fossiles, ce qui nous permet de nous reposer sur les technologies conventionnelles de vaporeformage du gaz naturel et du coke utilisées pour la production de 95 % de l’hydrogène actuel dans le monde.

De cette étape de thermolyse résultent deux coproduits : d’une part, une sorte de charbon de bois appelé biochar – qui peut être utilisé soit comme combustible, soit, préférentiellement, en agriculture, pour augmenter la productivité des sols – et, d’autre part, un mélange de gaz que nous traitons par craquage à environ 1 200 °C afin d’obtenir un syngas appelé Hypergaz, très riche en hydrogène et quasiment dépourvu d’éléments inorganiques. Ce dernier sera alors purifié jusqu’à un taux de 99,99 %, avant d’être comprimé et stocké.

Les avantages de lhydrogène issu de la biomasse

Des émissions de carbone négatives

Les avantages de l’hydrogène issu de la biomasse sont nombreux. Le premier est d’ordre environnemental. Sa production présente la particularité, unique à ma connaissance, de générer des émissions de gaz carbonique négatives : chaque fois que l’on utilise un véhicule à hydrogène issu de la biomasse, on efface l’équivalent des émissions d’un véhicule à moteur thermique, en tout cas lorsque le biochar est remis en terre pour une valorisation agronomique (on parle alors d’un puits de carbone). La présence de ce matériau profite à la plante sans qu’il soit pour autant capté par elle, et il reste donc dans le sol pour des décennies, voire bien plus. Or, la production de chaque kilogramme d’hydrogène s’accompagne de celle de 5 kilogrammes de biochar (constitué à 85 % de carbone fixe C), correspondant à la séquestration de 15 kilogrammes de CO2, et c’est aussi ce qu’émet en moyenne un véhicule léger à énergie fossile sur une distance de 100 kilomètres – d’où cette notion d’émissions de CO2 négatives.

La production de l’hydrogène à partir de biomasse entraîne également quelques rejets de CO2 dans l’atmosphère, mais il s’agit d’un CO2 neutre (biogénique), dans la mesure où ce CO2 est directement issu du carbone capté par la plante à partir du CO2 de l’atmosphère et non issu de ressources fossiles.

Une production décentralisée

Un autre avantage de la production d’hydrogène à partir de biomasse est qu’elle peut se faire de façon décentralisée, au plus près des besoins, mais aussi des ressources en biomasse. Elle permet ainsi de créer une économie circulaire, contrairement à l’électricité d’origine solaire, qui est produite à 80 % avec des cellules photovoltaïques fabriquées majoritairement en Chine, et bénéficie surtout à l’économie chinoise. La biomasse, elle, est produite localement, en général dans un rayon de 10 à 50 kilomètres autour de la centrale à hydrogène.

Non seulement la production d’hydrogène peut être décentralisée en unités de petites dimensions, mais elle doit l’être, afin d’éviter des surcoûts de transport. En effet, même comprimé, l’hydrogène occupe beaucoup de place et un camion ne peut en transporter que 300 ou 400 kilogrammes. Le transport peut ainsi représenter jusqu’à 50 % du coût de revient de l’hydrogène.

La sécurité

Un autre intérêt majeur de notre procédé est qu’il est très sûr. Contrairement aux électrolyseurs, qui nécessitent une pression de 20 à 30 bars, nous travaillons à pression atmosphérique, ce qui élimine tous les risques d’explosion. À titre d’illustration, les gaz accumulés dans le dispositif ne représentent que l’équivalent d’un demi-litre d’essence, ce qui est très peu.

La disponibilité

À l’inverse des procédés d’électrolyse opérés à partir d’énergie solaire ou éolienne, nous ne dépendons pas du vent ou du soleil. La biomasse est, en quelque sorte, de l’énergie solaire stockée et utilisable à tout moment de la journée et de l’année. Ceci permet à nos installations de fonctionner plus de 8 000 heures sur les 8 760 que représente une année.

On me demande souvent si nous trouverons suffisamment de biomasse pour permettre le développement de notre activité tel que nous le projetons. Les calculs que nous avons effectués dans le cadre de plans d’approvisionnements remis à l’Administration montrent que, même si 50 % de la mobilité française reposait, à l’avenir, sur un procédé de production d’hydrogène à partir de biomasse, cela ne nécessiterait nullement de “raser” des forêts ou de mobiliser des terres agricoles. Il suffirait de valoriser la biomasse non affectée par la concurrence d’usage, c’est-à-dire celle qui est non exploitée et issue de l’entretien des forêts, ou encore les déchets issus de l’agriculture ou de l’industrie agroalimentaire (déchets d’abattoirs, pulpe de betterave…), le cas échéant les ordures ménagères, ou encore les effluents des élevages. Cette biomasse représente deux fois la consommation électrique française actuelle, soit plus de 900 térawattheure (TWh), ou encore l’équivalent de tout le pétrole importé en France en 2016 (884 TWh).

Un prix compétitif

Enfin, le prix très faible de la biomasse utilisée pour la fabrication de l’hydrogène se répercute sur le coût de revient de celui-ci. Ce prix s’établit, pour la biomasse la plus noble, aux alentours de 22 euros par mégawhattheure (MWh), alors que le tarif de l’électricité industrielle est d’environ 80 euros par MWh en France et plus de 100 euros par MWh en Allemagne. Ceci nous permet d’envisager de fournir de l’hydrogène, d’ici 2025, au tarif de 3 euros le kilogramme à la pompe (soit 3 euros pour 100 kilomètres), ce qui le rendra compétitif par rapport au gazole.

Pourquoi maintenant ?

Avec tous ces avantages, on peut se demander pourquoi la filière hydrogène ne démarre vraiment que maintenant. J’y vois trois grandes raisons.

La première est que nous avons assisté récemment à une évolution très rapide des technologies, à la fois de production et d’utilisation de l’hydrogène, ce qui a permis d’en réduire fortement le coût. Les procédés de fabrication de l’hydrogène à partir de la biomasse ou par électrolyse étaient connus depuis les années soixante-dix et les piles à combustibles ont été utilisées, dès cette époque, pour des applications embarquées dans des satellites. Néanmoins, elles coûtaient extrêmement cher et il était inenvisageable, jusqu’à maintenant, de les utiliser à grande échelle.

La deuxième raison est que, jusqu’à ces dernières années et à l’adoption de l’Accord de Paris en 2015, il n’existait pas réellement de volonté politique d’aller de l’avant.

Enfin, il manquait un déclencheur pour sortir du cercle vicieux de l’œuf et la poule (« par où commencer ? ») et permettre à l’industrie de l’hydrogène comme vecteur énergétique de décoller. Ce déclencheur est venu des plans de relance adoptés à la suite de la crise sanitaire et économique de la Covid-19. La France a décidé de consacrer 7,3 milliards d’euros à un plan de développement massif de l’hydrogène. D’autres pays ont adopté des mesures similaires. Ainsi, le Portugal a lui aussi annoncé un plan de 7 milliards d’euros et l’Allemagne, de 9 milliards d’euros. Des sommes considérables vont également être consacrées au développement de l’hydrogène dans le cadre du Green New Deal que prépare le nouveau président américain Joe Biden. Quant à la Chine, elle est en train de donner la priorité à l’hydrogène par rapport aux batteries.

Comme cette prise de conscience et cette volonté politique coïncident avec l’émergence de technologies plus efficaces et moins coûteuses, je pense que nous avons désormais franchi un point de non-retour et que l’hydrogène a un immense avenir devant lui.

Une filière en plein essor

Il y a un an, la filière de l’hydrogène estimait qu’à l’horizon 2050, en France, l’hydrogène représenterait 20 % de l’énergie finale et un chiffre d’affaires de 40 milliards d’euros par an, permettrait la création de 150 000 emplois, entraînerait une diminution de 55 millions de tonnes d’émissions de CO2 et de 15 % des émissions d’oxydes d’azote et de particules. Depuis l’annonce des grands plans adoptés par de nombreux pays en faveur de l’hydrogène, ces prévisions sont revues à la hausse.

Il y a trois ans et demi, le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, annonçait que plus aucune voiture à moteur thermique ne serait vendue à l’horizon 2040. Il est probable que le marché aille encore plus vite que la volonté politique, car le prix des véhicules à hydrogène a déjà fortement baissé. Il y a encore un an, Toyota produisait 3 000 voitures à hydrogène par an, quantité qui est passée cette année à 30 000. Ce sont des chiffres modestes, mais la progression est spectaculaire et on observe la même pour les poids lourds, les autobus ou les trains.

Dès 2021, par exemple, 600 taxis rouleront à l’hydrogène à Paris pour la société Hype, qui ambitionne de mettre en circulation une flotte de 10 000 taxis à l’horizon 2024.

Débat

Le volume occupé par le réservoir

Un intervenant : Je suis un peu dubitatif sur la possibilité de rouler pendant 700 kilomètres avec une voiture à hydrogène, compte tenu de la place que doit prendre un réservoir à 700 bars de pression contenant l’hydrogène correspondant.

Philippe Haffner : Ces réservoirs permettent de stocker 42 kilogrammes par mètre cube. Ils sont généralement logés sous la banquette arrière du véhicule.

Je n’ai pas la chance de pouvoir rouler en véhicule à hydrogène, car je ne dispose pas de station de recharge à proximité. Je suis donc propriétaire d’un véhicule hybride rechargeable et j’ai constaté que je n’atteins lautonomie annoncée que si je coupe tous les équipements consommateurs d’électricité (chauffage, climatisation…) et que je conduis de façon très posée. Par ailleurs, en cas de température inférieure à - 5 °C, les batteries perdent en autonomie.

Dans un véhicule à hydrogène, le chauffage est assuré par la chaleur de la pile à combustible et n’entraîne donc pas de consommation supplémentaire, en sorte que la performance annoncée reflète plus fidèlement l’autonomie réelle du véhicule, quelles que soient les conditions climatiques.

J’en ai beaucoup discuté avec Mathieu Gardies, qui exploite déjà 120 taxis à hydrogène à Paris, et il m’a confirmé que les 500 kilomètres d’autonomie annoncés par le constructeur Toyota pour sa voiture Mirai de première génération correspondent à la réalité. Or, pour la version Mirai 2, Toyota annonce un accroissement d’autonomie de 30 %.

Int. : Qu’en est-il pour les camions ? J’ai connaissance d’un projet dans lequel une partie de la place disponible dans les semi-remorques sera consacrée au stockage de l’hydrogène…

P. H. : Pour les camions, la pression des réservoirs est plutôt de 300 bars, soit 20 kilogrammes d’hydrogène par mètre cube, et un camion consomme entre 6 et 9 kilogrammes par heure. Tout cela augmente considérablement la taille des réservoirs. Je ne suis pas spécialiste de ces questions. Peut-être faudra-t-il opter pour des réservoirs à 700 bars, voire pour de l’hydrogène liquide ? Je sais en tout cas que des trains à hydrogène construits par Alstom circulent déjà en Allemagne. Ils ont une autonomie de 1 000 kilomètres en roulant à une vitesse qui peut atteindre 140 kilomètres à l’heure.

Globalement, l’hydrogène confère une autonomie inférieure à celle des moteurs thermiques fonctionnant avec des carburants fossiles liquides, mais bien supérieure à celle des batteries électriques.

La question de la sécurité

Int. : L’un des freins à l’utilisation de l’hydrogène n’est-il pas l’idée, vraie ou fausse, qu’il serait dangereux de circuler avec de l’hydrogène dans son véhicule ?

P. H. : La peur suscitée par l’hydrogène est intimement liée (consciemment ou non) au spectaculaire accident du dirigeable LZ 129 Hindenburg, en 1936. À l’heure actuelle, les précautions prises pour le stockage de l’hydrogène peuvent être comparées à celles en usage dans l’aéronautique. Le risque lié à un véhicule à hydrogène est sans doute inférieur à celui d’un véhicule à moteur thermique, non parce qu’intrinsèquement le risque serait plus faible, mais parce qu’il est mieux géré. Le fait est qu’on dénombre actuellement environ 10 000 véhicules roulant à l’hydrogène dans le monde et qu’on n’a encore jamais eu à déplorer d’explosion ni d’incendie.

Int. : Que se passe-t-il en cas de collision ?

Int. : Des crash tests ont été réalisés avec des véhicules équipés de réservoirs à 800 bars de pression et ces derniers restaient intègres alors même que les véhicules étaient complètement détruits…

Par ailleurs, les réservoirs à hydrogène sont pourvus de minuscules trous qui, en cas de choc, permettent à l’hydrogène de se libérer très rapidement et ainsi d’éviter l’explosion. Les molécules d’hydrogène sont de si petite taille qu’elles filent à la verticale à une vitesse de 20 mètres par seconde.

Lénergie consommée par le processus industriel

Int. : Avec quelle source d’énergie atteignez-vous la température de 500 °C, puis de 1 200 °C, prévue dans votre processus industriel ?

P. H. : Nos brevets portent, notamment, sur les échangeurs thermiques qui nous permettent de récupérer la très haute température des gaz pour fournir l’énergie nécessaire à la partie amont du process. Une partie de l’énergie est toutefois perdue, d’où le rendement de 70 % de notre processus. Nous utilisons aussi un peu d’énergie pour le transfert de la biomasse et du biochar, ou encore pour chauffer certaines tuyauteries afin d’éviter la condensation de goudrons qui pourraient perturber le process, mais cela ne représente que quelques kilowattheures pour une installation produisant l’équivalent de 500 kWh d’hydrogène.

À ceci s’ajoute la compression de l’hydrogène, qui est assurée de façon mécanique et consomme de l’électricité. On estime que la partie compression mobilise 20 % de l’énergie correspondant à l’hydrogène produit. D’ici deux ou trois ans, nous disposerons de compresseurs thermiques qui nous permettront de récupérer la chaleur fatale pour comprimer les gaz à une pression supérieure à 400 bars, ce qui réduira à pratiquement zéro la consommation électrique.

Le CO2 biogénique

Int. : Vous avez indiqué que le CO2 que vous rejetez dans l’atmosphère au cours du processus de fabrication était neutre, car intégré au cycle carbone des plantes. Néanmoins, si ces plantes n’avaient pas été coupées, elles auraient continué à absorber du CO2.

P. H. : Le volume de CO2 que nous rejetons est exactement le même que celui qui a été absorbé par la plante au cours de sa vie. C’est qui permet à l’ADEME de classer sans équivoque la biomasse parmi les énergies renouvelables.

Par ailleurs, la biomasse que nous utilisons n’a pas été cultivée pour cet usage. Il s’agit, par exemple, des rémanents, les tiges de faible volume et branches abandonnées sur les parterres de coupe après l’exploitation forestière, ou non exploitées par les industries de transformation du bois. Lorsque ces petits bois ne sont pas récupérés, ils pourrissent sur place en dégageant du CO2. En se décomposant, ils remplissent, certes, une fonction de fertilisation du sol, qui n’est pas remplie lorsque nous les utilisons pour fabriquer de l’hydrogène, mais celle-ci peut être compensée par l’enfouissement du biochar.

Lutilisation du lisier

Int. : En utilisant la biomasse dans votre process, vous réduisez la production de méthane induite par sa décomposition. Or, le méthane contribue encore plus que le CO2 à l’effet de serre. Le gain est-il mesurable, et significatif ?

P. H. : Cela dépend du type de biomasse utilisé. Si l’on fabrique de l’hydrogène à partir du lisier, en particulier issu d’élevages porcins, les rejets de méthane évités sont considérables.

Aujourd’hui, ces lisiers sont très difficiles à exploiter, car lorsqu’ils servent à fertiliser les sols, l’azote qu’ils contiennent est lessivé par les pluies et provoque la prolifération d’algues sur les côtes. Pour éviter ce phénomène, il faudrait laisser reposer le lisier avant de l’utiliser, afin de libérer une partie de l’azote.

Un autre débouché du lisier consiste à produire du méthane qui est capturé au cours du process afin d’être valorisé. Malheureusement, le pouvoir méthanogène du lisier n’est pas très élevé et, par ailleurs, cette opération produit des quantités considérables de digestat.

Le lisier peut aussi être utilisé pour fabriquer de l’hydrogène, à condition d’être légèrement séché au préalable, car il est trop liquide. Dans ce cas, en effet, les rejets de méthane sont en grande partie remplacés par des rejets de CO2, mais, à ma connaissance, la différence n’a pas été calculée précisément.

Int. : Le biogaz issu de la méthanisation de la biomasse permet aussi de produire de l’électricité et de la chaleur, et il peut également être injecté dans le réseau de gaz naturel, après épuration.

P. H. : Tout à fait ! Chaque projet a sa place et ses propres applications, car chacun présente des avantages et aussi des inconvénients. La méthanisation est très adaptée pour des biomasses très humides avec un fort pouvoir méthanogène.

La récupération du CO2

Int. : Avez-vous calculé combien de CO2 est absorbé par la biomasse nécessaire pour fabriquer 1 kilogramme d’hydrogène, et combien de CO2 est rejeté lors du process de fabrication ?

P. H. : Le process Hynocar produit à la fois du biochar et du gaz de thermolyse qui sera craqué et se transformera en Hypergaz, lequel sera purifié pour donner l’hydrogène. Le biochar représente 20 % de la masse totale de biomasse à 35 % d’humidité, ou 30 % de la masse anhydre. Il représente par ailleurs entre 40 et 50 % de l’énergie de la biomasse traitée. On peut l’utiliser pour remplacer de la biomasse en chaudière, mais son usage le plus pertinent consiste à l’enfouir. Comme me le disait récemment un fonctionnaire travaillant pour la Commission européenne, la priorité n’est pas l’efficacité énergétique à tout prix, mais l’efficacité climatique. Or, séquestrer durablement du carbone dans le sol sous la forme de biochar présente un grand intérêt pour le climat.

Quant au carbone présent parmi les gaz issus de la thermolyse, il est très pur et donc facile à capturer, ce qui est du reste nécessaire pour produire un hydrogène lui-même aussi pur que possible. Le CO2 ainsi recueilli pourra être valorisé sur le marché du carbone ou, en étant recombiné à l’hydrogène, permettre de fabriquer du méthane renouvelable qui ira alimenter le réseau de gaz naturel.

La biomasse inutilisée

Int. : À l’heure actuelle, que devient la biomasse inutilisée ?

P. H. : La biomasse produite par la planète représente vingt fois la quantité de pétrole extraite par an et le destin de la très grande majorité de cette biomasse est de se putréfier.

Nous sommes tous les jours contactés par des agriculteurs, des coopératives, ou encore des collectivités cherchant des débouchés pour de la biomasse dont ils ne savent que faire. Pour eux, il ne s’agit généralement même pas de gagner de l’argent, mais d’éviter des coûts.

Il y a quatre ans, par exemple, nous avons monté, dans le sud de l’Italie, un projet de production d’électricité pour valoriser les “grignons” d’olive, c’est-à-dire les peaux, résidus de pulpe et fragments des noyaux résultant du processus d’extraction de l’huile d’olive. L’usine a une puissance de près de près de 50 MW en exploitant jusqu’à 200 000 tonnes de grignons humides par an.

Int. : Quel est le prix de vente de cette biomasse si abondante ?

P. H. : Là aussi, le prix est très variable. Pour les rémanents nobles (lorsqu’il s’agit non d’écorces, mais de bois), il représente environ 20 euros par MWh produit. En revanche, l’utilisation des CSR (Combustibles solides de récupération), c’est-à-dire des déchets ménagers, fait l’objet d’une redevance : la collectivité paie les industriels qui l’en débarrassent. De son côté, le lisier n’a aucune valeur : pour l’éleveur, il représente uniquement un coût. Si nous décidons d’utiliser ce type de biomasse pour fabriquer de l’hydrogène, cela réduira encore le prix de ce dernier.

La collecte de la biomasse

Int. : Quel est le volume de biomasse nécessaire pour une centrale de production d’hydrogène ? Comment gérez-vous sa collecte ?

P. H. : De nombreuses centrales de cogénération ou chaufferies biomasses que l’on trouve en France ont une puissance de 20 MW et elles consomment environ 50 000 tonnes de biomasse par an, lorsqu’il s’agit de cogénération, ou 10 000 à 20 000 tonnes, lorsqu’il s’agit seulement d’une chaufferie. Nous avons une grande expérience de ce type de projet et tous les plans d’approvisionnement que nous avons réalisés, et qui ont été validés par l’Administration, prévoient que, pour une consommation de 50 000 tonnes par an, l’approvisionnement peut se faire dans un rayon inférieur à 100 kilomètres.

La centrale à hydrogène que nous allons prochainement inaugurer à Strasbourg permettra, à terme, de faire fonctionner un parc de 1 600 véhicules parcourant chacun environ 15 000 kilomètres par an. Elle consommera annuellement 5 000 tonnes de biomasse, que nous n’aurons aucun mal à trouver à proximité.

Le déploiement des centrales à hydrogène

Int. : Comment envisagez-vous le déploiement de votre technologie ? Sous forme de petites ou de grosses unités ?

P. H. : La taille des centrales doit être proportionnée aux besoins des utilisateurs. Le plus petit système que nous allons proposer produira 200 kilogrammes d’hydrogène par jour et le plus grand, 24 tonnes. Au-delà, il nous semble difficile d’établir un plan d’approvisionnement crédible.

Int. : Êtes-vous prêts à faire face à une demande qui pourrait s’accélérer rapidement ?

P. H. : Un enjeu important est, en effet, d’être capable de suivre la demande du marché, sans quoi d’autres le feront à notre place, ce qui pourrait compromettre notre pérennité. Sachant que nous destinons en grande partie cette technologie à l’exportation, nous avons fait un choix industriel, issu de notre expérience, qui devrait permettre un déploiement très rapide. Notre technologie est complètement standardisée et tous nos modules sont livrés en containers de 40 pieds, avec une phase chantier réduite à sa plus simple expression. Les modules sont destinés à être associés afin d’atteindre la capacité désirée.

Int. : Comment allez-vous financer ce déploiement ?

P. H. : Il y a un an, la valorisation en bourse de notre concurrent McPhy était de 60 millions d’euros. Cette entreprise a procédé à une levée de fonds de 180 millions d’euros et, aujourd’hui, sa valorisation est de 950 millions d’euros. Cela donne une idée de l’intérêt que suscite cette filière aujourd’hui, essentiellement en raison des perspectives ouvertes par les grands plans gouvernementaux. Nous ne devrions donc pas avoir de difficultés à attirer des fonds pour investir dans nos projets.

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

Élisabeth BOURGUINAT